Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

sémantique (suite)

La figure 1 indique au centre les deux sous-composantes constituant la syntaxe. Les deux composantes latérales sont interprétatives : la composante sémantique interprète les données qui lui sont fournies par la sous-composante de base, tandis que la composante phonologique interprète les données qui lui sont fournies par la sous-composante transformationnelle.

La composante sémantique opère sur des chaînes de formants pourvues de leur structure : les formants sont les unités (abstraites) susceptibles de figurer dans les suites terminales générées par la composante de base ; la structure, c’est l’indicateur syntagmatique, ou « arbre » obtenu à partir du symbole abstrait Σ (ou, par commodité, P) par application des règles de réécriture. L’exemple de la fig. 2 fera mieux comprendre ce que sont ces données.

La composante sémantique comporte deux types d’outils : un dictionnaire et des règles de projection.

Le dictionnaire présente les unités lexicales sous la forme donnée en fig. 3. Ce schéma présente, sous l’entrée lexicale (ici le mot canard) :
— sans parenthèses : les catégories grammaticales (par exemple N pour nom, Adj pour adjectif, M pour masculin, etc.) ;
— entre parenthèses : les catégories ou traits sémantiques (à peu près équivalant aux sèmes de B. Pottier) ;
— entre crochets : les différenciateurs sémantiques (c’est-à-dire tout ce que la signification a d’idiosyncrasique, de non réductible à des catégories descriptives suffisamment récurrentes dans les unités lexicales de la langue analysée).

Toutefois ce premier schéma traiterait comme lexicalement ambiguës ou anormales certaines phrases dans lesquelles aucune ambiguïté ou anomalie n’est normalement perçue et interdirait, en revanche, de rendre compte de certaines parentés dans l’ambiguïté. Par exemple, il faudra rendre compte de la possibilité d’interpréter sémantiquement « l’aile du canard » selon les sens 3 et 5 exclusivement, et de la possibilité d’interpréter « il mange un canard » selon les sens 5 et 6 exclusivement.

Pour ce faire, il faut réécrire l’article en faisant passer plusieurs informations, précédemment affectées aux différenciateurs, dans les catégories sémantiques (fig. 4).

Aux étiquettes des catégories et des différenciateurs s’ajoutent des restrictions sélectives, procédé permettant de préciser les conditions nécessaires et suffisantes d’une combinaison sémantique acceptable entre unités lexicales. Cette information consiste à indiquer une ou plusieurs catégories sémantiques dont la présence est nécessaire pour qu’il puisse y avoir amalgame sémantique.

Par exemple, honnête aura une branche :
HONNÊTE → Adj → (évaluatif) → (moral) → [innocent de relations sexuelles illicites] → < (humain) et (femelle) >

Ce qui se lira : une occurrence d’honnête peut recevoir cette interprétation sémantique quand le substantif modifié a une branche contenant les catégories sémantiques (humain) et (femelle).

Les règles de projection sont les règles permettant la concordance entre les données de la sous-composante de base (chaîne de formants pourvue de sa structure) et le dictionnaire sémantique.

Ces règles assurent l’amalgame sémantique en remontant vers le haut de l’indicateur syntagmatique, c’est-à-dire en étudiant les combinaisons sémantiques possibles entre les constituants des niveaux les plus bas et en s’élevant de niveau en niveau jusqu’au dernier amalgame, celui de SN et SV.

Ainsi, dans le garçon frappe le ballon, dont la structure est donnée plus haut, les règles de projection étudieront d’abord la compatibilité entre le formant [Prst] et le formant [frapp-], puis entre le formant [le] et le formant [ballon], car les étiquettes de ces deux groupes de formants sont situées au niveau le plus bas. Ensuite seront étudiées les possibilités d’amalgame du niveau immédiatement supérieur : entre [le] et [garçon], entre ([Prst] + [frapp-]) et ([le] + [ballon]), etc.

Le groupe le ballon sera interprété sémantiquement, le groupe frappe le ballon également, mais non pas garçon frappe ni frappe-le, qui ne sont pas des constituants.

Les règles d’inclusion de catégorie complètent l’appareil des règles d’interprétation sémantique. Le dictionnaire sémantique devra recevoir une forme économique et ne pourra donc indiquer de façon exhaustive toutes les catégories sémantiques d’une unité lexicale. Ainsi, ayant à définir carpe, tout dictionnaire commencera la définition par poisson (qui...), renvoyant à la catégorie poisson, plus englobante, économisant des renseignements du type « la carpe est un vertébré ». Il serait fastidieux de trouver toute la définition des animaux, suivie de toute la définition des poissons, lorsqu’il s’agit de définir carpe, brochet, gardon, etc. Il en ira de même du dictionnaire sémantique.


La sémantique générative

La grammaire de Chomsky a été également l’occasion d’une théorie sémantique qui la conteste et va, dans ses derniers développements, jusqu’à la nier : la sémantique générative, dont les principaux auteurs sont George Lakoff et James D. McCawley.

Cette théorie part de la constatation des limites descriptives de la sémantique interprétative. De nombreux faits empiriques ne peuvent trouver place dans le modèle de Katz, de Fodor et de Postal. Aussi les sémanticiens génératifs proposent-ils successivement diverses corrections. Le niveau syntaxique profond est supprimé : la sous-composante de base disparaît. D’autre part, le caractère interprétatif de la sémantique est refusé : la structure profonde est sémantique ; la composante sémantique disparaît ainsi à son tour. Enfin, le seul type de règles conservé étant les règles transformationnelles, c’est la sous-composante transformationnelle en tant qu’entité indépendante qui disparaît. La sémantique générative, de critique en critique, démolit ainsi tout l’édifice de la grammaire de Chomsky, en commençant par contester le postulat de la centralité de la syntaxe et en finissant par refuser toute distinction entre règles de réécriture, règles transformationnelles et règles d’interprétation.