Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sterne (Laurence) (suite)

La vraie marque sterniène, on doit la chercher dans la Vie et les opinions de Tristram Shandy, toute remplie du mot chimère, si cher à Sterne et dont l’atmosphère d’excentricité atteste l’appartenance de l’écrivain à la descendance de Robert Burton avec son Anatomy of Melancholy (1621) et à un courant très caractéristique de la littérature anglaise. Dans le roman de Sterne, l’excentricité relève autant de l’auteur, de la façon dont il mène son ouvrage, que de la psychologie et du comportement des personnages. « Rien ne se passait comme d’ordinaire dans notre famille », constate Tristram. Et, d’abord, lui ne naît qu’au livre III. Sa vie, ses opinions comptent moins que celles de Walter Shandy son père ou que celles de l’oncle Toby. Le héros devient comparse, satellite, comme le fidèle caporal Trim, la servante Susannah, le docteur Slop ou sa mère, qui n’entend rien et ne veut obstinément rien entendre aux pures spéculations de l’esprit. Chez le père, « orateur-né », l’excentricité réside dans ses idées fixes, sa manie des discours, des systèmes échafaudés à propos de tout et, naturellement, de l’éducation de Tristram. L’oncle, quant à lui, cultive l’excentricité non pas intellectuelle, mais matérielle avec son dada de la stratégie militaire. La manie des systèmes provoque facilement des catastrophes, tel, chez Meredith, le fiasco dramatique de l’éducation de son fils par sir Austin Feverel dans The Ordeal of Richard Feverel. Le dada engendre le ridicule et fait de l’homme une marionnette dans les portraits de La Bruyère. Rien de semblable chez Sterne. Excentricité et bizarrerie ne constituent qu’une manifestation supplémentaire de l’humanité réelle de personnages attirant la sympathie par leur bonté, leur sensibilité et leur gaieté. La bonté de « mon père », vif mais généreux, éclate surtout chez « mon oncle Toby », personnage promu au rang de mythe, « d’un naturel paisible et placide chez qui rien de discordant ne venait troubler l’heureux mélange de ses vertus ». De la bonté au sentiment, le pas se franchit presque naturellement. L’émotion peut s’exprimer par une simple poignée de main. Les personnages s’attendrissent volontiers. Les larmes montent souvent aux yeux. Mais sans jamais pour cela se transformer en pleurs torrentueux. Un épisode comme celui de la mouche épargnée par l’oncle Toby (II, xii) n’affaiblit en rien l’impression de vraie et touchante affection — en particulier celle des deux frères si dissemblables — qui baigne les événements familiers de la vie. Enfin tout cela se réchauffe à une douce gaieté bien différente de la sottise. Le pasteur Yorick, par exemple, présente « la combinaison la plus vive et la plus raffinée, les dispositions les plus fantasques, le plus savant mélange de vie, de fantaisie et de gaieté de cœur qu’une maternelle nature eût jamais pu engendrer ou composer ». Car l’humour de Sterne se manifeste avant tout par la bonne humeur, la « belle humeur », qui lui permet joyeusement de « fouler le sentier de la vie avec, sur le dos, tous les fardeaux (moins les soucis) qu’elle comporte ». Humour sans aigreur, ni humeur, ni satire. Humour extrêmement intellectualisé — pas une once de hasard n’entre dans son élaboration — plein de bonhomie et de douce malice. Le côté potache, le propos osé — reprochés souvent à Sterne — se fondent dans le raffinement du maintien, l’acuité de l’observation, la qualité subtile, rendant presque impalpable l’équivoque grivoise. Le « shandysme » — terme inventé par Sterne — propose à l’homme une philosophie visant à guérir le monde de ses sottises et de son « cant », à le débarrasser de sa gangue scolastique, à restaurer l’individu pour qu’il assume sans complexe toutes ses facultés physiques et morales. « Je me sens grande envie de débuter ce chapitre par une folie et je ne vais pas la contrecarrer » (I, xxiii). L’art d’écrire de Sterne, à une époque où se combinent les règles du roman traditionnel, s’installe dans un non-conformisme longtemps inconnu et d’un aspect étonnamment moderne tant par la conception de la fiction que par le déroulement de l’intrigue. Sterne lui-même dessine les courbes capricieuses de ses livres (VI, xl), et les digressions — le soleil — s’y élèvent à la hauteur d’un art. Dédicaces bouffonnes, apostrophes au lecteur et à une certaine Jenny, préfaces mêlées au texte, parenthèses, retours en arrière, sermons, contes, réflexions ironiques, morceaux en latin, sans compter pages blanches et pages noires, valse des points de suspension, des virgules, des tirets, des étoiles, des marbrures, jonglage avec l’alphabet, autant de fils où tout autre que lui s’empêtrerait. Aussi connaît-il peu d’imitateurs, excepté Henry Brooke (le Sot de qualité, 1764-1770) ou Henry Mackenzie (l’Homme de sentiment, 1771). Ses pairs appartiennent au xxe s. Son œuvre préfigure le courant de conscience et l’approche de la réalité par approximation d’une Virginia Woolf. Elle annonce déjà les recherches de Joyce et d’Henri Michaux, l’enivrement verbal des surréalistes et jusqu’aux derniers raffinements de la technique cinématographique.

D. S.-F.

 W. L. Cross, The Life and Times of Laurence Sterne (New York, 1909 ; 3e éd., 1967). / H. Fluchère, Laurence Sterne, de l’Homme à l’œuvre (Gallimard, 1961). / J. M. Stedmond, The Comic Art of Laurence Sterne (Toronto, 1967). / J. Traugott (sous la dir. de), Laurence Sterne. A Collection of Critical Essays (Englewood Cliffs, N. J., 1968).

stéroïdes

Substances du groupe des lipides*, dont le point commun est de comporter dans leur molécule un noyau polycyclique cyclopentanophénanthrénique, dit stérol.


On désigne sous le nom de stérides les esters résultant de la combinaison des acides gras avec des alcools de poids moléculaire élevé comportant un noyau stérol. Les stéroïdes sont des substances plus complexes, dérivant des stérides : on rencontre les stéroïdes à l’état naturel dans le règne végétal et le règne animal, où ils constituent l’insaponifiable des huiles, dans les substances de réserve des végétaux, dans le plasma sanguin, la bile, les fèces, les divers tissus, et en particulier les tissus nerveux. La structure stéroïde se retrouve dans certains hétérosides cardiotoniques, dans certains alcaloïdes, dans nombre d’hormones génitales et corticosurrénales. Les propriétés physiologiques et les propriétés thérapeutiques de ces différents corps, de même que les propriétés des substances synthétiques qui s’en rapprochent, sont étroitement liées à la présence, dans toutes ces molécules, du noyau polycyclique du cholestérol, autour duquel elles sont structurées.