Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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stars (suite)

À Hollywood, justement, Mary Pickford (née en 1893) devient une grande vedette, puis une star. Arrachée à la Biograph par le producteur allemand Carl Laemmle, un découvreur de talents, « Little Mary » est la première star exemplaire. Son titre de « petite fiancée du monde » la destine immédiatement à la projection-identification du spectateur dans les malheurs cinématographiques qui lui arrivent, de film en film. En 1919, les contenus des films, leur réalisation et leur publicité gravitent autour du nom des stars : Pickford ou Lilian Gish (née en 1896), ou encore sa sœur Dorothy Gish. Les premières stars masculines font leur apparition ; elles ne sont pas encore des « idoles de l’amour », mais plutôt les continuateurs des héros valeureux, athlétiques et bondissants, des premières bandes. Tom Mix et surtout Douglas Fairbanks (1883-1939) connaissent la célébrité. Le Signe de Zorro (de F. Niblo, 1920), Robin des Bois (de A. Dwan, 1922), le Voleur de Bagdad (de R. Walsh, 1924) imposent Fairbanks comme l’incarnation de l’optimisme et de l’esprit d’entreprise. Cet acteur est l’archétype du héros plein de verve et de santé. C’est la star idéale.

De leur côté, les sœurs Gish ouvrent l’ère glorieuse de la vierge innocente ou mutine, aux yeux grands et crédules, aux lèvres entr’ouvertes ou gentiment moqueuses. Elles sont l’image de la candeur, qu’on retrouve dans Naissance d’une nation (1915), Intolérance (1916), Cœurs du monde (1918), le Lys brisé (1919) ou encore À travers l’orage (1920), tous de Griffith. En même temps, la vamp, issue des mythologie » nordiques, et la grande prostituée, fruit des mythologies italiennes, tantôt se confondent, tantôt se distinguent au sein de l’archétype de la femme fatale, qui devient assez rapidement universel. S’il touche peu la France, qui n’est, n’a jamais été et ne sera jamais par la suite un terrain propice à l’éclosion des stars, l’archétype atteint le Japon, où la vamp apparaît en 1922 sous les traits de Shoharo Hanayagi.

Dans les années 20, le western commence à s’épanouir, les studios prolifèrent en Californie et au héros aventurier succède (et s’ajoute) le héros d’amour, aux traits légèrement efféminés, au regard de braise. Rudolph Valentino est le prototype de cette nouvelle catégorie d’idoles. Qu’il interprète le Cheik (1922), l’Aigle noir (1925) ou le Fils du cheik (1926), il magnétise les foules du monde entier. Sa mort, en 1926, est le point culminant de la grande époque des stars. Deux femmes se suicident pour lui, et ses obsèques déclenchent une hystérie collective unique dans l’histoire du cinéma. À leur apogée sur l’écran correspond l’apogée de la vie à la fois mythique et réelle des stars d’Hollywood. C’est à cette époque que ces idoles excentriques se font construire d’incroyables châteaux, des résidences évoquant les temples antiques, avec piscines, ménageries et chemins de fer privés. L’essentiel, pour la star de ces années-là, c’est de vivre au-dessus du commun des mortels. Les stars féminines, par exemple, n’acceptent le mariage que si le conjoint est aristocrate ou prince. Rien de réaliste dans leur vie privée ne doit venir entraver l’adoration exaltée que leur vouent les foules.

Entre la vierge et la femme fatale surgit alors un animal bizarre, fabuleux et mythique : la Divine. Greta Garbo (née en 1905), mystérieuse et souveraine, piétine un peu avant de devenir vedette incontestée dans le Torrent (1926) et surtout dans la Femme divine (1927). Le cinéma, qui ne parle pas encore, s’exprime et souffre à travers elle comme il ne le fit jamais. En effet, la popularité, le rayonnement de Garbo, l’ampleur de son emprise ne seront jamais égalés, ni dans l’étendue ni dans la qualité. Perdue dans son rêve, tour à tour Anna Karenine (1927), Mata-Hari (1931), la reine Christine (1934), Marguerite Gautier (1937) ou Marie Walewska (1937), elle passe, ailleurs, totalement inaccessible. De là naîtra son divin mystère. Elle transcende la femme fatale par la pureté de son âme, le plus souvent révélée en fin de film, selon les canons habituels d’Hollywood. Trop grande pour le cinéma, c’est à peine si elle daignera tourner quelques films, comme par hasard, avant de s’enfermer dans le silence absolu. Elle reste immortelle.

À partir de 1930, cependant, le cinéma change. Les films deviennent plus complexes, plus réalistes ou plus gais, mais leur psychologie s’affine. La multiplication des thèmes au sein d’un même film correspond à la demande d’un public qui s’élargit considérablement. Les stars se doivent d’obéir à cette évolution. Les films de Marlène Dietrich (née en 1902), découverte par Josef von Sternberg, qui lui fait interpréter l’Ange bleu (1930), ne sont pas aussi simples, aussi traditionnels que ceux de Garbo. Aujourd’hui encore, on les voit avec plaisir, parce que leur baroque est profondément inscrit dans nos aspirations modernes. L’Impératrice rouge (1934), la Femme et le pantin (1935), mais aussi Shanghai-Express (1932) ou Cœurs brûlés (1931) nous fascinent toujours, parce que leur érotisme, savamment diffusé par Sternberg, n’est jamais froid. Au contraire, le caractère agressif de Marlène, s’il dérange vite le public américain de l’époque, assure à la star, à sa sensualité trouble, où le bien et le mal se combinent de façon étrange, une indiscutable éternité. Marlène symbolise encore pour beaucoup, en 1976, le rêve de la féminité mythique et humaine.

En ce qui concerne les stars masculines, l’arrivée du parlant et les exigences du public contribuent à faire des héros de l’écran des modèles combinant adroitement l’exceptionnel et l’ordinaire, l’idéal et le quotidien. L’identification de l’homme de la rue au héros de film s’appuie de plus en plus sur la réalité. Avec l’intrusion des gangsters et de la prohibition dans les films, la star perd de sa noblesse et peut même, à la rigueur, devenir vulgaire (artistiquement, bien entendu). Les canons de la beauté évoluent, et les maquillages ne tendent plus à estomper les défauts du visage, mais, au contraire, à les mettre en valeur. James Gagney, George Bancroft, Wallace Beery, George Raft ou Edward G. Robinson ne sont pas des adonis du style de Valentino, mais affirment leur virilité : Scarface (1932), en la personne de Paul Muni, fournit l’exemple type du héros incarnant le mal, la noirceur et la trivialité.