Steinbeck (John) (suite)
Pendant les dernières années de sa vie, Steinbeck continue à beaucoup écrire : des romans comme The Winter of our Discontent (l’Hiver de notre mécontentement, 1961) ou The Short Reign of Pippin IV (le Règne éphémère de Pépin IV, 1957). Il compose aussi des récits de voyage, où, d’un ton sentimental ou sentencieux, il exprime au fond son incompréhension totale du monde moderne : Un Américain à New York et à Paris (1956) ou le bêtifiant Mon caniche, l’Amérique et moi (Travels with Charley in Search of America, 1962). Steinbeck n’est plus de son temps. La société d’abondance, la « foule solitaire », où l’aliénation, plus que la faim, est le drame, l’Amérique des cosmonautes, des ordinateurs et des psychanalystes ne sont plus les siennes. Le génie de Steinbeck a disparu avec les « paisanos », les pauvres Blancs et les ouvriers illettrés qui l’avaient inspiré. Douloureusement conscient de cette faille, après la guerre, Steinbeck tâte de tout, y compris la comédie musicale, le reportage et même une histoire parodique de la IVe République française. Sans succès. Dans son amertume, lui, qui avait généreusement pressé les « raisins de la colère », est devenu peu à peu réactionnaire. Son drame est d’être entré au musée avant d’atteindre à l’immortalité.
À vouloir forcer son talent naturel, Steinbeck s’est cassé la voix. Son drame est celui d’un écrivain de terroir, de tempérament naturellement conservateur et mystique, qui s’est égaré dans le réalisme engagé. Plus profondément, c’est peut-être celui de tout roman « social » à une époque où le lumpenproletariat blanc disparaît du monde occidental. Alors que les dernières tribus du sous-prolétariat blanc sont en voie d’extinction, les personnages de Steinbeck prennent l’allure de fossiles préhistoriques. Quand la société de consommation condamne la foule solitaire à la névrose et non plus à la faim, il n’y a plus de Steinbeck, mais des Saul Bellow* et des Salinger*. Et c’est à la tradition d’Henry James plutôt qu’au réalisme social que revient le roman américain. Si l’œuvre de Steinbeck doit survivre, ce ne sera ni pour son message social, ni pour son « réalisme engagé », mais pour ses qualités poétiques, son sens des correspondances panthéistes entre la main, la plante et la terre ; ce sera pour cette mystique de la nature sauvage, qui rapproche parfois Steinbeck de D. H. Lawrence et de Walt Whitman. La réputation de l’écrivain repose maintenant sur trois livres des années 30. Mieux doué pour observer les choses que pour exposer des idées, Steinbeck mérite l’estime comme écrivain généreux et humain, qui atteint parfois une simple grandeur quand il se contente de décrire les gens du « pays ».
J. C.
J. Brown, Panorama de la littérature contemporaine aux États-Unis (Gallimard, 1954 ; nouv. éd., 1971). / E. W. Tedlock (sous la dir. de), Steinbeck and his Critics (Albuquerque, 1957). / P. Lisca, Wide World of John Steinbeck (New-Brunswick, 1958). / G. A. Astre, Steinbeck ou le Rêve contesté (Vitte, Lyon, 1963). / L. J. Marks, Thematic Design in the Novels of John Steinbeck (Mouton, La Haye, 1969). / J. Gray, John Steinbeck (Minneapolis, 1971).