Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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sous-marin (suite)

Du « Nautilus » de Fulton au « Plongeur » de Bourgeois

Avec le Nautilus, le sous-marin aborde une période préindustrielle, car son créateur, Robert Fulton (1765-1815), est d’abord un ingénieur doublé d’un homme d’affaires. En 1797, ce dernier propose au Directoire de construire des sous-marins pour détruire les vaisseaux anglais. Son projet, d’abord accepté, est rejeté. Enfin, patronné par des savants (Monge) et des industriels, Fulton obtient que les plans du Nautilus soient réalisés au Havre. Il a connu Bushnell et s’est inspiré de son œuvre. Il a inventé le gouvernail horizontal de plongée, et le dôme sphérique garni de hublots annonce le kiosque. Servi par trois hommes, le Nautilus est armé d’une mine qui peut être posée au contact de la coque d’un vaisseau. Bonaparte accorde l’autorisation de construction, et les expériences commencent dans la Seine à Paris, où le Nautilus plonge 45 minutes, et continuent au Havre, puis le long du Cotentin. En 1802, la paix d’Amiens met un terme à ces essais, et Fulton part pour l’Angleterre, où son projet n’est pas adopté.

On attendra 1860 pour qu’une nouvelle expérience soit tentée en France avec la mise en chantier du Plongeur du commandant Pierre Joseph Bourgeois (1769-1851), dont le plan est de Charles-Marie Brun (1821-1897). Il s’agit d’un bâtiment en fer de 44 m de long, déplaçant 420 t et doté d’un appareil moteur fonctionnant à l’air comprimé d’un type entièrement nouveau. Le Plongeur a la forme d’un cigare de 2 m de diamètre, muni d’une hélice à quatre pales. Sa coque est divisée intérieurement en quatre compartiments par des cloisons étanches. Elle comprend des ballasts et des caisses de réglage d’où l’on peut chasser l’eau grâce à l’air comprimé, qui assure la propulsion. La machine de 80 ch à 4 cylindres occupe un espace de 3 m de long sur 1 m de large, et l’échappement se fait à l’intérieur, ce qui fournit de l’air frais et crée une surpression qui empêche toute rentrée d’eau. Le bâtiment plonge en admettant 33 t d’eau dans ses ballasts jusqu’à un maximum de 12 m pour que la contre-pression ne diminue pas trop la puissance du moteur. Dans le compartiment central sont groupés les instruments de navigation : manomètre, deux compas magnétiques, pendule d’assiette, inclinomètre ainsi qu’un réseau de porte-voix. Après avoir songé à l’éclairage électrique par piles, on adopte des fanaux à bougies. Le Plongeur commence ses essais en 1863 dans les bassins de Rochefort, puis en 1864 à la mer. C’est un succès ; la vitesse atteint 4 nœuds, et le rayon d’action 7,5 milles marins à 2,4 nœuds, soit 3 heures de plongée. La sécurité est très bien assurée, mais l’évacuation de l’air du moteur a l’inconvénient de signaler par des bulles la présence du sous-marin en plongée. Enfin, la tenue de l’immersion demeure médiocre par suite de l’insuffisance des barres de plongée. Les ballasts, dépourvus de purge, conservent des poches d’air gênantes ; le Plongeur, qui consomme 12 t d’air, s’allège régulièrement, et il faut compenser en permanence, ce qui inspire à l’ingénieur Henri Dupuy de Lôme (1816-1885) la certitude que le sous-marin ne sera vraiment possible que du jour où l’on disposera d’un moteur de poids invariable au cours de son fonctionnement. Il faudra attendre pour cela la dynamo Gramme. Les essais du Plongeur, qui sera désarmé en 1867, permettront la mise au point des dispositifs indispensables à la réalisation d’un vrai sous-marin.


La mise au point du sous-marin : le « Gymnote » (1888)

Vers 1885, on éprouve en France un grand engouement pour les petits bâtiments de guerre armés de torpilles, et il apparaît que le sous-marin pourrait utilement employer de telles armes. L’amiral Hyacinthe Théophile Aube (1826-1890), ministre de la Marine, acquis aux idées nouvelles, commande le Goubet et fait mettre sur cale le Gymnote. Du nom de son créateur Claude Désiré Goubet (1838-1903), le premier, inspiré des engins de l’ingénieur polonais Stefan Drzewiecki (1844-1938), est un très petit bâtiment de 5,60 m de long et de 1,50 m de large, où deux hommes prennent place. Sa coque, en bronze coulé, est en forme de cigare, et le sous-marin est armé de mines largables sous un navire. Sa propulsion, assurée par un moteur électrique de 1 ch, alimenté par 60 piles, lui permet d’atteindre 4 nœuds pendant 8 heures. Les essais du Goubet, satisfaisants au bassin, furent insuffisants à la mer, car le sous-marin n’avait aucune stabilité de route.

Dès 1888, cependant, commencèrent ceux du Gymnote, le premier sous-marin au monde qui réussit à naviguer correctement en plongée à immersion constante et suivant une route précise. Les plans avaient été tracés par Gustave Zédé (1825-1891) suivant les idées de Dupuy de Lôme, le créateur du cuirassé*, et l’amiral Aube avait décidé la mise en chantier en novembre 1886. L’ingénieur Gaston Romazotti (1855-1915) fut chargé du projet, et le commandant Krebs de la propulsion électrique. Le Gymnote a la forme d’un petit dirigeable ; sa coque, en acier, calculée pour une immersion de 75 m, mesure 17,20 m de long et 1,80 m de diamètre. Son moteur électrique, de 51 ch, est alimenté par 540 accumulateurs, d’un poids de 9,5 t à liquide basique pour éviter les corrosions de métal. Il suffit, pour plonger, d’introduire 1 400 litres d’eau. Après des essais pleinement satisfaisants, poursuivis jusqu’en 1890, le Gymnote est armé en personnel, et le lieutenant de vaisseau Pierre Darrieus (1859-1931), qui en reçoit le commandement, fera faire à la navigation sous-marine des progrès extraordinaires. Tout d’abord, il fait mettre au point le périscope nécessaire à la navigation en plongée, qui, en 1900, aboutit à l’appareil très remarquable de l’ingénieur Jules Carpentier (1851-1921). Il pousse également à la réalisation pratique du kiosque, indispensable à la navigation en surface et où se tient le commandant. C’est encore à Darrieus qu’en 1893 la bonne tenue du bâtiment en immersion doit sa solution : au gouvernail horizontal placé à l’arrière s’ajouteront une paire de barres horizontales placées au centre, puis une autre à l’avant pour faciliter la prise de plongée et la tenue d’une immersion constante. Le moteur électrique Krebs est remplacé par un Sautter-Harlé de 90 ch, et, à la suite des travaux de Darrieus, on a adopté une batterie d’accumulateurs au plomb qui tiennent mieux la charge. En 1898, le Gymnote est armé de deux torpilles supportées par des appareils à griffes extérieurs à la coque. Désormais, apte au combat, il ne disparaîtra des contrôles de la flotte active qu’en 1907.