Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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stratification sociale (suite)

Formes typiques de stratification


Formes élémentaires de stratification

La stratification, entendue comme formalisation des rapports sociaux déterminés par l’élaboration ou le choix d’un mode de valeurs, ou par un phénomène socio-culturel, n’exclut pas et peut même laisser supposer une différenciation des individus et des groupes au niveau du monde botanique et du monde zoologique.

La différence entre le monde animal et le monde humain est-elle de degré, de complexité ou de nature ? Le débat est toujours pendant et probablement oiseux. Il peut être tranché conventionnellement lorsque l’on observe que, dans le monde humain, les critères naturels de classement fondés sur le sexe et sur l’âge ne reçoivent leur signification que de la culture qui les utilise, c’est-à-dire par rapport aux valeurs prépondérantes dans une société. Les thèses relatives à la horde non stratifiée aussi bien qu’au communisme primitif n’ont jamais pu être soumises à des vérifications. Dans les sociétés totémiques, comme celles d’Australie, estimées particulièrement archaïques, une gérontocratie apparaît déjà, et le maître des cérémonies (alatunja) tire prestige de son rôle dans l’organisation des cérémonies. Dans les sociétés où l’organisation sociale se confond avec le système familial s’établissent des différences de positions ou de rangs avec relations d’autorité entre groupes de parents selon les critères conjugués de séniorité, de primogéniture et de proximité généalogique par rapport à l’ancêtre commun. Le système des classes d’âge avec accès par initiation intervient souvent de manière autonome dans la distribution hiérarchisée des fonctions : tandis que revient aux anciens la gestion politique des affaires villageoises, les adultes s’occupent à des tâches de production économique et les jeunes ont des charges militaires.

Dans une perspective dynamique, on peut se demander comment s’est effectué le passage du pouvoir diffus des sociétés tribales à la centralisation des chefferies organisées. Pour James Frazer, la magie serait à la source de la concentration des pouvoirs. La thèse évolutionniste de Georges Davy expliquerait la transition par une décomposition du totémisme dans les sociétés à potlatch, comme celles des Indiens d’Amérique du Nord.

Pour Maurice Godelier, qui différencie judicieusement dans les sociétés primitives les biens de subsistance et les biens de prestige, les véritables problèmes à résoudre sont les suivants : « Dans quelles conditions se développe une économie de redistribution qui transforme et remplace partiellement les mécanismes de réciprocité qui assuraient traditionnellement les échanges de biens et de services au sein des groupes entre eux ? [...] Comment, s’ajoutant à l’inégalité de la redistribution du produit social, apparaît une inégalité dans le contrôle des facteurs de production ? »

En prenant l’exemple du mode de production asiatique comme l’une des formes de transition des sociétés sans classes aux sociétés de classes, l’auteur montre comment la compétition sociale fournit l’incitation majeure à la production de surplus et comment l’exercice des fonctions sociales est à la base d’une suprématie politique, donc d’un contrôle des hommes et de leurs moyens de production. De certaines formes d’autorité provisoire d’un individu ou d’un clan, on passe par étapes à des formes héréditaires d’autorité fondées sur la supériorité de naissance, comme dans les aristocraties féodales ou comme dans les systèmes de castes.


Les castes

Fondé sur une hiérarchie transmise de génération en génération, le système de castes est apparu autant comme un type idéal de stratification que comme le modèle qui s’éloigne le plus de notre idéal démocratique. Parmi les sociologues, une première tendance attribue un sens large à l’expression système de castes, qui représente un cas extrême, rigide, immobile de stratification, par opposition à une stratification de classes sociales ouverte et mobile. Certains tenants de ce point de vue, notamment Alfred Louis Kroeber, Guwnar Myrdal, William Lloyd Warner, etc., vont même jusqu’à considérer les race relations aux États-Unis, qui représentent quelques-unes des caractéristiques énoncées, comme une variante du système de castes. Une deuxième tendance, représentée par Oliver C. Cox aux États-Unis et par Louis Dumont en France, considère le système de castes comme un phénomène culturel spécifiquement hindou, incompréhensible hors du système de valeurs et de la philosophie dans lesquels il s’enracine. Selon Dumont, la connaissance de l’idéologie du système, incluant une axiologie, permet de comprendre comment la hiérarchie établit une unité symbolique de toutes les castes. Le terme de castes, dans ce contexte, peut être pris en quatre sens différents selon que l’on se réfère : 1o aux varṇa traditionnelles : brahmanes, guerriers, marchands, serviteurs ; 2o aux agrégats de personnes relevant d’une même occupation ou d’une même région linguistique ; 3o aux groupes professionnels même modernes ; 4o aux jati, soit au total environ 3 000 castes et sous-castes endogames, dont l’appellation connote tout d’abord la naissance, le groupe héréditaire (v. Inde).

De quelque manière que l’on appréhende ces groupes, chacun se situe dans une hiérarchie verticale de position et tire son identité à la fois de sa différence par rapport aux autres et de sa complémentarité avec eux, dans le cadre d’activités économiques et politiques. Une telle complémentarité, fondée sur des rapports inégalitaires, est clairement saisie au niveau du village dans l’institution d’un conseil de village associant politiquement et juridiquement les groupes, et dans les fêtes annuelles, dont le rituel souligne la coopération fonctionnelle des castes et des sous-castes. Au niveau supérieur des deux forces maîtresses, kṣatriya et brahmaṇ, une semblable solidarité se manifeste dans la relation ambivalente d’autorité : l’autorité temporelle subordonne la prêtrise au pouvoir royal ; l’autorité spirituelle renverse le rapport. De cette manière se trouvent liés l’homme qui conçoit, le prêtre, et celui qui réalise, le roi.