Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Staline (Joseph [Iossif] Vissarionovitch Djougatchvili, dit) (suite)

Quand Lénine redevient clandestin à la fin de juillet 1917, il dirige le parti ; de nombreux leaders, Kamenev et Trotski, entre autres, sont emprisonnés. Malgré la répression, l’influence bolchevik se développe rapidement chez les ouvriers, dans l’armée et même chez les paysans. Le gouvernement provisoire, dirigé depuis le 6 août (24 juill.) par Kerenski*, se refuse à mettre fin à la guerre et mécontente une opinion de plus en plus sensible au mot d’ordre de paix.

En septembre 1917, le commandant en chef de l’armée, le général Kornilov, tente avec la complicité du gouvernement provisoire un coup d’État destiné à instaurer une dictature militaire antibolchevik. Les bolcheviks organisent la lutte contre Kornilov et réussissent à mettre en échec le coup d’Etat. En même temps, ils deviennent majoritaires aux soviets de Petrograd et de Moscou ainsi que dans un grand nombre de soviets de villes et de régiments.

C’est alors que Lénine, toujours dans la clandestinité, propose la préparation d’une insurrection destinée à éliminer le gouvernement provisoire, complice du coup d’État militaire. Il faudra près d’un mois au Comité central du parti bolchevik pour se décider : ce sera chose faite le 23 (10) octobre 1917. Pendant cette période, Staline est, avec Iakov Mikhaïlovitch Sverdlov (1885-1919) et Trotski*, un des plus solides soutiens de Lénine. Il ne joue pas cependant dans la préparation de l’insurrection un rôle dominant, du moins pas aussi important qu’il ne le prétendra plus tard, mais sans doute plus essentiel que ne le dira Trotski. Représentant du parti au comité révolutionnaire du soviet de Petrograd et membre du Bureau politique du parti, organisme qui vient d’être créé au sein du Comité central, il est à Smolnyï (quartier général de l’insurrection) un des principaux agents d’exécution du parti.

Au lendemain de la révolution d’Octobre, lorsque le Conseil des commissaires du peuple (en fait le gouvernement) est constitué, Staline est nommé commissaire aux nationalités. Ce poste peut apparaître comme secondaire. En réalité, il est délicat et important car l’Empire russe était avant la Révolution une mosaïque de nationalités extrêmement diverses. Le nouveau pouvoir soviétique va, dès le 15 (2) novembre, proclamer les droits des peuples de Russie :
« 1o égalité et souveraineté des peuples de Russie ;
« 2o droit des peuples de Russie de disposer d’eux-mêmes jusqu’à séparation et constitution d’un État indépendant ;
« 3o suppression de tous les privilèges nationaux ou religieux ;
« 4o libre développement des minorités nationales et groupes ethniques habitant le territoire russe. »

Ces principes posés, il reste à les appliquer, et ce n’est pas chose facile. Les puissances étrangères utilisent la situation pour renforcer leurs positions dans les anciennes colonies russes. Ici et là, les nationalistes de droite combattent les bolcheviks, souvent encore très faibles dans certaines régions périphériques de l’Est (en Asie moyenne), dans le Caucase et même en Finlande. Enfin, la guerre civile menace de toutes parts, et l’intervention étrangère se poursuit jusqu’en mars 1918 ; le conflit continue avec l’Allemagne, et celle-ci, même après la signature du traité de Brest-Litovsk, poursuit ses opérations en Ukraine. Après le 11 novembre 1918, Britanniques et Français relaieront Allemands et Turcs.

Staline, dans la mission qui lui est confiée, fait preuve de patience et de compréhension, du moins dans les premières années du nouveau régime. Sa position personnelle est forte, encore qu’obscure. Un des quatre membres de l’exécutif du Comité central désigné après la Révolution (avec Lénine, Trotski et Sverdlov), Staline est également nommé représentant du parti bolchevik à l’exécutif du Conseil des commissaires du peuple (une sorte de cabinet restreint qui groupe trois bolcheviks, Lénine, Trotski et Staline, et deux socialistes-révolutionnaires de gauche). C’est dire qu’il est en fait, après Lénine et Trotski, l’un des premiers dirigeants de la Russie soviétique. Au moment des discussions fort vives qui opposent entre eux les dirigeants bolcheviks avant la signature de la paix de Brest-Litovsk, Lénine est longtemps mis en minorité, mais Staline est un de ceux qui le soutiennent.

La guerre civile, cependant, s’étend et, dès l’été de 1918, elle fait rage sur tout le territoire de l’ancien Empire tsariste. Comme tous les dirigeants bolcheviks, Staline se rend alors sur le front. À l’origine, il est chargé d’assurer le ravitaillement en blé de la capitale, et son quartier général se trouve sur la Volga, à Tsaritsyne, la future Stalingrad. En octobre-novembre 1919, les armées blanches, après de violents combats, subissent une défaite écrasante. Trotski, commissaire du peuple à la Guerre, et Staline se disputeront les honneurs de la victoire. Les controverses sur le rôle exact de Staline dans la bataille de Tsaritsyne ne sont pas près d’être terminées.

Rappelé à Moscou avec tous les honneurs de la guerre, Staline repart à plusieurs reprises pour le front en 1919 contre Denikine, puis en 1920 lors de la campagne de Pologne. Décoré de l’ordre du Drapeau rouge, il n’a, sans doute, pas la popularité de Trotski au lendemain de la guerre civile, mais il apparaît dans les cercles dirigeants bolcheviks comme un organisateur efficace et un dirigeant capable. C’est pourquoi Lénine, tout en lui laissant le commissariat du peuple aux nationalités, lui confie la direction de l’Inspection ouvrière et paysanne, un organisme de contrôle important à ses yeux et destiné à lutter contre la bureaucratie.

Vainqueurs, les bolcheviks se trouvent à la direction d’un pays ruiné, après quatre ans de guerre étrangère et trois ans de guerre civile. Il y a eu au total, de 1914 à 1921, plus de 13 millions de victimes, dont 8 millions au cours de la terrible famine de l’hiver de 1921-22. L’industrie n’existe pratiquement plus, et l’agriculture est tellement médiocre qu’à peine la moitié des terres cultivées en 1913 sont ensemencées en 1921. À l’héritage déjà lourd du tsarisme (avec l’arriération culturelle en particulier) s’ajoutent ceux de la guerre. La Russie soviétique, d’autre part, reste isolée. À ses frontières, les grandes puissances établissent un « cordon sanitaire » destiné à contenir le « péril bolchevik ». Reconnue seulement en 1924 par la France et la Grande-Bretagne, l’U. R. S. S. ne le sera qu’en 1933 par les États-Unis. On ne doit pas perdre de vue tous ces faits quand on étudie l’activité de Staline à partir de 1922. Ceux-ci ne justifient rien, mais ils permettent de mieux comprendre.