Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sibérie (suite)

Reste le dernier problème, celui de la fluidité de la population. Il est étonnant de constater que, dans un pays aussi centralisé et planifié, les migrations de main-d’œuvre soient si faciles. Il y a les « vieux Sibériens » indéracinables. Mais la population jeune, venue depuis la guerre, change de place, de lieu et souvent abandonne la Sibérie, malgré les avantages dont jouissent les ménages : primes, dégrèvements d’impôts, allocations familiales, etc. Or, cette population ne revient pas à Moscou, mais tente sa chance une seconde fois dans des républiques jugées plus clémentes et offrant les mêmes avantages. On a chiffré de différentes façons l’hémorragie démographique de la Sibérie : elle n’est pas négligeable, même si les partants sont remplacés par de nouveaux venus. De toute manière, l’instabilité de la main-d’œuvre reste un handicap pour les entreprises.

Il faut enfin voir dans cette désaffection des hommes à l’égard du Nord, du Grand Nord, la fin de la glorieuse épopée des conquérants, et peut-être aussi le reflet des efforts consentis aux contrées méridionales de l’U. R. S. S., mettant davantage l’accent sur le renforcement du peuplement et des implantations au Kazakhstan et à proximité des frontières du Sud, en bref ce qu’on pourrait appeler la « méridionalisation » (v. U. R. S. S.).

A. B.


L’histoire

L’immense Sibérie est encore à peu près inconnue au milieu du xvie s. : quelques rares commerçants, remontant la Petchora, ont franchi l’Oural et atteint l’Ob, le premier grand fleuve que l’on rencontre dans la plaine en venant de l’ouest.

Le premier explorateur de la Sibérie est un Cosaque, Iermak, qui, avec sa troupe, atteint en 1580 la Toura, sous-affluent de l’Irtych, lui-même affluent de l’Ob. L’année suivante, il bat les Mongols* et s’empare du khānat de Sibir (qui a donné son nom à la région, la Sibérie). Mais il est bientôt repoussé par eux au-delà de l’Oural. Les Cosaques reviennent en force en 1586 et, l’année suivante, fondent Tobolsk sur l’Irtych : la défaite définitive des Tatars ouvre aux Russes toutes les plaines de l’Asie septentrionale, qui ne sont occupées que par des populations nomades, très dispersées, incapables de résister aux mousquets des conquérants : ces derniers sont avant tout des chasseurs qui vont toujours plus loin traquer les animaux à fourrure. Tomsk, sur un affluent de l’Ob, est fondé en 1604 ; plus à l’est, l’Ienisseï est bientôt atteint et descendu jusqu’à son embouchure (1610).

La reconnaissance de la Sibérie s’effectue à très grande vitesse, en profitant des sections ouest-est de certains affluents des grands fleuves. Ainsi, la Toungouska Inférieure, qui rejoint l’Ienisseï, conduit les chasseurs et les marchands de peaux vers le bassin de la Lena, dont le delta est découvert en 1617 ; en 1632, la ville de Iakoutsk est fondée sur ce fleuve. De là, la mer d’Okhotsk est atteinte en 1638.

Une autre voie de pénétration, plus méridionale, utilise le cours de l’Angara, tributaire du haut Ienisseï, et les Russes parviennent au lac Baïkal en 1643. Le dernier grand fleuve sibérien, la Kolyma, est atteint en 1644, puis descendu en bateau par un Cosaque, Semen I. Dejnev, qui arrive jusqu’à la côte de l’océan Arctique (1648). Il franchit ensuite l’extrémité de l’Asie, à laquelle son nom est donné (cap Dejnev). Cette grande découverte, contestée par certains, ne sera cependant confirmée que lorsque Béring aura réitéré cet exploit, quatre-vingts ans plus tard, prouvant définitivement que l’Ancien Monde n’est pas soudé à l’Amérique. Plus au sud, Vassili D. Poïarkov remonte la rivière Aldan et parvient à l’Amour, qu’il descend jusqu’à son embouchure (1643-1646). Mais les Mandchous s’inquiètent de cette poussée, et les Russes devront, à partir de 1658, abandonner plusieurs postes établis sur le grand fleuve et dans la partie orientale de son bassin. La fin du siècle voit la pénétration des Russes dans la péninsule du Kamtchatka avec le Cosaque Morosko (1696), qui inaugure une période de domination brutale sur les indigènes.

Cette reconnaissance de la Sibérie n’a pas encore un caractère scientifique ; elle n’en représente pas moins une œuvre considérable puisqu’elle fait surgir de l’inconnu, en moins de cent ans, des territoires s’allongeant sur plus de 5 000 km.

Le Siècle des lumières va reprendre l’étude du nord de l’Asie avec l’appui des savants : Pierre* le Grand organise plusieurs expéditions scientifiques de première importance. Les nouvelles recherches partent d’abord sur le littoral de l’océan polaire, en particulier à l’ouest et au centre, entre la Nouvelle-Zemble et la péninsule de Taïmyr : en 1742, Semen I. Tcheliouskine parvient, en traîneau, à l’extrémité de cette dernière, au cap qui porte son nom et qui constitue l’extrémité continentale de l’Ancien Monde.

La plus importante expédition quitte Saint-Pétersbourg en l’année même de la mort du tsar (1725), sous la direction du Danois Vitus Béring (ou Behring) : elle met trois ans pour parcourir toute la Sibérie, y multipliant les observations dans tous les domaines scientifiques et dressant les premières cartes d’ensemble de la région. En partant de la base de Petropavlovsk, sur le littoral du Kamtchatka, le chef de l’expédition entreprend à partir de 1728 l’étude détaillée des rivages formant l’extrémité de l’Asie. La découverte se poursuit sous le règne de Catherine II : l’Allemand Peter Simon Pallas part en 1768 avec de nombreux collaborateurs et gagne l’Amour par la route des caravanes, découvrant notamment des fossiles de mammouth et de rhinocéros.

Il reste encore beaucoup de secteurs à pénétrer au xixe s. pour dresser une géographie exhaustive de la Sibérie. Beaucoup s’y emploient, en particulier A. von Humboldt*, que son dernier grand voyage conduit, en 1829, dans le sud de la Sibérie occidentale ; Aleksandr Fedorovitch Middendorf étudie d’abord les hauteurs situées à l’est du cours inférieur de l’Ienisseï, jusqu’à la péninsule de Taïmyr (1843), puis il se rend au lac Baïkal et dans le bassin de l’Amour ; en 1854, le gouverneur de la Sibérie orientale, Nikolaï N. Mouraviev, conduit une expédition militaire jusqu’à l’embouchure de ce fleuve et ramène de nombreux documents ; de 1873 à 1876, Aleksandr L. Tchekanovski parcourt les régions encore très peu connues entourant la basse Lena ; un ingénieur français, Martin, qui effectuait des recherches minières, explore les régions dominées par les monts Stanovoï, entre la rivière Aldan, affluent de la Lena, et l’Amour (1884).