Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sorel (Georges) (suite)

La grève générale donnera aux masses l’énergie nécessaire. Il n’est pas indispensable que cette grève surgisse un jour. Il est suffisant qu’on croie qu’elle surgira. Ainsi, l’espoir d’un prompt retour du Christ soutint les premiers chrétiens au temps des persécutions. La violence n’est-elle pas le seul moyen dont disposent les nations européennes abruties par l’humanitarisme pour retrouver leur ancienne énergie ? La bourgeoisie elle-même se rachètera, en se défendant énergiquement, de la nonchalance passée et présente. Elle pourra porter le capitalisme à son plus haut degré de développement. Or, il est essentiel que la Révolution ne se produise pas en une période de décadence économique. Le catholicisme* social de Léon XIII et de l’encyclique Rerum novarum paraît à Sorel, en ce temps, une expression de la décadence bourgeoise.


Inquiétudes et nouvelles recherches de la vérité

Mais bientôt Georges Sorel se détourne du syndicalisme, auquel il ne pardonne pas de préconiser le néo-malthusianisme et le sabotage et dont les échecs successifs en 1909 et 1910 (notamment lors de la grève des cheminots) montrent qu’il ne détient pas la force absolue.

Un de ses disciples, Georges Valois, l’entraîne vers l’Action française, organe des royalistes Léon Daudet et Charles Maurras. Il y publie un article sur le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (avr. 1910). Dans une lettre du 25 janvier 1911, il écrit : « Le socialisme n’a plus d’idées. Le socialisme, en tournant à la politique, perd le moyen de se former une telle idéologie. Le syndicalisme a pu un moment paraître propre à avoir une idéologie élevée. Mais il est tombé entre les mains d’hyperdémagogues qui ne comprennent pas la valeur des idées. »

En août 1914, Sorel reste réfractaire à l’« Union sacrée » ; il paraît ne voir dans la guerre qui commence qu’un affrontement entre la finance anglo-saxonne et l’état-major de Berlin, pour lequel il a quelque sympathie (il est aussi devenu antisémite). À partir d’octobre 1917, ses sympathies vont au bolchevisme de Lénine, auquel il sait gré d’avoir balayé le parlementarisme naissant. Pour lui, la formule « tout le pouvoir aux Soviets » est un retour à Proudhon. Mais Lénine refuse ce parrainage. En revanche, Mussolini* — qui a été syndicaliste révolutionnaire et qui a lu Sorel — se réclamera de lui.

G. L.

 G. Pirou, Georges Sorel (Rivière, 1927). / P. Lasserre, Georges Sorel, théoricien de l’impérialisme (l’Artisan du Livre, 1928). / E. Berth, Du « Capital » aux « Réflexions sur la violence » (Rivière, 1932). / M. Freund, Georges Sorel. Der Revolutionäre Konservatismus (Francfort, 1932). / P. Angel, Essai sur Georges Sorel. Vers un idéalisme constructif (Rivière, 1936). / V. Sartre, George Sorel (Spes, 1938). / J. Deroo, Une expérience sociologique. Georges Sorel, le renversement du matérialisme dialectique (Rivière, 1939). / R. Humphrey, Georges Sorel, Prophet without Honor. A Study in Anti-Intellectualism (Cambridge, Mass., 1951). / P. Andreu, Notre maître Monsieur Sorel (Grasset, 1953). / G. Goriely, le Pluralisme dramatique de Georges Sorel (Rivière, 1962).

Sorokin (Pitirim Alexandrovitch)

Sociologue américain d’origine russe (Touria, Russie, 1889 - Winchester, Massachusetts, 1968).


Secrétaire de Kerenski en 1917, Sorokin s’installe aux États-Unis en 1923. Naturalisé américain, il crée dès 1931 le département de sociologie de l’université Harvard et, en 1949, crée le Harvard Research Center in Creative Altruism. Il préside de 1963 jusqu’à sa mort l’American Sociological Association.

Publié en 1927, son premier ouvrage, Social Mobility, concentre l’attention sur les divers aspects de la mobilité* sociale « verticale ». Dans le sens ascendant ou descendant, celle-ci réside dans le déplacement d’un individu d’un statut à un autre, ou bien dans le changement de niveau du groupe dans lequel est inséré l’individu. La mobilité sociale n’est jamais nulle, ni totalement assurée. Pour chaque société, il convient par conséquent, selon Sorokin, de mesurer le degré de mobilité et d’envisager les mécanismes qui la favorisent ou ceux qui, au contraire, semblent lui faire obstacle. À cet égard, il distingue trois voies centrales de recherches. La première envisage l’étude des principaux canaux de la mobilité verticale : ainsi, pour les sociétés anciennes, l’armée, le clergé ; l’école dans la Chine traditionnelle ; dans les sociétés modernes, notamment les sociétés occidentales, les organisations professionnelles, la famille, l’institution du mariage, etc. Une seconde voie de recherches se donne pour objet l’ensemble des mécanismes de sélection qui, en principe, ouvrent les voies de l’ascension sociale, à l’intérieur de l’institution familiale ou scolaire par exemple. Enfin, une troisième orientation doit mettre en lumière les différents facteurs de la mobilité, tel, par exemple, le facteur démographique : un affaiblissement numérique dans une strate supérieure crée un appel dont bénéficient les strates immédiatement inférieures.

Dès 1928, Sorokin abandonne le béhaviorisme* américain et se range dans l’école « des formes sociales et du système des rapports sociaux ». Cette étape est marquée par la publication de Contemporary Sociological Theories (les Théories sociologiques contemporaines). Son ouvrage fondamental, Social and Cultural Dynamics (Comment la société se transforme, 1937-1941 ; 4 vol.), illustre une nouvelle théorie de la culture. Il montre notamment que la vie sociale se développe par « ondes et cercles rythmiques », les systèmes socioculturels passant successivement par une phase « idéationnelle » (idée d’un bien suprasensible), une phase idéaliste mixte et une phase sensualiste, ou scientifique, où la réalité ressortit exclusivement à l’ordre sensible.

Dans Sociocultural Causality, Space, Time, publié en 1943, Sorokin aborde la sociologie de la connaissance. Il s’efforce de montrer que les cadres de la pensée, qu’il s’agisse de la causalité, de l’espace ou du temps, sont différents selon qu’il s’agit d’envisager la réalité physique ou la réalité sociale. Mais son livre le plus célèbre demeure celui où il dénonce les tendances de la sociologie américaine. Dans Fads and Foibles in Modern Sociology (Tendances et déboires de la sociologie américaine, 1956), il s’élève contre cet usage des mathématiques en sociologie qu’il baptise « quantophrénie ». Il dénonce notamment le conservatisme dont la pensée sociologique américaine lui paraît subtilement solidaire.