Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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sexualité (suite)

Mais Lacan va plus loin que Freud. Le fantasme organise le désir du sujet de façon que l’objet du désir reste inaccessible : la mise en fuite, si l’on peut dire, de l’objet du désir étant une des conditions requises pour que la sexualité puisse fonctionner, ce que l’exemple de Sade montre bien, qui fait durer la vie des victimes indéfiniment, d’une part, et ne se satisfait d’aucun sommet, d’autre part. La notion lacanienne d’« objet a » est décisive pour articuler la sexualité avec l’espace du corps : en effet, par ce terme, Lacan désigne tout objet partiel — ainsi le bout de linge du fétichiste —, mais, dans une sexualité normale, n’importe quel bout de corps : le sein, le pénis, mais aussi l’enfant, l’excrément, le regard et, plus généralement, tout ce qui émerge du corps et délimite une zone de passage, une zone érogène. La surface du corps est alors partagée selon des lignes qui ne recouvrent pas l’espace culturel, qui a tendance à brouiller les pistes ; d’autre part, l’espace psychanalytique change l’orientation de l’espace « normal », dans la mesure où l’intérieur et l’extérieur du corps sont abolis par la notion même de passage. La psychanalyste Melanie Klein* a mis en évidence ce mécanisme de va-et-vient du désir de l’enfant avec l’introjection-projection ; l’enfant, dans ses fantasmes, met en œuvre un mouvement incessant d’entrée et de sortie, de lui-même dans le corps de la mère, du pénis dans le corps de la mère ou dans son propre corps : c’est un autre espace, d’autres mouvements que ceux que la culture enseigne, au moins dans ses normes éducatives.


Voies de recherche

Il était normal qu’à partir de Freud se cherchent des courants de réflexion qui allient la morale ou la politique à la théorie psychanalytique de la sexualité, comme il était normal que ces recherches, la plupart du temps, s’appuient sur des considérations biologiques le plus souvent douteuses. C’est le cas, autour de Freud, d’Otto Rank et de Sándor Ferenczi : le premier fait remonter la source de la sexualité au « traumatisme de la naissance » et voit dans l’acte même de naître le modèle de tout rapport sexuel ultérieur. Faire l’amour, c’est donc faire retour au ventre maternel. Plus loin encore, Ferenczi voit dans les eaux amniotiques le paradis perdu d’une mer initiale et préhistorique où tous cherchent le bonheur. Freud a toujours refusé ces extrapolations dangereuses, qui amenaient, par exemple, à conduire des psychanalyses en neuf mois : une gestation inversée. Mais c’est surtout Wilhelm Reich qui a développé le plus complètement la jonction entre la psychanalyse, la biologie et la morale politique. À la fois psychanalyste et membre du parti communiste allemand, Reich ne resta pas longtemps dans ces deux organisations ; mais il chercha toute sa vie à faire la synthèse d’une révolution politique et d’une libération sexuelle, posant en principe que la révolution politique passait par la révolution sexuelle : le mouvement Sexpol fut l’expression de cette synthèse. Plus tard, Reich élabora une « économie sexuelle » : « L’économie sexuelle désigne la façon dont un individu agence son énergie biologique, la quantité qu’il maintient bloquée par rapport à celle qu’il décharge dans l’orgasme » (définition du Wilhelm Reich Infant Trust Fund). L’orgasme devient en quelque sorte une norme absolue, condition du progrès individuel comme du progrès social collectif ; et l’orgone est le nom que Reich a donné à l’énergie spécifique, dont il croyait trouver la preuve expérimentale à la fin de sa vie.

Aujourd’hui, les voies de recherche peuvent se partager en deux courants principaux : d’une part, un retour à Reich, qui conteste en même temps violemment la rigidité idéologique de la morale freudienne et voit dans la psychanalyse une réassurance des valeurs familiales, en particulier avec le complexe d’Œdipe, et l’attachement rigoureux au parent de sexe opposé ; d’autre part, une recherche dans le domaine du langage, qui, suivant la voie lacanienne, étudie les rapports entre le désir et les éléments matériels du langage, que Lacan, après F. de Saussure*, appelle le signifiant. Gilles Deleuze et Félix Guattari, depuis le succès de l’Anti-Œdipe (1972), au titre significatif, représentent le premier courant ; ils opposent à la psychanalyse une schizo-analyse qui cherche à faire retour à la « schize » de la folie, à la dissociation de la sexualité polymorphe, sans la condenser dans des courants familiaux ; le « corps sans organes » est le nouvel espace délimité par cette recherche. Serge Leclaire, du côté de la psychanalyse, et, par exemple, Julia Kristeva, sur le terrain de la théorie littéraire, représentent assez bien le second courant : la « lettre », élément précis de langage, ou le nom propre déterminent subtilement les désirs subjectifs, faisant apparaître les liens inattendus entre le langage et la sexualité, liens dont la poésie a toujours su tirer parti. La divergence entre ces deux courants, l’écart entre la recherche biologique et politique d’une part, et la recherche structurale, d’autre part (si même çà et là des jonctions ponctuelles s’effectuent), est sans doute le centre de la théorie de la sexualité, dont Freud, s’il en fut le fondateur incontesté, n’est plus depuis quelque temps le pionnier.

Information et éducation sexuelles dans l’enseignement public du second degré

Une circulaire du ministre de l’Éducation nationale, en date du 2 février 1973, rend obligatoire l’information sexuelle dans les écoles publiques du second degré : « [...] touchant à l’information sexuelle et à la préparation des jeunes à la vie d’adultes [...], un groupe d’enseignants, de médecins et d’éducateurs, animé par l’Inspection générale, [est] chargé de mettre au point un programme d’enseignement, [...] enseignement généralisé conçu pour assurer aux élèves une information adaptée à leur âge sur les questions de la procréation. Il sera complété par des activités éducatives organisées à titre facultatif. » Le 23 juillet de la même année, une circulaire plus longue et plus explicite précisait l’esprit et le programme de ce nouvel enseignement.