Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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socialisme (suite)

Faut-il considérer P. J. Proudhon* (1809-1865) comme un socialiste ? On s’y risque parfois. Mais c’est aller contre sa pensée clairement exprimée. Aux communistes, il lance : « Loin de moi ! communistes, votre présence m’est une puanteur et votre vue me dégoûte. » Il n’est guère plus indulgent pour les socialistes : « Le socialisme n’est rien, n’a jamais rien été, ne sera jamais rien. » Il dénonce le saint-simonisme comme une mascarade, le fouriérisme comme une mystification. On peut le considérer comme une des sources de la pensée libertaire ; ses idées seront ultérieurement utilisées par des syndicalistes comme un point d’appui contre le marxisme. Mais son influence sur la pensée socialiste demeure faible, peut-être parce qu’il est plus le porte-parole des classes moyennes, qui se raidissent contre la décadence, que l’annonciateur d’une classe en ascension numérique et sociale.


Les socialistes français devant Marx

Les socialistes français d’avant 1848 constituent un ensemble disparate d’idées et de systèmes que n’unit aucun mouvement organisé. Les trente années qui vont de 1848 à 1877 sont caractérisées par une atonie certaine du socialisme français, écrasé par la répression de la Commune* en 1871, sans autre penseur original que ceux dont nous avons déjà cité les noms et dont l’action parfois s’éteint ou s’amenuise. En réalité, dans ces années, l’action profonde qui s’exerce se fait en dehors de toute doctrine, dans les profondeurs des masses ouvrières, où associations, mutuelles et fraternelles, transformées en sociétés de résistance puis en chambres syndicales, préparent des assises ouvrières au mouvement socialiste.

Dans les dernières années du second Empire, la rencontre s’opère entre certains de ces militants syndicalistes, dont le plus célèbre est Eugène Varlin (1839-1871), et la pensée marxiste, comme à travers l’Association internationale des travailleurs (Ire Internationale*). Mais le mouvement socialiste, qui s’affirme à partir de 1877 et qui opère une trouée aux élections de 1893, reste singulièrement divisé (v. République [IIIe]).

On y trouve, certes, un courant marxiste ou qui se prétend tel. Il est représenté par Jules Guesde* (1845-1922) et Paul Lafargue (1842-1911). Du marxisme, ces hommes n’ont retenu que quelques notions sommaires : ils réclament la collectivisation des moyens de production et d’échange, préconisent une action de classe et jugent primordiale la prise du pouvoir. Pour eux, l’action syndicale et l’action coopérative n’ont de sens que subordonnées à l’action du parti et des groupes qu’il tente de constituer sur le modèle de la social-démocratie* allemande et dans l’esprit qu’elle affirme alors.

Mais cette greffe est loin de réussir socialisme dans l’immédiat. Le guesdisme se heurte à la résistance des blanquistes, dont le chef de file est Édouard Vaillant (1840-1915). Si le guesdisme conquiert de solides bastions dans le textile du Nord et dans les bassins houillers du Massif central, le blanquisme se maintient, à Paris, parmi les ouvriers des ateliers de type plus traditionnel. Paul Brousse (1844-1912), beaucoup plus modéré, suggère de fractionner le socialisme jusqu’à le rendre possible (d’où le nom de possibilisme donné à cette tendance). Il formule une théorie des services publics qui est à l’origine de l’idée de nationalisation et accorde une grande valeur à l’action municipale. Du possibilisme se détache un courant dont Jean Allemane (1843-1935) est le chef de file. Ancien condamné de la Commune, revenu de la Nouvelle-Calédonie, Jean Allemane est un ouvrier authentique, ce qui est rare parmi les chefs de file du socialisme français. Il accorde au syndicalisme* une valeur primordiale et popularise l’idée de grève générale. C’est à un groupe allemaniste qu’adhère Lucien Herr (1864-1926), bibliothécaire de l’École normale supérieure, lequel, à quelques mois d’intervalle, convertit au socialisme Jean Jaurès, puis Léon Blum*.

Sous la dénomination de socialistes indépendants, on englobe à ce moment un certain nombre d’hommes qui n’ont pas voulu choisir entre les tendances rivales et souvent âprement affrontées : Benoît Malon (1841-1893), qui définit le Socialisme intégral (1891), Alexandre Millerand* (1859-1943), venu du radicalisme et à qui un travail méthodique assure alors une grande audience à la Chambre des députés ; Jean Jaurès* (1859-1914) surtout, venu, lui, des bancs des opportunistes ; plus tard Aristide Briand* (1862-1932), Marcel Sembat (1862-1922), René Viviani (1863-1925).

Comment, de cette division, est-on passé à l’unité ? À la suite d’une lente imprégnation de la masse des militants par cette pensée, d’origine marxiste, qu’à une seule classe ne doit correspondre qu’un seul parti. Sous la pression aussi de la social-démocratie allemande, qui domine alors de son poids numérique et de son autorité doctrinale tout le mouvement socialiste international. Mais la constitution d’un parti socialiste unifié est retardée par la sérieuse crise qui éclate au sein du mouvement socialiste français en 1899 et dont la cause est la participation ministérielle de Millerand dans le gouvernement Waldeck-Rousseau. La IIe Internationale se saisit de la question au congrès d’Amsterdam (14-20 août 1904), où elle impose aux socialistes français l’unité, qui est réalisée au congrès de Paris (23-25 avr. 1905), salle du Globe. L’unité se fait sur des positions beaucoup plus marxistes que ne l’aurait souhaité Jaurès, et en 1905 c’est le guesdisme qui l’emporte sur les autres tendances socialistes. Jaurès l’accepte, mais, en l’acceptant, il perd le concours d’un certain nombre de socialistes indépendants, qui essaient de se grouper dans une autre formation à laquelle ne seraient interdits ni le vote du budget ni la participation ministérielle, comme ils le sont au parti socialiste, devenu Section française de l’Internationale ouvrière (S. F. I. O.).

Extraits de la charte d’unité du parti socialiste (1905)