Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Stijl (De) (suite)

Les fondements de cet ascétisme se trouvent dans la trajectoire suivie par les principaux animateurs du groupe et principalement dans celle que trace l’œuvre de Piet Mondrian*, le plus âgé d’entre eux, qui, de 1915 à 1917, donne la série des toiles puissamment composées, presque monochromes, prenant pour sujet la jetée de Scheveningen. Bart Van der Leck (1876-1958), d’abord paysagiste comme Mondrian, fait une reconversion à travers l’exercice de la peinture monumentale. Dès 1912, ses toiles adoptent un caractère mural d’où les effets de perspective sont exclus. Fortement géométrisés en 1916, les éléments figuratifs disparaissent en 1917, pour faire place à des compositions si proches de celles de Mondrian que l’on peut songer à la parenté de Picasso et de Braque au moment fort du cubisme. Mais, dès 1918, Van der Leck retourne dans ses toiles à la figure, tout en continuant à développer les inventions abstraites du groupe dans le domaine du décor d’intérieur. Theo Van Doesburg, le plus jeune du mouvement, semble être aussi son lien et catalyseur le plus décisif. À la fois artiste plasticien, homme d’action et écrivain, il est, en 1915, le premier critique d’art à prendre en compte la nouvelle direction que Mondrian imprime à son travail. Il produira en 1917 une œuvre très proche de celle de ses compagnons, avant de développer un dynamisme original.

A ces trois personnalités essentielles se joignent le Hongrois Vilmos Huszár, un peintre qui s’intéressera au vitrail, et le Belge Georges Vantongerloo (1886-1965), sculpteur aux volumes puissants, épris de mathématiques, qui se détournera plus tard de la droite au profit de la courbe. Aussitôt se rallient au groupe trois architectes néerlandais : Jacobus Johannes Pieter Oud (1890-1963), Robert Van’t Hoff (né en 1887) et Jan Wils (né en 1899). Ensuite s’affilieront d’autres architectes, dont Gerrit Thomas Rietveld (1888-1964), et des plasticiens de différents pays. Un philosophe habitant Laren, voisin de Mondrian et de Van der Leck, H. J. Schoenmaekers, joue alors un rôle considérable, en fournissant l’appui théorique nécessaire à ce groupe d’artistes. Deux livres résument sa pensée, la Nouvelle Image du monde (1915) et Principes des mathématiques plastiques (1916). Son « mysticisme positif », en partant du principe de la signification symbolique des formes, assigne un rôle essentiel aux lignes verticales et horizontales, et affirme la structure purement mathématique de l’univers. Dès son premier numéro, la revue De Stijl souligne comme caractère essentiel de la modernité la « conscience collective du temps ». Cet « esprit du temps » indique pour De Stijl l’inexorable tendance vers le collectif, la dépersonnalisation, l’anti-individualisme : le monde échappe de plus en plus à l’homme pour appartenir aux mathématiques. La machine supplante le travail de l’homme. La vie politique et sociale est animée par des organisations de masse. Le projet, le plan, le dessein priment la réalisation, qui, elle, peut se réduire à l’utilisation de procédés mécaniques ou industriels. Si la symphonie existe d’abord sur la partition, l’édifice existe tout autant dès que les plans sont dressés par l’architecte. Pour le peintre, il ne s’agit plus de saisir l’apparence des choses visibles, mais, au contraire, de fixer les lois qui les régissent.

Un monde et son système de valeurs viennent de s’écrouler dans la tourmente de la Première Guerre mondiale. Dans cette Hollande restée neutre, le contrecoup est surtout intellectuel : une tâche exaltante semble lui être assignée, celle de découvrir des normes nouvelles, bases d’un monde nouveau (et on notera que De Stijl éclôt l’année même de la révolution d’Octobre). La Hollande, c’est d’abord un paysage façonné par l’homme contre l’hostilité de la mer : l’orthogonalité logique imposée au désordre, aux sinuosités naturelles va se retrouver dans la géométrie imposée aux formes par De Stijl ; c’est aussi le pays du puritanisme, de la rigueur et de la sévérité calvinistes, auxquels se rallient la plupart des fondateurs du groupe. Ceux-ci retrouvent naturellement la fureur iconoclaste du xvie s. et se précipitent dans une abstraction rigoureuse. Pour eux, chaque représentation d’une partie de la création est une corruption, une altération de la pureté divine des lois de la nature. Nous sommes dans le pays où le mot schoon signifie à la fois « pur » et « beau ». Mais on peut trouver aussi l’origine du groupe dans l’histoire même de la peinture hollandaise, dans le dépouillement géométrique des intérieurs d’église, clairs et précis, de Pieter Saenredam*, comme dans la sérénité des intérieurs bourgeois de Vermeer* ou de Pieter de Hoogh*.

De Stijl est une ascèse. Son combat est celui de la purification de l’art, de l’affirmation de son autonomie. L’art doit quitter les pesanteurs matérielles liées à la figuration. De Stijl veut dresser une nouvelle grammaire plastique, d’où la subjectivité comme les références ponctuelles à des objets sont définitivement exclues. Plus qu’une esthétique, il est une éthique qui tente de rendre sensible l’harmonie universelle. Au grand œuvre pictural de Mondrian répond l’architecture. Là aussi, il s’agit d’une réduction à l’essentiel contre les baroquismes et les surcharges décoratives. J. J. P. Oud sera l’un des premiers à utiliser les modes industriels de production, en réduisant la construction à un jeu modulaire d’éléments de base permettant de multiples variations en fonction des programmes. Pour la maison Schröder, bâtie à Utrecht en 1924, G. T. Rietveld utilise la couleur à des fins constructives, offrant aux compositions de Mondrian des dimensions monumentales.

Du tableau à la maquette typographique et au meuble, De Stijl a tenté de repenser, et cela d’une manière fondamentale, les arts plastiques et l’environnement. Ce groupe, qui travaillait dans l’ombre, sans bénéficier des facilités qu’offre le succès — et qui se désagrégea en 1932, après la mort de Van Doesburg —, a produit une œuvre considérable, dont les retombées se font encore sentir aujourd’hui tant dans l’architecture et le design* que dans des démarches picturales qualifiées d’avant-gardistes, tel le minimal* art américain. Il apparaît bien comme l’un des pôles de la création artistique au xxe s.