Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Slovaquie (suite)

Pour la nation slovaque, le xviiie s. est déjà une période d’éveil. On s’interroge sur son avenir. La langue que parlaient les Slovaques s’éloignait, depuis le xviie s., du tchèque écrit et évoluait selon des dialectes locaux. En 1787, l’abbé Bernolák (1762-1813) tente, pour la première fois, de codifier une langue slovaque écrite à partir de dialectes de la Slovaquie de l’Ouest. Cette tentative, encore prématurée, échoue. En 1793, il se crée une Société des sciences de Slovaquie, qui exalte le passé slave du pays et l’importance de l’État de Grande-Moravie.


Les luttes du xixe siècle

Au cours du xixe s., les différences avec les pays tchèques vont augmenter. Le mouvement national slovaque, qui a une certaine avance sur le renouveau tchèque à la fin du xviiie s., connaît, comme tous les mouvements des nationalités en Europe, de nets progrès au cours du siècle. Mais l’intolérance de la Hongrie l’empêche de se développer, de s’organiser en un mouvement politique puissant et cohérent. En même temps, comme toute la moitié hongroise de l’Empire, la Slovaquie n’est pas transformée par le grand mouvement de la révolution industrielle, qui fait des pays tchèques une région moderne, urbanisée et techniquement avancée. Pourtant, la Haute-Hongrie, avec l’industrie du bois, un peu d’industrie chimique, est la région la plus industrialisée de la Hongrie avec l’agglomération de Budapest. Ainsi s’amorce un retournement des valeurs : jusqu’au xviiie s., la Haute-Hongrie était un pays plutôt riche, à partir du xixe s., la Slovaquie devient un pays pauvre, à l’agriculture arriérée, et cette situation persistera jusqu’à nos jours (retard politique, retard économique, retard social).

Les rares représentants des classes dirigeantes, qui étaient d’origine slovaque, se magyarisent : ils vont rejoindre le groupe de ceux que les Slovaques appellent avec mépris les Magyarons. L’aristocratie d’origine slovaque ne prend pas la tête du mouvement national, qui ne peut faire entendre sa voix à la diète de Bratislava, dominée presque exclusivement par la haute et la basse noblesse. Les chefs du mouvement national seront donc des intellectuels d’origine populaire ou des pasteurs protestants et des curés de campagne catholiques. Pour un fils de paysan doué, le séminaire ou l’école évangélique est la seule chance de promotion sociale. Aussi la première manifestation slovaque est-elle une pétition des protestants de Slovaquie à la cour de Vienne en 1842.

Le renouveau intellectuel du monde slave se marque aussi en Slovaquie. Les grands écrivains romantiques écrivent en tchèque. C’est dans cette langue que Jan Kollár (1793-1852) publie en 1824 son recueil de poèmes la Fille de Slava, que l’historien Pavel Josef Šafařik (1795-1861) écrit en 1837 ses Antiquités slaves. Mais, après la tentative manquée de l’abbé Bernolák, certains intellectuels souhaiteraient adopter une langue nationale et proposent d’utiliser une forme archaïque de la langue tchèque, employée d’abord dans les traductions de la Bible.

Alors apparaît le personnage central du nationalisme slovaque, L’udovít Štúr (1815-1856), fils d’un instituteur évangéliste, qui a fait ses études au collège de Trenčin, puis en Allemagne, à l’université de Halle. Publiciste et écrivain, Štúr codifie en 1843 la langue slovaque à partir des dialectes de la Slovaquie centrale. Bien qu’il se défende de vouloir se couper du mouvement tchèque, et malgré l’opposition de Kollár, la rupture entre la langue tchèque et la langue slovaque est consommée.

En 1845, Štúr publie le Journal national slovaque (Slovenskje Národňje Novini), qui s’adresse aux masses paysannes et à l’intelligentsia. Il veut lutter contre la misère slovaque par le développement économique, mais aussi s’engager dans les combats politiques. Dans les années 20 et 30, des écrivains, comme Kollár et Šafařík, avaient exalté l’idée de solidarité slave, mais leur action avait surtout concerné le domaine littéraire. Štúr, dans les années 40, va l’élaborer en un programme politique, russophile et nationaliste. En 1847-48, il se fait élire à la diète de Hongrie. Mais il doit compter avec une aile droite, animée par Jan Kollár, hostile à la démocratisation et à une langue slovaque autonome.

La révolution* de mars 1848 en Hongrie surprend le mouvement national slovaque alors qu’il n’est pas encore organisé. Les 10 et 11 mai 1848, une réunion des dirigeants slovaques élabore à Liptovský Mikuláš les « demandes de la nation slovaque », le premier programme national officiellement proclamé : la Slovaquie doit avoir son propre Parlement ; le slovaque sera la langue officielle d’enseignement. Par ailleurs, le programme réclame le suffrage universel et la disparition des dernières survivances du servage.

Mais les dirigeants de la révolution hongroise refusent d’admettre des représentants slovaques aux élections de juin 1848. Ils lancent un mandat d’amener contre les chefs du mouvement : L. Štúr, J. M. Hurban (1817-1888) et M. M. Hodža (1811-1870). Štúr et ses amis trouvent refuge en Bohême et participent en juin 1848 au congrès slave de Prague. Contrairement à František Palacký (1798-1876), Štúr se montre hostile à l’austroslavisme et déclare que « la chute de l’Autriche ne signifierait pas la nôtre ».

Lorsque le gouvernement autrichien entre en guerre contre les Hongrois, les Slovaques combattent à ses côtés. L’insurrection nationale slovaque contre la Hongrie commence dès septembre 1848 ; elle est dirigée de Vienne par un Conseil national slovaque, où siègent les trois chefs politiques. Elle contrôle dès l’automne de 1848 la Slovaquie de l’Ouest et espère, en échange de son aide, l’autonomie de la Slovaquie. Ces espoirs seront déçus. Après l’écrasement des révolutions de 1848, le gouvernement de Vienne adopte de 1849 à 1860 une politique centraliste, dont les Slovaques comme les autres peuples sont victimes. Les troupes slovaques sont démobilisées ; la presse, censurée, doit être publiée en langue tchèque slovaquisée. Štúr, placé en résidence surveillée, écrit alors les Slaves et le monde du futur, qui sera publié en 1867 en Russie après sa mort. Il ne croit plus en l’Autriche, et c’est désormais dans la Russie qu’il met sa confiance. Dans ce climat de désillusion générale, les querelles religieuses s’atténuent dans le mouvement slovaque. Les luthériens comme Jozef Miloslav Hurban et Š. M. Daxner se rapprochent des catholiques tels A. Radlinsky et Ján Palárik Beskydov (1822-1870).