Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Strasbourg (suite)

Au cours du xiiie s., la ville de Strasbourg achève de conquérir son autonomie. En 1201, l’empereur Philippe de Souabe la déclare ville libre immédiate ; vers 1214, une seconde charte municipale établit une sorte de conseil composé de nobles et de bourgeois, chargé d’administrer la cité, et un collège d’échevins, représentant la bourgeoisie, qui règle toutes les questions commerciales et industrielles.

Lorsqu’un évêque particulièrement attaché à ses privilèges, Walther de Geroldseck, veut anéantir ces nouvelles libertés, éclate alors une épreuve de force, qui se termine à l’avantage de la ville : liguée avec Bâle et Colmar, celle-ci inflige une sévère défaite à son évêque, le 8 mars 1262, à Oberhausbergen. Le successeur de Walther de Geroldseck fait la paix, et l’empereur Rodolphe Ier de Habsbourg confirme tous les privilèges acquis par la ville.

Au cours des xive et xve s., des conflits sociaux opposent patriciens et bourgeois. À la faveur d’une rivalité entre les familles nobles des Zorn et des Mullenheim, les bourgeois imposent une modification de la constitution municipale et obtiennent l’entrée au conseil de vingt-cinq représentants des corporations (1332). Le pouvoir du chef des métiers (ameister) au sein du conseil s’étend au détriment de celui des bourgmestres (stettmeister) traditionnels. Progressivement, et malgré la résistance patricienne (crise de 1419-1422), la prépondérance des corporations est acquise.

Intense foyer spirituel illustré par ses mystiques (Maître Eckart*, Jean Tauler [v. 1300-1361]), Strasbourg qui, au xiie s., avait déjà abrité le poète Gottfried, devient au xvie s. un des centres principaux de l’humanisme germanique célébré par Érasme, avec Sebastian Brant, Thomas Murner, Gutenberg ; après 1460, l’imprimerie y connaît un grand essor.

À partir de 1520, la Réforme est illustrée par les plus grands noms du protestantisme, comme Matthäus Zell, Martin Bucer*, Wolfgang Köpfel (Capiton). En 1529, les échevins votent l’abolition de la messe, et Strasbourg devient un refuge pour les protestants persécutés : Calvin* lui-même, banni par les Genevois, y fonde en 1538 l’Église protestante française. Un évêché catholique subsiste cependant à Strasbourg, mais les évêques résident à Saverne. À partir de 1580, le protestantisme y est combattu par les Jésuites, auxquels les évêques confient le collège de Molsheim.

Neutre durant la guerre de Trente Ans, Strasbourg demeure ville libre de l’Empire aux traités de Wesphalie (1648), tandis que l’Alsace* passe sous la domination française. C’est Louis XIV qui met fin à son indépendance, lorsque, à l’occasion de sa politique des « réunions », il l’annexe au royaume le 30 septembre 1681, annexion qui est confirmée au traité de Ryswick en 1697.

Dès lors, Strasbourg suit les destinées de l’Alsace française. Foyer d’échanges intellectuels entre la France et l’Allemagne au xviiie s. (Goethe* étudie à son université, fondée en 1621), la cité, d’abord favorable aux idées révolutionnaires, s’en détourne et accueille l’Empire avec chaleur.

En 1836, le prince Louis Napoléon, le futur Napoléon III, tente, mais en vain, d’y soulever la garnison. Durant la guerre de 1870, Strasbourg est assiégée par les Allemands (13 août - 28 sept.) et subit un sévère bombardement ; son défenseur, le général Uhrich, devra capituler.

Capitale de 1871 à 1918 du Reichsland d’Alsace-Lorraine, la ville est délivrée par les armées françaises en novembre 1918. Elle est reprise par les Allemands le 19 juin 1940 ; les troupes de Leclerc y entrent le 23 novembre 1944, après que la VIIe armée américaine eut reconquis l’Alsace. En 1949, Strasbourg est devenue le siège du Conseil de l’Europe.

P. R.


L’art à Strasbourg

Les églises, les demeures et leur décor miraculeusement préservé font de Strasbourg un joyau artistique. Les objets préhistoriques et antiques, découverts au cours des fouilles, voisinent au musée archéologique avec les bijoux et les armes du haut Moyen Âge, mais les monuments encore debout ne remontent pas au-delà de l’époque romane.

La cathédrale de grès rosé domine la ville et synthétise sa longue histoire artistique. La partie orientale de la crypte est un vestige de l’église bâtie par l’évêque Wernher à partir de 1015. La nef de cet édifice avait déjà la largeur de la cathédrale gothique, qui repose sur ses fondations. Cette dernière a été commencée dans le dernier quart du xiie s. par le chœur, fermé par une haute abside, et par le transept, modifié vers 1220 pour être voûté d’ogives. Le bras nord a une façade encore romane, alors qu’à la façade du bras sud ont été sculptés, dans un style gothique en partie influencé par l’art chartrain et rémois, les deux portails de la Dormition et du Couronnement de la Vierge. À cette façade se dressaient les célèbres statues de l’Église et de la Synagogue, aujourd’hui au musée de l’Œuvre. Les voûtes du bras sud sont portées par le pilier des Anges, entouré de statues représentant le Jugement dernier sur plusieurs étages. Les anges qui réveillent les morts au son de leurs instruments ont donné leur nom à cet admirable ensemble. La nef fut commencée vers 1240 et terminée en 1275. C’est un exemple remarquable du style rayonnant avec son triforium ajouré, ses fenêtres composées et ses larges arcades qui intègrent les bas-côtés dans une même unité spatiale intérieure. La première pierre de la façade fut posée en 1277 par l’évêque Conrad III de Lichtenberg (1273-1299), et le couronnement de la flèche, la plus haute d’Europe, fut terminé à 142 m de hauteur en 1439 par Johannes Hültz de Cologne († 1449). Des projets de la façade, les noms de ses principaux architectes, Erwin, dit de Steinbach (1244-1318), Gerlach, Conrad (ou Contz), Michael de Fribourg, qui était peut-être apparenté aux Parler, Ulrich d’Ensingen et Johannes Hültz, ont été conservés. Le décor des trois portails, peut-être suggéré par Albert* le Grand, date de la fin du xiiie s. Les statues des Vertus et des Vices, des Vierges sages et des Vierges folles ont été déposées au musée de l’Œuvre, mais les tympans et les reliefs des soubassements sont en place. Les œuvres d’art se sont accumulées à l’intérieur de la cathédrale ; il faut citer parmi elles le tombeau de Conrad III de Lichtenberg attribué à Maître Erwin, l’épitaphe du chanoine Conrad de Busnang sculptée par Nikolaus Gerhaert de Leyde, la chaire exécutée par Hans Hammer (ou Hammerer) en 1485, la cantoria du bras sud avec l’autoportrait de Nikolaus de Haguenau, l’horloge astronomique du xvie s., les orgues d’André Silbermann, le maître-autel classique de Jean-François Blondel, les stalles de Joseph Massol, les tapisseries de la Vie de la Vierge tissées à Bruxelles sur des cartons de peintres français, sans oublier les vitraux de la fin du xiie s. dans le chœur et la remarquable série de verrières du xiiie s. de la nef.