Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Spaak (Paul Henri) (suite)

P. H. Spaak, un penseur ? Certainement pas. Mais un diplomate et un grand orateur, dont l’évolution, au cours d’une vie où il fut vingt années ministre des Affaires étrangères, n’est pas sans rappeler celle que suivit Aristide Briand. Certains lui ont reproché d’avoir été versatile. D’autres répondent que c’était la conséquence d’une intelligence ouverte, d’un empirisme supérieur qui, souvent, connaissaient le doute, mais qui, une fois la décision prise, restaient fidèles à l’engagement aussi longtemps que les circonstances n’avaient pas fondamentalement changé.

G. L.

➙ Belgique / Socialisme.

Spartacus

Chef des esclaves révoltés († Lucanie 71 av. J.-C.).


Son nom est resté la personnification même de la révolte sociale. Il fut le parrain de quelques jacobins et babouvistes, et les sociaux-démocrates allemands d’extrême gauche se donnèrent en 1916 le nom de spartakistes : le fondateur du groupe (Spartakusbund, 1916-1918), Karl Liebknecht, avait pris momentanément le pseudonyme de Spartakus.

La révolte d’esclaves dont Spartacus fut le meneur n’était pas la première. Le monde hellénistique nous a laissé l’écho très amorti de quelques secousses locales. En Sicile, le Syrien Eunous, qui s’était fait roi, mena une révolte servile qui dura deux ans (135-133 av. J.-C.). En fait, ces mouvements d’esclaves furent souvent récupérés par des hommes politiques, chez lesquels l’idéologie égalitaire était absente et qui enrôlaient les révoltés pour accroître leur puissance militaire. Ce fut le cas avec Caius Marius*. Aristonicos, fils naturel du roi de Pergame* Eumenês II, se révolta contre la domination romaine, entraîna avec lui les esclaves, en les affranchissant et en leur promettant la création d’une cité égalitaire (131-127). À cette époque, une bouffée d’égalitarisme effleura quelques personnes cultivées, à l’instigation de philosophes, tel Blossios de Cumes, qui fut le maître de Tiberius Sempronius Gracchus, avant de mourir au service d’Aristonicos.

De vraies révoltes serviles éclatèrent en Campanie et en Sicile en 104 : les abus des maîtres les justifiaient.

D’aucuns pensent que Spartacus descendait de la dynastie des Spartokides du royaume du Bosphore. Les auteurs anciens le décrivent comme un ancien berger thrace, un ancien déserteur, un ancien brigand, réduit en servitude et devenu gladiateur à Capoue. Son nom figure sur un dessin mural de Pompéi, datable de l’époque de la révolte : Spartacus est représenté battu par un champion local.

Il prend la tête des deux cents gladiateurs capuans qui, mécontents de la façon dont ils sont traités par leur patron, envisagent de s’évader. Leurs armes ayant été confisquées, ces gladiateurs sont cependant soixante-treize, dit-on, à s’échapper. Après quelques pillages et escarmouches qui leur procurent des armes, ils s’e retirent sur la forteresse naturelle que constitue le Vésuve. Sur ses pentes raides, ils tiennent en échec une petite armée. Des esclaves fugitifs viennent alors les rejoindre massivement, et c’est une véritable guerre qui va désormais se dérouler de 73 à 71.

Les détachements romains sont battus les uns après les autres. Spartacus se replie dans les collines plus accueillantes de l’intérieur, vers le Samnium. Sa troupe grossit sans cesse : encombrée de femmes, elle est armée de bâtons et indisciplinée à souhait. Elle se ravitaille en saccageant champs et villages. Spartacus aurait imaginé d’entraîner sa horde hors de l’Empire, vers les libres pays barbares. Ceux qui le suivent dans sa migration vers le Nord réussissent à battre de nouvelles troupes romaines, spécialement levées. Spartacus s’offre un triomphe de gladiateur dans les Abruzzes en contraignant à s’entre-tuer 400 des légionnaires capturés. Passé le Rubicon, il défait encore une armée romaine, mais ne trouve plus dans la plaine padane, passée la saison des récoltes, de quoi entretenir une horde que les Anciens disaient être de 100 000 hommes. Il reprend alors le chemin de l’Italie péninsulaire. Rome tremble comme si c’était Hannibal : à juste titre, car Spartacus parvient à regagner la Lucanie. Le prêteur Marcus Licinius Crassus Dives, héritier d’une fortune unique à l’époque, qu’il avait grossie à l’occasion des désordres des guerres civiles, entreprend à la fois de satisfaire ses ambitions politiques et de sauver ses propres affaires : il propose de financer l’enrôlement de soldats et obtient des pouvoirs exceptionnels. Disposant de dix légions, il maintient son autorité par des exécutions sans pitié et fait de grands massacres des révoltés, qui se sont séparés en plusieurs corps. Spartacus juge prudent d’envisager un repli sur la Sicile, où trouver blé et sympathisants. Mais les bateaux lui font défaut, et il trouve en face de lui un gouverneur de Sicile résolu, qui n’est autre que le célèbre concussionnaire Verres.

Il est isolé dans les forêts de la Sila, entre la mer et les soldats de Crassus, qui creusent un fossé de 55 km, doublé d’une palissade, au travers de l’isthme. Ne pouvant tenir longtemps, car l’hiver est arrivé, il tente sorties et négociations, mais en vain, puis réussit à faire franchir subrepticement la fortification au tiers de son effectif, de nuit, sous une tempête de neige. Crassus lâche le blocus pour se lancer à leur poursuite et demande de l’aide. Néanmoins, il bat ici et là les révoltés, qui se sont dispersés, et, à la nouvelle que Pompée* marche à son secours, il se hâte d’en finir en un combat où périt Spartacus lui-même, dans un lieu non identifié. Il peut s’estimer vainqueur (début 71). Il rentre à Rome et fait crucifier tout au long de son chemin 6 000 prisonniers. En Étrurie, Pompée s’attribue cependant la victoire finale, en exterminant une des dernières bandes.

Les faits, tels qu’ils sont rapportés, prêtent peu à discussion. Le détail en reste irrémédiablement flou. Mais l’intérêt de nos contemporains pour cet épisode hors série de l’histoire ancienne leur a inspiré — outre des œuvres littéraires, dont la plus familière est celle d’Arthur Koestler — des considérations sur l’essence même de la révolte et sur ses faiblesses. Pour certains, Spartacus a échoué parce qu’il avait Rome pour adversaire et que l’issue du combat était ainsi assurée. Pour d’autres, il a été défait parce qu’il avait rangé sous la même bannière des groupes sociaux dont les intérêts étaient différents : paysans dépossédés et esclaves en colère, prisonniers de guerre et prisonniers pour dettes.

R. H.