Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Sophocle (suite)

S’il ne dédaigne pas les activités publiques, Sophocle se comporte comme n’importe quel bon citoyen d’Athènes, sans avoir une compétence éprouvée. On le trouve, en 443 av. J.-C., hellénotame, soit un des dix administrateurs, élus pour un an, du trésor fédéral ; en 440 av. J.-C., pendant l’expédition de Samos, dirigée par Périclès, avec qui il entretient des relations amicales, il est stratège ; il l’est encore en 415 av. J.-C., devant Syracuse, aux côtés de Nicias. En 411 av. J.-C., il siège à Colone parmi les proboules, devenant ainsi l’un des dix commissaires du peuple. Mais peut-être, dans cette carrière d’artiste, la vie politique n’a-t-elle qu’une importance secondaire.

Les biographes anciens vantent la piété, la douceur, la noblesse de caractère du poète tragique. Sophocle a eu le bonheur de vivre à une époque où la gloire d’Athènes brillait de son plus vif éclat ; lui-même est le symbole du plus large épanouissement du génie athénien, tout en apparaissant moins directement lié qu’Eschyle ou Euripide à l’histoire morale de son siècle ; il est, en effet, remarquable qu’Aristophane, dans les Grenouilles, le tienne à l’écart du conflit de générations qui oppose l’ancien combattant de Salamine à l’ami de sophistes.

Les contemporains de Sophocle

À la génération du poète appartiennent Néophron de Sicyone, Ion de Chios, Achaios d’Érétrie. Le premier composa une Médée dont il reste trois remarquables fragments ; Euripide s’est très probablement inspiré de cette tragédie. Ion, qui connut Eschyle et vit Sophocle, fut célèbre auprès du public athénien, mais les fragments de ses tragédies ne laissent apparaître qu’une élégance superficielle. Achaios d’Érétrie, dont rien ne nous est parvenu, semble avoir été un auteur tragique de second plan.


Les perfectionnements de la technique théâtrale

Sophocle rendit plus brillante la décoration scénique en inventant la toile de fond. Il porta de douze à quinze le nombre des choreutes et donna ainsi plus de majesté aux mouvements du chœur. Surtout, il ajouta un troisième acteur et introduisit le dialogue à trois personnages. Enfin, il renonça à la trilogie liée qui prédominait au temps d’Eschyle, lui substituant la trilogie libre où chaque drame formait un tout se suffisant à soi-même.


Grandeur et misère de l’homme chez Sophocle

Sept drames, sur cent vingt-trois, sont parvenus jusqu’à nous, choisis par les grammairiens au iie s. apr. J.-C. Aussi, peut-être est-il illusoire de vouloir juger un Sophocle si diminué. Il reste que ces sept pièces ne cessent de toucher par leurs résonances.

Il est, dans Antigone, un stasimon où les vieillards du chœur célèbrent la gloire de l’homme : « Il est bien des merveilles au monde, il n’en est pas de plus grande que l’homme... » (334 sq.).

L’homme serait-il pour Sophocle non seulement le centre du monde, mais l’être le plus achevé de la création ? À cette question, Sophocle, tout au long de ses drames, répond par une longue leçon d’humilité : « C’est une vérité depuis bien longtemps admise chez les hommes qu’on ne peut savoir pour aucun mortel, avant qu’il soit mort, si la vie lui fut douce ou cruelle » (les Trachiniennes, 1-3), et, quelques vers plus loin, on retrouve le même thème de la fragilité de l’existence humaine : « Pour les hommes, rien qui dure, ni la nuit constellée, ni les malheurs, ni la richesse » (id. 132). Ce leitmotiv du sentiment de la précarité de notre vie est partout renouvelé : « Il n’est pas d’existence humaine qui soit si stable que l’on puisse ou s’en satisfaire ou s’en plaindre » (Antigone, 1156-1157). Une idée identique est exprimée dans Œdipe à Colone (1215-1217), Ajax (131-132 ; 1419-1420), Œdipe roi (1529-1530). D’où une première conclusion de Sophocle paraît s’imposer : L’homme n’est-il qu’un néant (Œdipe roi, 1188) ? Même l’amour, celui de Déjanire pour Héraclès (les Trachiniennes), d’Hémon pour Antigone (Antigone), semble impuissant à supplanter les forces destructrices : la vie ne peut compenser la mort.

L’œuvre de Sophocle

Sophocle aurait écrit cent vingt-trois drames. La chronologie de sept tragédies parvenues jusqu’à nous, outre les quatre cents vers du drame satyrique les Limiers retrouvés sur un papyrus égyptien, est imprécise. On adopte généralement l’ordre suivant.

Ajax (v. 450).
Ajax, qui n’a pas obtenu les armes d’Achille, massacre dans une crise de folie le bétail de l’armée grecque. Revenu à la raison, il se transperce de son épée.

Antigone (v. 442).
Antigone rend les honneurs funèbres à son frère Polynice, malgré l’interdiction de Créon, maître de Thèbes. Pour n’avoir pas respecté la loi, la jeune fille est murée vivante. Troublé par les avertissements du devin Tirésias, Créon revient trop tard sur sa décision et est puni par la mort de son fils Hémon, fiancé d’Antigone, et par celle de son épouse, Eurydice.

Œdipe roi (apr. 430).
Thèbes, ravagée par la peste, doit être purifiée par le châtiment de celui qui la souille et qui a tué le roi Laïos. Œdipe, qui a épousé Jocaste, veuve de ce prince, ordonne une enquête. Il découvre peu à peu que le coupable, c’est lui-même : il a tué son père et s’est uni à sa mère. De honte, Jocaste se pend, et Œdipe, après s’être crevé les yeux, maudit sa destinée.

Électre (v. 425).
Venu venger son père, Agamemnon, Oreste fait annoncer sa mort à Clytemnestre et à Égisthe. Abusée comme eux, Électre pleure la mort de son frère jusqu’à ce qu’il se fasse reconnaître, et tous deux s’érigent en justiciers.

Les Trachiniennes (entre 420 et 410).
Déjanire envoie la tunique empoisonnée, donnée par le centaure Nessos, à Héraclès, qui s’est épris d’Iole. Le héros, en proie à d’horribles souffrances, supplie les siens de le porter sur un bûcher du mont Œta.

Philoctète (409).
Ulysse et Néoptolème, le fils d’Achille, vont ravir à Philoctète, abandonné par les Grecs dans l’île de Lemnos, l’arc et les flèches d’Héraclès qui permettront de prendre Troie. Par ruse, Néoptolème s’en empare, mais, pris de remords, rend les armes à Philoctète. Héraclès ordonne alors à ce dernier d’obéir aux deux Grecs.