stars (suite)
En France, après la révélation de Gérard Philipe dans le Diable au corps (1947), qui a fait de lui d’emblée une grande vedette, seule Brigitte Bardot a pu prétendre au titre de star. Découverte dans Et Dieu créa la femme (1956) et lancée par son époux Roger Vadim, Bardot, mariée, comme Marilyn, à un intellectuel, accéda à la fois à l’humanité la plus quotidienne et à la spiritualité (dans des films comme la Vérité [1960], Vie privée [1962] ou le Mépris [1963]). Si la jeunesse s’est immédiatement identifiée à elle, l’a adorée et imitée, l’accord entre la comédienne et son public n’a pas subsisté longtemps : le second a évolué plus vite que la première, et, contrairement à ce qui s’est produit pour Marilyn, fixée à jamais dans la légende du fait de sa fin dramatique, la vogue de Brigitte Bardot fut finalement éphémère.
En Italie, deux stars ont succédé aux rares vedettes du cinéma mussolinien : Sophia Loren et Gina Lollobrigida. Même physique opulent et même emploi. Elles sont devenues mythiques par rivalité. Et on ne peut pas dire que Claudia Cardinale ou Monica Vitti, qui leur ont succédé, soient véritablement des stars. Tout au plus de grandes vedettes, la première menant sa carrière de la légèreté à l’intellectualisme, la seconde optant pour un chemin inverse, qui l’a conduite des films d’Antonioni (L’Avventura [1959), la Nuit [1960] ou le Désert rouge [1964]) aux comédies échevelées (Moi, la femme, 1970).
Au fur et à mesure que le rythme de consommation de la société moderne s’est accru, le mythe de la star a décru, pour ne pas dire totalement disparu : le public, par manque de temps et aussi par évolution spirituelle et matérielle, n’a plus ni le goût ni le loisir d’envier, de diviniser ou simplement d’imiter tel comportement de star. Au cours de la longue période qui va de 1930 à 1960, il faut noter que l’évolution du star-system a conduit l’ensemble des spectateurs et des réalisateurs à s’intéresser au quotidien, au réalisme, à l’humanité. L’effet narcissique produit par les stars est aujourd’hui pratiquement caduc, exception faite, peut-être, pour Elizabeth Taylor ou Marlon Brando, lequel, après un long déclin, est redevenu une star depuis le Dernier Tango à Paris (1972) et le Parrain (1972). Dans le cas d’Elizabeth Taylor, qui demeure une star, anachroniquement, c’est vraiment l’exception confirmant la règle. Son mariage orageux avec Richard Burton, toute sa vie privée continuent de fasciner le public, qui poursuit un rêve à travers elle, mais qui ne va pas, pour autant, la voir au cinéma : certains parmi ses films ne sont que d’honnêtes succès commerciaux ; d’autres sont des échecs purs et simples.
La star est devenue familiale et familière ; elle peut, à présent, épouser un acteur secondaire ou un médecin, ou avoir des enfants sans se marier. Dès lors, métamorphosée en bourgeoise comme les autres (certes plus riche, mais, en apparence, peu différente), elle est devenue mortelle. Le fait qu’elle semble proche, davantage présente au milieu de nous, qu’elle paraisse partager avec le public ses problèmes sentimentaux ou domestiques n’empêche qu’on l’adore encore : dans des clubs, des associations, des magazines. Mais sans délire.
À la limite, une star, pour le rester aujourd’hui, doit presque être morte. Tyrone Power, Clark Gable, Humphrey Bogart, Marilyn Monroe ou James Dean, en qui la jeunesse du monde, sans idéal et sans autre cause que la violence et la solitude, se projeta au milieu des années 50, toutes ces stars défuntes n’ont rien perdu de leur auréole divine. Et les stars, qui ont, à leur manière, recommencé l’histoire des dieux de l’Antiquité, sont à présent ramenées à toute force sur la terre par la masse des spectateurs. À l’hystérie qu’elles provoquèrent maintes fois a maintenant succédé la nostalgie. On visite les stars comme on traverse un musée : avec respect, celui qu’on doit aux choses millénaires, anciennes ou simplement passées. Leur survivance est à ce prix.
M. G.
E. Morin, les Stars (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1957).

et
, pour qu’il soit en équilibre, il faut et il suffit que ces deux forces soient égales et opposées.