Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

stalinisme (suite)

On voit ici que le stalinisme n’est pas une déviation, mais la négation complète de la dictature du prolétariat : au lieu de l’exercice direct du pouvoir par le peuple en armes et de la disparition de l’État, il met le pouvoir absolu de l’État sur le peuple. On juge aussi de son usage du marxisme : invoqué comme une référence sacrée, le marxisme subit une lecture qui en change complètement le sens. Au lieu d’être la science dont le prolétariat allait se servir pour réaliser son émancipation, il devient le savoir qui cautionne le pouvoir de ses maîtres, l’idéologie de la raison d’État et du parti.

Dans les rapports de production, dans les institutions politiques et dans l’idéologie, il n’a fait que reproduire sous le signe de la révolution le principe capitaliste de domination et de hiérarchie, le principe du pouvoir. Il a pu le faire en poussant à ses ultimes conséquences le principe léniniste : il faut au prolétariat un parti d’avant-garde. Car, au regard d’une avant-garde, le prolétariat sera toujours immature et irresponsable. Finalement, de classe ouvrière en parti de la classe ouvrière, de parti en comité central, on aboutit naturellement à l’autorité inconditionnelle du chef qui sait et décide. Que celui-ci le fasse au nom du marxisme ne signifie pas qu’il en ait maintenu l’acquis, même sous une forme dogmatique, car une idéologie ne se juge pas aux textes qu’elle invoque, mais à la fonction sociale à laquelle elle les fait servir, après les avoir interprétés. Le marxisme, sous Staline, devient le savoir absolu des lois de la nature et de la société. L’histoire a un sens nécessaire et providentiel ; l’économie en est le premier moteur, le parti en est la conscience et l’agent, et l’État en est la réalisation. Le militant révolutionnaire a donc le droit de parler au nom de l’histoire et de diriger la libération des autres.

Mais comment le prolétariat russe, capable de renverser le tsarisme et de mettre en place son pouvoir direct sous la forme de soviets, s’est-il laissé, sous Staline, déposséder de sa révolution ? Cette question oblige à se demander si l’existence de l’État dérive seulement de la division de la société en classes antagonistes, ou s’il répond à un besoin social d’être à la fois pris en charge et soumis aux contraintes par une incarnation de l’autorité.

A. S.

➙ Marxisme / Staline.

 R. Luxemburg, Die russische Revolution. Eine kritische Würdigung (Berlin, 1922, nouv. éd., Francfort, 1963 ; trad. fr. la Révolution russe, Maspero, 1964). / Histoire du parti communiste (bolchevique) de l’U. R. S. S. (Éd. de Moscou, 1939). / H. Marcuse, Soviet Marxism (New York, 1958 ; trad. fr. le Marxisme soviétique, Gallimard, 1963). / H. Arendt, The Origins of Totalitarism (Londres, 1967 ; trad. fr. le Système totalitaire, Éd. du Seuil, 1972). / K. Modzelewski et J. Kuroń, Lettre ouverte au parti ouvrier polonais (trad. du pol., Maspero, 1969). / R. Medvedev, le Stalinisme, origine, histoire, conséquences (trad. du russe, Éd. du Seuil, 1972). / L. Althusser, Réponse à John Lewis (Maspero, 1973). / C. Castoriadis, la Société bureaucratique (U. G. E., 1973 ; 2 vol.). / D. Desanti, les Staliniens (Fayard, 1975). / J. Elleinstein, Histoire du phénomène stalinien (Grasset, 1975).

Stanislas Ier Leszczyński

(Lwów 1677 - Lunéville 1766), roi de Pologne en titre de 1704 à 1766, en fait de 1704 à 1709 et de 1733 à 1736, et duc de Lorraine et de Bar après 1738.



Un magnat polonais aux grandes espérances

Issu d’illustre noblesse de Grande-Pologne, Stanislas fait d’excellentes études, qu’il complète, selon l’usage de l’aristocratie polonaise, par des voyages en Europe et un séjour en France. Il entre dans la vie publique dès l’âge de dix-neuf ans, dans le sillage du puissant palatin de Posnanie, son père. À la Diète d’élection de 1696, qui choisit un successeur à Jean III Sobieski, il se distingue comme partisan de l’Électeur de Saxe, Auguste II, qui le nomme grand échanson de la Couronne (1698). Il succède à son père comme palatin de Posnanie et sénateur (1703) : son union avec Catherine Opalińska fait de lui alors un des plus riches magnats de toute la République. Il s’affirme déjà dans l’opposition déchaînée par les entreprises dynastiques d’Auguste II, qui attaque la Suède avec le tsar Pierre le Grand et, sans l’avoir consultée, entraîne la Pologne dans la deuxième guerre du Nord. Leszczyński prend la tête du parti prosuédois, négocie en son nom avec le vainqueur et pousse la Confédération générale de Varsovie à proclamer la déchéance du roi saxon (14 févr. 1704).


Les tribulations d’un médiocre antiroi

Charles XII* utilise l’ambitieux : sous la pression des troupes suédoises, à peine huit cents nobles assemblés élisent Leszczyński roi de Pologne le 12 juillet 1704. Dépourvu de tout appui hors de sa province, faible et malléable, celui-ci dépend entièrement de Charles XII pour s’imposer au pays, qu’il livre au roi de Suède, comme son rival le livrait au tsar. Cracovie restant aux mains des Saxons, il est couronné à Varsovie le 4 octobre 1705 ; les partisans des deux rois s’affrontent en marge du conflit majeur russo-suédois. Charles XII contraint Auguste II à abdiquer la couronne de Pologne (2 sept. 1706), ce qui rallie à Stanislas la majorité des magnats. Mais la masse nobiliaire reproche à ce dernier les pillages commis par les Suédois et se tourne vers le tsar, décidé à abattre, avec Leszczyński, le parti qui rêve de recouvrer la rive gauche du Dniepr. Après Poltava (1709), Leszczyński s’enfuit en Suède. Charles XII fait de lui le chef nominal de l’expédition contre la Poméranie (1712) : au lieu de combattre, Stanislas négocie avec son rival, prêt à abdiquer pour recouvrer ses biens de Grande-Pologne. Il va en Bessarabie quêter l’assentiment de Charles XII et y reste prisonnier des Ottomans, prompts à l’utiliser à leurs propres fins. Libéré en 1714, il reçoit, grâce au roi de Suède, la principauté de Deux-Ponts, qu’il doit quitter à la mort de Charles XII en 1718 ; le Régent l’établit à Wissembourg. Sans ressources, toujours menacé par les intrigues de la cour de Saxe, il inonde les rois ses « cousins » d’appels à la pitié.