Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

sensation (suite)

On est évidemment conduit à rechercher de quelles performances sont capables les divers récepteurs, autrement dit quel est le « seuil » de leur sensibilité. Par définition, le seuil est l’intensité du stimulus qui provoque un message sensoriel une fois sur deux en moyenne (il serait plus exact de dire : 500 fois sur 1 000). Voir à ce sujet l’article seuil et la suite du présent article.

• La terminologie. Le langage humain, dont nous rappelions plus haut la commodité, est loin d’être toujours capable de rendre compte de toute la gamme des sensations : comment décrire, par exemple, les stimuli engendrés par l’accélération ou la décélération d’une rame de métro ? Or, ces stimuli sont efficaces, puisque l’on y réagit par des mouvements d’équilibration adéquats. Et que répondre au docteur Knock, le héros de Jules Romains, s’il vous demande : « Est-ce que ça vous chatouille ou est-ce que ça vous gratouille ? » Si donc le problème verbal est déjà difficile pour l’Homme, quels mots employer pour désigner le sens chimique polyvalent des Poissons ? Faut-il dire « goût » parce que les substances reconnues sont en solution dans l’eau ? Faut-il dire « odoral » parce qu’elles sont infiniment nombreuses au lieu de se ramener à quatre types de sensation seulement, comme dans la gustation humaine ?

Pour éviter de telles difficultés, les objectivistes allemands ont proposé une classification des récepteurs exclusivement fondée sur la nature du stimulus auquel ils sont normalement exposés et sensibles. Les mécanorécepteurs sont excités par les stimuli mécaniques : pression, contact, vibration, étirement ; les thermorécepteurs sont excités par les variations de température ; les photorécepteurs sont excités par la lumière ; les chémorécepteurs sont excités par la composition chimique du milieu (aérien ou liquide) ; les électrorécepteurs (Poissons) sont excités par de très faibles courants (v. électricité animale).

Sherrington, pour sa part, regroupe les différents récepteurs en trois catégories, en fonction de leur situation et de leur rôle. Les extérocepteurs, situés à la surface du corps, sont sensibles aux actions du milieu extérieur. Les propriocepteurs, situés dans les muscles, tendons et articulations, dans le labyrinthe de l’oreille interne des Vertébrés et les statocystes des Invertébrés, sont des organes sensibles aux forces s’exerçant sur les muscles (soupèsement, effet de position), à l’orientation dans le champ de la pesanteur, etc. Enfin, les intérocepteurs sont les récepteurs de la « surface interne » du corps, c’est-à-dire essentiellement de la paroi du tube digestif, responsables de l’appétit comme du « mal au ventre ».

Actuellement, on inclut dans la sphère intéroceptive l’ensemble des sensibilités viscérales (annexes du tube digestif, appareil urogénital, appareil circulatoire) et même les sensibilités hypothalamiques.

Il est évident que de nombreux récepteurs appartiennent à la fois à plusieurs de ces catégories : souvent, les soies des Invertébrés « poilus » (Insectes, Annélides) sont aussi bien sensibles aux contacts qu’aux vibrations aériennes ou aquatiques et même aux positions segmentaires du corps. Les organes auditifs (statocystes, ligne latérale des Poissons) sont aussi des propriocepteurs renseignant l’animal sur son orientation spatiale et ses mouvements.

Une difficulté d’un autre ordre concerne d’éventuels « algocepteurs » (on préfère aujourd’hui les appeler nocicepteurs), qui seraient la source de messages sensoriels purement douloureux. Le seul critère objectif de la douleur, ce sont les efforts de l’animal pour se soustraire à la stimulation. On n’a jamais observé de tels efforts à la suite de stimulations faibles, où qu’elles soient appliquées.


La spécification du stimulus

Un stimulus est défini par sa nature (caractère qualitatif), mais également par son intensité (caractère quantitatif) et éventuellement par des caractères spatiaux et temporels. Un inventaire méthodique des possibilités sensorielles d’un organisme doit donc s’attacher à la mesure des seuils concernant chacun de ces caractères.

• Caractère qualitatif. Tout organisme, même très bien équipé en récepteurs, n’est sensible qu’à une très faible part des événements énergétiques qui l’environnent. L’Homme ne perçoit comme « lumière » que les longueurs d’onde comprises (environ) entre 400 et 800 mμ, et ces limites spectrales varient quelque peu d’une personne à l’autre, tandis que l’Abeille distingue aisément l’ultraviolet proche (300 mμ) et ne discerne pas le noir du rouge unitonal (700 mμ). L’oreille des petits Mammifères perçoit couramment des sons (ultrasons) plus élevés d’une octave, voire d’une octave et demie, que nos fréquences sonores les plus suraiguës, et l’on sait le parti que les Chauves-Souris tirent de tels ultrasons (v. écholocation). Il convient donc de circonscrire le domaine propre de sensibilité de chaque animal.

• Caractère quantitatif. La recherche du seuil défini plus haut donne parfois des résultats proprement stupéfiants. Dans les meilleures conditions, il suffit de 2 quanta lumineux pour provoquer une sensation visuelle (observation directe des étoiles de dernière grandeur). Une minuscule pression sur le tympan (équivalente à 2 dynes par mètre carré) est perçue comme sonore. On sait depuis J. H. Fabre que l’émission chimique de la femelle du Grand Paon de Nuit (Saturnia pavo) est perçue par les mâles à plus de 1 km de distance, ce qui correspond à quelques molécules réparties dans l’espace aérien qui les entoure. La détection du saccharose par la Mouche est réalisée pour des solutions à 0,6 molécule-gramme par mètre cube, mais l’Anguille a un « flair gustatif » encore beaucoup plus délié (v. seuil). Quant aux seuils différentiels d’intensité, ils sont moins remarquables, allant de 2 p. 100 (intensité lumineuse) à 10-30 p. 100 (intensité gustative).

Il convient de mettre à part la mesure quantitative des seuils de discrimination qualitative (par exemple : mesure de la plus petite différence de longueur d’onde lumineuse permettant de distinguer deux couleurs), car les résultats dépendent de l’intensité de chacun des deux stimuli, et il n’est pas facile de décider que deux sensations « différentes » sont d’« égale intensité ». Nous ne pouvons qu’évoquer ici ce problème épineux.