Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Sparte ou Lacédémone (suite)

Le responsable de cette première réforme aurait été Lycurgue, un personnage mythique auquel la tradition attribue la création de toute la Constitution spartiate. C’est ainsi que Polybe écrit : « Voilà comment Lycurgue, grâce à la Constitution qu’il a élaborée, a pu assurer aux Lacédémoniens une liberté qui s’est maintenue chez eux plus longtemps que chez aucun autre peuple. C’est en raisonnant qu’il a réussi à discerner par anticipation la provenance de chaque régime et le sens dans lequel, selon la nature des choses, il devrait évoluer. Il a pu ainsi concevoir son système sans passer par de rudes épreuves. » (Histoire.)

Mais ce n’est, justement, que dans la nouvelle guerre que naquit l’Eunomia, la « bonne Constitution » qui s’imposa vers 550 av. J.-C. (au temps de Chilon, l’un des Sept Sages) : les citoyens, qui s’aperçurent alors du danger mortel que leur faisait courir l’existence des hilotes et qui ne voulaient pas les associer à leurs privilèges, renforcèrent les prérogatives de l’État ; ils dotèrent la cité d’un conseil de cinq éphores, chargés de veiller à l’application des lois, dont ils furent d’ailleurs les seuls interprètes ; chacun se mit désormais au service exclusif de la cité, devenant un soldat et toujours prêt à la défendre ; « furent alors bannis comme étrangers à Sparte les arts inutiles et superflus [...] ; ne vinrent plus en Laconie ni rhéteur, ni devin charlatan, ni proxénète, ni trafiquant de bijoux d’or et d’argent [...]. Le luxe, dépouillé peu à peu de ce qui l’animait et l’alimentait, se flétrit de lui-même. » (Plutarque, Vie de Lycurgue.) Sans qu’il faille exagérer la brutalité du phénomène, les réformes politiques tarirent toute vitalité économique. Sparte ne sera plus jamais le centre de la Grèce ; unis dans la rigidité par leur peur de l’évolution, les Spartiates maintiendront par leur sacrifice quotidien la forme d’un État dont l’archaïsme a fait peut-être la grandeur.


Les institutions

Les Spartiates sont les seuls citoyens de plein droit dans l’État lacédémonien. Ils sont dits « égaux » (homoioi), car ils ont tous le droit de participer aux réunions de l’apella ; chacun d’eux jouit des revenus d’un klêros (lot de terre), dont la répartition originale fut, dit la tradition, l’œuvre de Lycurgue. Leur vie se passe tout entière au service de la cité ; ils sont en principe, grâce au travail des hilotes, dégagés de tout souci personnel.

Le Spartiate est, dès la naissance, soumis à une dokimasia (examen), qui écarte, en les exposant sur le Taygète, les bébés inaptes pour cause de malformation à une future vie militaire. À sept ans, les enfants, quittant leur famille, sont intégrés à l’agôgê, le cycle de formation que, de classe en classe, ils suivront jusqu’à dix-huit ans. Les jeunes filles ne sont pas oubliées (au contraire de ce qui se passe ailleurs en Grèce), mais, quoique sportives, et participant aux diverses panégyries, elles ne subissent pas un entraînement aussi dur et constant que celui des garçons. Jusqu’à l’âge de douze ans, les enfants sont instruits dans les arts musicaux, acquièrent le sens de la danse et des mouvements d’ensemble, mais leur éducation purement intellectuelle paraît être quelque peu négligée. À partir de douze ans commence une vie extrêmement difficile : peu vêtus, mal nourris, les jeunes doivent obéir sans murmure aux ordres des meilleurs d’entre eux, promus instructeurs, et à leurs maîtres ; il sauront mourir s’il le faut et se préparent à devenir les meilleurs soldats de la Grèce. La compétition permanente entre les membres d’une même classe d’âge permet à une élite de se dégager, élite à laquelle est réservée l’épreuve décisive de la cryptie : pendant plusieurs mois, le jeune soldat peut être envoyé, livré à lui-même, muni d’un seul poignard, dans la campagne, où il fait, par des raids d’assassinat, régner la crainte parmi les hilotes, prouvant par son habileté et son endurance ses capacités de combattant.

Adultes et même mariés, les Spartiates ne quittent pas la caserne. Ce n’est qu’à l’âge de trente ans qu’ils peuvent rejoindre leurs foyers et vivre avec les leurs, menant un semblant d’existence familiale. Néanmoins, c’est au mess qu’avec leurs compagnons d’armes ils prennent leurs repas (syssitie), et ce jusqu’à l’âge de soixante ans. Se dérober ou n’être plus en mesure d’assurer le versement de la contribution exigible pour le pot commun provoque la déchéance civique et l’entrée dans le clan des hypoméiones, inférieurs d’autant plus aigris qu’ils connaissent la valeur des privilèges dont on les frustre (l’existence d’une classe de pauvres peut étonner dans une cité dont les citoyens se targuent d’être égaux, mais il faut tenir compte de ce que l’absence de répartitions régulières des klêroi défavorise les familles nombreuses et du fait que les riches de l’époque archaïque ont conservé des propriétés, tandis que le premier partage des lots ne touchait que les plaines de Laconie et de Messénie).

Chaque citoyen a le droit, dès l’âge de trente ans, de participer aux réunions de l’apella ; celle-ci siège en plein air ; les participants restent debout et ne jouissent d’aucune des aises qui permettraient un travail sérieux. L’apella n’est guère qu’une chambre d’enregistrement, toutes les décisions étant préparées par les autres instances de l’État. Elle joue néanmoins un grand rôle, puisqu’elle élit les membres de la Chambre haute, le Conseil des Anciens et les cinq éphores ; le vote se fait par acclamations.

Les Anciens, personnages de plus de soixante ans, désignés en récompense de leurs vertus, sont vingt-huit ; ils préparent les projets de décrets qui seront soumis à l’apella, souverainement puisqu’il ne semble pas que cette dernière ait le droit d’amendement. Avec eux siègent les deux rois : à Sparte, en effet, depuis les origines, régnent deux rois se succédant héréditairement, l’un dans la famille des Agiades, l’autre dans celle des Eurypontides. Cette dyarchie (qui permet, par ailleurs, de se rendre compte de l’inégalité qui existe malgré tout dans le groupe des égaux) est unique dans le monde grec, et donc tout à fait inexplicable, d’autant que l’évolution a amoindri les prérogatives royales ; à l’époque historique, outre un rôle délibératif, la fonction des deux rois est de conduire chacun à son tour le commandement des armées, de procéder aux sacrifices qui garantissent l’existence de l’État.