Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Słowacki (Juliusz)

Poète et dramaturge polonais (Krzemieniec, en Volhynie [auj. Kremenets, Ukraine], 1809 - Paris 1849).


Poète romantique, Słowacki est à l’origine du drame moderne polonais. Créateur virtuose d’un langage de métaphores et de symboles, exilé et incompris, il désirait surpasser l’œuvre de son rival, Mickiewicz*, reconnu pour guide de la nation polonaise. L’une de ces deux figures est-elle plus grande que l’autre ? Le problème n’est pas résolu.

Issu d’une famille de petite noblesse, Juliusz Słowacki est l’unique enfant d’un professeur du lycée de Krzemieniec, puis de l’université de Wilno, poète, critique et traducteur. Orphelin à l’âge de cinq ans, Juliusz est élevé par une mère romantique et sentimentale, avec laquelle il poursuivra une correspondance littéraire durant près de vingt ans. Il fait des études de droit à l’université de Wilno, puis s’installe à Varsovie. Sous l’influence des romantiques Mickiewicz et Byron surtout, il débute par des drames (Marie Stuart, 1830) et des poèmes orientaux ou historiques : le Moine, Jan Bielecki, l’Arabe, Żmija.

Lors de l’insurrection nationale de 1830-31, il compose Hymne, poème lyrique à la Vierge, qui connaît aussitôt un grand succès. Envoyé en mission diplomatique à Londres, il voyage un moment avant de s’établir en France. En 1832, ses œuvres de jeunesse sont rassemblées dans les deux volumes du recueil Poésies. Il exprime cependant ses sentiments patriotiques dans des poèmes (l’Emir Venceslas Rzewuski) qui paraissent en 1833 dans le troisième volume des Poésies.

En 1832, Słowacki se rend à Genève, où il entreprend un grand drame national (Kordian, publié en 1834), réplique aux Aïeux de Mickiewicz et étude psychologique de l’âme romantique du héros luttant pour l’indépendance. Il nourrit le projet d’un cycle de six grandes tragédies traitant de l’histoire de la Pologne, des origines au xixe s. : il ne l’accomplira qu’en partie. La première de ces tragédies, Balladyna (1834, publiée en 1839), qui révèle l’influence de Shakespeare, se déroule dans le monde féerique des temps légendaires du roi Popiel. En 1835, Horsztyński est un drame en prose sur le Hamlet polonais du xviiie s. Avant de quitter Genève, Słowacki compose En Suisse (1839), églogue sur l’amour et la mort.

Un long voyage le mène par l’Italie (1836), en Grèce, en Égypte et en Terre sainte ; de là datent le bel hymne de l’exilé, Je suis triste, ô Seigneur, ainsi que le cycle des lettres poétiques sur les cultures anciennes : Voyage de Naples à la Terre sainte. Dans les monts du Liban naît le poème symbolique, écrit en prose biblique, Anhelli (1838), satire contre l’émigration, profession de foi en la victoire d’un peuple. Revenu en Italie en 1837, Słowacki compose des poèmes où l’on trouve un écho de Dante (la Peste au désert, Venceslas, Poème de Piast Dantyszek, 1839), puis se fixe, en 1838, à Paris. Son œuvre témoigne alors à la fois de ses sentiments patriotiques (le Tombeau d’Agamemnon, 1840) ou intimes (Mon testament) ; plusieurs drames, dont Lilla Weneda (1840), tragédie mythique sur les origines de la Pologne, expriment la fatalité de la lutte pour l’indépendance. Mazepa (1840), tableau réaliste de la noblesse polonaise du xviie s., est la seule pièce qui sera représentée de son vivant à Budapest. Entouré d’hostilité et d’incompréhension, Słowacki déclare une véritable guerre à ses ennemis littéraires dans le poème historique Beniowski (1841), autobiographie-confession du poète, attaque violente contre ses compatriotes, responsables du sort tragique de leur patrie, et défi lancé à Mickiewicz. Le drame Fantazy (1842), peinture de la société polonaise au lendemain de l’insurrection, précède une période mystique, d’abord sous l’influence d’Andrzej Towiański (le Père Marc, 1843 ; le Songe d’argent de Salomé, 1844), puis marquée par la création d’une philosophie personnelle que Słowacki expose dans le poème-traité la Genèse par l’esprit (1844), rêve sur l’histoire de l’univers, et dans l’épopée visionnaire le Roi-Esprit (1847), qu’il ne pourra achever. En 1848, après un bref retour en Pologne, Słowacki, malade, retourne à Paris, où il achève ses jours. Ses cendres, ramenées en 1927 à Cracovie, reposent dans la crypte royale du Wawel aux côtés de celles de Mickiewicz.

K. S.

 J. Kleiner, Słowacki (en pol., Varsovie, 1969). / J. Krzyżanowski, Histoire de la littérature polonaise (en pol., Varsovie, 1969).

Sluter (Claus)

Sculpteur néerlandais au service des ducs de Bourgogne (Haarlem v. 1340/1350 - Dijon 1405 ou 1406).


Son nom apparaît pour la première fois dans les comptes de la corporation des sculpteurs de Bruxelles en 1379-80. En 1385, Sluter est à Dijon*, au service du duc de Bourgogne Philippe le Hardi. Il y demeure jusqu’à sa mort, avec de brefs voyages à Paris en 1392, au château du duc de Berry à Mehun-sur-Yèvre en 1393 (il rend alors visite à André Beauneveu*), à Malines et à Dinant en 1395. Simple artisan dans l’atelier de Jean de Marville en 1385, il lui succède comme sculpteur officiel du duc à sa mort, survenue en 1389. En 1396, il fait venir à Dijon son neveu Claus de Werve (Klaas Van de Werve, v. 1380-1439), qui prend part à ses travaux, surtout après 1399, époque à laquelle Sluter tombe malade.

Les comptes ducaux mentionnent de nombreuses œuvres de Sluter, mais beaucoup, comme les décors du château de Germolles, ont disparu. Il reste trois ensembles auxquels Sluter a participé. Le premier est le portail de l’église de la chartreuse de Champmol, fondée par Philippe le Hardi et destinée à servir de nécropole ducale. Le portail a été conçu en 1386 par l’architecte Drouet de Dammartin († 1413) et commencé par Jean de Marville, mais la Vierge du trumeau, les statues du duc, de la duchesse et de leurs saints patrons aux ébrasements sont l’œuvre de Sluter et datent des années 1390-1393. Elles révèlent le génie propre de Sluter, son indépendance vis-à-vis de l’architecture, caractère nouveau à cette époque, son sens dramatique du mouvement et du gonflement des vêtements, son interprétation réaliste et sans flatterie des portraits, son traitement vigoureux et puissant du relief.