En pinyin Xi Kang, penseur et écrivain chinois de l’époque des Six Dynasties (223-262).
Né dans le Henan (Ho-nan) dans une famille aisée et puissante, alliée par mariage à la maison impériale des Cao (Ts’ao), orphelin de père, il est élevé très librement par sa mère. Son naturel indépendant le pousse à rejeter la carrière politique et administrative à laquelle sa situation sociale le destinait pourtant. Adepte fervent du taoïsme philosophique, il passe trois ans dans la montagne auprès d’un maître, où il apprend à « nourrir son principe vital » par l’absorption de simples et la pratique de la respiration. Ses célèbres essais Nourrir la vie et Réponse à la critique de « Nourrir la vie » sont le fruit de ces expériences mystiques. Mais, s’il oublie le monde, il est trop connu pour en être oublié. Il a le malheur de refuser avec un peu d’emphase et de complaisance un haut poste auquel le proposait un ami. Dans sa lettre, il allègue sa paresse, sa saleté, sa haine de se lever tôt et de voir de la paperasse ; mais il y manifeste aussi une violente antipathie envers le confucianisme étatique alors en cours auprès des souverains, les Sima (Sseu-ma). Ceux-ci, qui avaient évincé du pouvoir les Cao (Ts’ao), parents de Xi Kang, furent choqués de la phrase provocatrice : « Je méprise Confucius », que Xi Kang avait écrite. De plus, il s’attire la rancune d’un haut personnage venu lui rendre visite et à qui il ne daigne même pas adresser la parole. Cité en justice pour une affaire d’adultère d’un ami, il est sans autre raison condamné à la peine de mort. Il périt sur la place publique en donnant un bel exemple de la sérénité taoïste. Jusqu’au dernier moment, il joua tranquillement de son luth.
Les talents de Xi Kang sont multiples. Penseur, écrivain, poète, musicien, on le voyait souvent travailler à sa forge. Il participait à des « causeries pures » (qingtan [ts’ing-t’an]), sorte de cénacle où des beaux esprits de l’époque faisaient assaut de réflexions profondes sous couvert de boutades humoristiques. C’est sans doute à des réunions amicales de ce genre, où les discussions allaient bon train au son du luth et autour de jarres d’alcool, que se livrait le groupe des Sept Sages de la Forêt des bambous, dont Xi Kang est le plus connu, même si la tradition est postérieure : ce que ce nom évoque de liberté d’esprit, de rapidité de pensée, de fantaisie débridée jusqu’à l’extravagance correspond certainement à une part de la réalité.
Xi Kang est surtout connu pour ses essais taoïstes en prose, qui comprennent notamment Nourrir la vie (Yang sheng lun [Yang-cheng Louen]), Réponse à la critique de « Nourrir la vie » (Da nan yangsheng lun [Ta nan yang-cheng louen]) et Se libérer des sentiments personnels (Shi si lun [Che-sseu louen]). Ils sont écrits dans un style balancé, clair et imagé où la pensée se développe avec aisance et simplicité. En s’appuyant, avec une logique rare dans la pensée chinoise, sur des raisonnements qui s’enchaînent, il essaie de démontrer que les hommes peuvent atteindre par leurs propres moyens à la « Longue Vie ». Il leur suffit de savoir dominer leur corps par des techniques respiratoires et une nourriture appropriée, de régler leur cœur en éliminant les sentiments violents de joie ou de colère et de savoir unifier leur esprit et leur essence dispersée en méditant sur l’Un. Toutes ses théories et ses maximes, telles que : « La joie parfaite est d’être sans joie », relèvent de la pure tradition taoïste. Grand amateur de musique, il fut un excellent joueur de luth. Ses théories musicales sont révolutionnaires pour ses contemporains. Car il juge la musique sur sa valeur propre et non pour les qualités que lui confère la tradition confucéenne, à savoir sa valeur morale et sa valeur sentimentale. Pour lui, la musique est belle ou laide. Les sentiments de joie ou de tristesse, la moralité droite ou dépravée qui peuvent s’y attacher n’en font pas partie intégrante. Ils sont dans le cœur des hommes et non dans la musique. Il laisse également une cinquantaine de poèmes, dont la moitié en vers de quatre pieds, prosodie assez rare. On y retrouve, exprimés avec plus de lyrisme et de recherche, le même idéal de liberté frisant l’anarchie, la haine du commun et de la tradition. Mais ils sont prudemment dénués de critique politique. Une série porte le titre éloquent de Poèmes de la colère contenue (Youfen shi [Yeou-fen che]). Dans une autre série célèbre, « Dix-Huit Poèmes dédiés à un ami bachelier partant en guerre », on trouve ce quatrain :
Des yeux j’accompagne la grue qui repart,
De la main, je touche les cinq cordes.
Que je lève ou baisse la tête, j’ai la sérénité,
Car mon cœur vagabonde dans les vastes ténèbres.
D. B.-W.