Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

sensibilité [en pyrotechnie]

Aptitude d’une substance à exploser sous l’action d’une excitation appropriée.



Introduction

L’explosion d’une substance explosive, obtenue ordinairement au moyen d’une amorce ou d’un détonateur, peut aussi être provoquée par un choc, par une étincelle ou par d’autres excitations. Les explosifs répondent de façons différentes à une excitation d’une nature et d’une intensité données ; la plus ou moins grande facilité avec laquelle on déclenche l’explosion d’une substance est ce qu’on appelle sa sensibilité. Selon la nature de l’excitation, on est conduit à distinguer divers types de sensibilité : à la chaleur, au choc, au frottement, à l’étincelle électrique, à l’amorce, etc.

La connaissance de la sensibilité d’un explosif ou d’une composition pyrotechnique est importante aussi bien pour son emploi — le choix du mode d’amorçage — que pour la sécurité de sa manipulation et de son transport. Aussi, depuis longtemps, a-t-on mis au point des épreuves pour l’évaluation numérique des divers types de sensibilité, faute de pouvoir définir des grandeurs physiques se prêtant à de véritables mesures. Toutefois, depuis 1945, on entrevoit qu’il est possible de rattacher les unes aux autres les sensibilités de divers types et qu’il sera possible un jour de bâtir une théorie unitaire de la sensibilité.


Sensibilité à la chaleur

Pour déterminer la sensibilité à la chaleur, on pratique le plus souvent l’épreuve hollandaise, qui consiste à plonger dans un bain d’alliage fondu, à 100 °C, un tube à essai en verre mince contenant 2 dg de substance, puis à élever la température du bain à raison de 5 °C par minute jusqu’à ce qu’on observe une explosion ; la température qu’on note à ce moment est le point de déflagration de la substance.

Dans une variante de cette épreuve, on échauffe le bain à raison de 20 °C par minute ; la température à laquelle on observe l’explosion est alors plus élevée que le point de déflagration. Dans des études scientifiques, on est conduit à chercher la température de déflagration sans chauffage progressif : on plonge alors dans le bain chaud, maintenu à une température constante, l’éprouvette contenant l’explosif et on note le temps τ au bout duquel celui-ci explose : ce temps est appelé période d’induction. L’expérience montre qu’il dépend de la température absolue T selon la loi

A et B étant deux coefficients. La théorie des réactions thermiques permet de relier le coefficient A à l’énergie d’activation de la réaction d’explosion. Par exemple, pour le fulminate de mercure, dont l’énergie d’activation est 25 kcal/mole, la période d’induction vaut respectivement 3, 6,6 et 14 s à 202, 190 et 184 °C.

Dans les épreuves précédentes, l’explosif reste à la pression ordinaire ; certains corps, comme le nitrate d’ammonium, se décomposent dans ces conditions, entièrement de façon calme, en produits gazeux sans qu’on observe de déflagration à aucun moment. Aussi a-t-on imaginé une épreuve de chauffage, sous confinement, c’est-à-dire en vase clos, qui permet d’observer pour ces corps une température de déflagration.

En vue du comportement dans un incendie, on fait d’autres essais pratiques de sensibilité à la chaleur, tel celui qui consiste à chauffer 25 g environ de substance dans une douille en acier portant un disque à lumière calibrée et à rechercher le plus petit diamètre du trou pour lequel un chauffage d’une intensité fixée n’entraîne pas la rupture de la douille en fragments.


Sensibilité au choc

Lin explosif disposé en couche mince sur une surface dure et qui reçoit un choc peut exploser. Or, des chocs apparemment identiques et s’exerçant dans des conditions identiques peuvent produire ou ne pas produire l’explosion : la réaction au choc est donc un phénomène aléatoire qui doit être caractérisé par sa probabilité. On détermine la sensibilité au choc avec des appareils qui permettent de faire tomber d’une hauteur h variable des moutons de choc, de poids P divers, sur une masse déterminée d’explosif, disposé de façon bien définie sur un bloc (enclume) massif. Une série (de 10 ou de 50 coups) d’essais avec le même mouton tombant de la même hauteur donne un certain pourcentage d’explosions. La variation de ce pourcentage avec la hauteur h se traduit graphiquement par une courbe en forme de S étiré, et on retient généralement pour caractériser la sensibilité de la matière éprouvée la valeur du produit Ph correspondant à la probabilité 1/2, c’est-à-dire correspondant à 50 p. 100 d’explosions. D’ailleurs, avec des moutons de poids différents, on a le même pourcentage d’explosions pour des hauteurs telles que le produit Ph garde la même valeur ; autrement dit, ce qui caractérise l’efficacité d’un choc pour produire une explosion, c’est l’énergie cinétique du mouton au moment du choc. L’énergie donnant lieu à la probabilité d’explosion égale à 1/2 varie depuis 0,1 daJ pour les corps très sensibles à plus de 20 daJ pour le dinitrotoluène. Certains corps, comme le nitrate d’ammonium, sont si peu sensibles au choc qu’on ne peut les faire exploser même par l’impact d’une balle de fusil animée d’une très grande vitesse.

Marcelin Berthelot* supposait qu’un explosif déflagre sous un choc parce qu’il s’y est produit un échauffement local qui le porte à son point de déflagration. Cette hypothèse a été confirmée, depuis 1945, par les travaux de Bowden, qui ont donné la preuve expérimentale de la production, lors du choc, de points chauds de très faible volume, mais de température comprise entre 500 et 1 000 °C. On a pu mesurer les retards qui s’écoulent entre le choc et la déflagration ; ils se chiffrent généralement en millisecondes et vérifient bien la formule relative aux explosions thermiques, qui, dès lors, établit la liaison entre la sensibilité au choc et la sensibilité à la chaleur.


Sensibilité au frottement

Il existe des pendules de friction dans lesquels un sabot fixé à l’extrémité d’un bras de pendule vient frotter la matière disposée sur une surface plane, ainsi que d’autres appareils dans lesquels la substance à éprouver est déposée sur une plaque rugueuse se déplaçant parallèlement à un crayon de porcelaine fixe. En général, les produits qui se montrent peu sensibles au choc sont également peu sensibles au frottement.