Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Séleucides (suite)

Quant à la symmachie, c’est un agrégat d’États soumis à l’autorité du roi, selon des modalités qu’il apprécie seul (sans être d’ailleurs lié en cela par les décisions de ses prédécesseurs), et dont il « garantit la liberté » tout en leur accordant l’autonomie d’administration interne et, selon la formule officielle, la possibilité de jouir « de leurs droits propres et de leur gouvernement traditionnel ». On y trouve des dynastes, souverains en miniature qui tiennent du souverain séleucide autorité sur des districts d’administration difficile : la Phrygie (avec Lysias), Cybira (avec Moagétès), la Carie. Peu à peu, la décomposition de la puissance royale permet à des officiers de plus en plus nombreux de se faire une place en Syrie même : Démétrios à Gamala, Strabon à Beroia (Alep).

L’alliance comprend aussi des ethnê (« peuples »), qui peuvent être des organisations tribales de type traditionnel (en Syrie arabe ou dans l’Idumée) ou des États puissants, comme l’ethnos juif confié à l’administration de son ethnarque. Ce qui caractérise vraiment l’alliance, ce sont les cités de type grec (on a pu croire même qu’aucune cité n’appartenait à la khôra) ; souvent, les rois en ont fondé (Séleucos Ier en a créé soixante), les ont favorisées et ont encouragé leur autonomie pour développer l’hellénisme dans leur royaume. Tous les territoires appartenant à l’alliance ont en commun un privilège : ils communiquent avec le roi comme des États indépendants, par l’intermédiaire d’ambassades, mais, comme ils ne peuvent entrer en rapports officiels avec les États étrangers, leur liberté est une réalité de droit administratif et non un droit de type international. (Il peut être intéressant pourtant pour une puissance comme Rome, qui veut se ménager la possibilité d’intervenir contre Antiochos III, de reconnaître sur le plan international la liberté de telle ou telle cité.) Cette liberté concédée doit, en principe, porter à la reconnaissance envers le roi les cités qui en profitent ; néanmoins, l’hellénisme n’est pas exorcisé de ses démons ; la cité grecque voudra bien vite une vraie liberté au lieu de cette autonomie protégée ; son désir de s’opposer à son protecteur, de dresser l’un contre l’autre deux ou plusieurs protecteurs éventuels finira, bien sûr, par rompre l’unité même du royaume.


Le gouvernement

Le roi est l’unique responsable, l’unique maître de son royaume ; il doit, avant tout, garantir à ses sujets la paix et la prospérité, protéger leur liberté. Il est ainsi le « conservateur » de son royaume (sôter). Il en est même d’ailleurs le créateur (ktistês) : non seulement parce qu’il en a rassemblé les éléments, mais parce que toute loi émane de lui (on va même jusqu’à dire qu’il est la « loi animée », nomos empsukhos) et que, la vie ne pouvant s’entendre sans règle sociale, il est le fondateur même de la vie. Les cultes que l’on rend au souverain, que ce soit dans l’ensemble du royaume à compter d’Antiochos III ou dans les cités grecques qui en prennent l’initiative, font une grande place à cet aspect cosmique de sa divinité, qui sait rassembler et organiser la nébuleuse sociale.

C’est par la force que le souverain impose son pouvoir et qu’il le conserve, son armée lui permettant de tenir ses engagements dans un monde où la guerre est permanente. Le roi est avant tout un chef de guerre qui paie de sa personne (dix rois sur les quatorze qui se sont succédé jusqu’à la mort d’Antiochos III sont morts en campagne), mais qui laisse à ses compagnons d’armes une grande place dans l’État. Cela ne veut pas dire, comme on l’a parfois écrit, que l’armée joue un rôle institutionnel en donnant au roi l’investiture, car celui-ci tient son pouvoir de sa naissance d’abord (même si, dans les jours sombres de la dynastie, on a vu des prétendants s’appuyer sur une armée pour soutenir des prétentions infondées, ce ne sont pas leurs troupes qui justifiaient leur espoir de légitimité ; les soldats étaient libres d’obéir à tel qui se disait roi, mais ils ne l’élisaient pas). Cela signifie que c’est au combat qu’il faut se distinguer si l’on veut jouer les premiers rôles ; les « ministres civils » (comme Hermias sous Antiochos III) ne sont guère aimés, ce qui explique que les stratèges, dont les fonctions étaient à l’origine purement militaires, aient pu supplanter les satrapes dans le gouvernement des provinces. L’inconvénient majeur de cette situation est que les troupes qui comptent sont de recrutement essentiellement macédonien, que le pouvoir des Séleucides prend de ce fait un aspect colonial et que les Orientaux, qui constituent la quasi-totalité des habitants du royaume, considèrent ce pouvoir comme un pouvoir étranger. L’histoire de la décomposition du royaume séleucide doit faire une large place à ce genre de sentiments des autochtones, car, dans les provinces de l’Asie Mineure ou d’Iran, bien des habitants ont pu souhaiter la venue d’un nouveau maître qui ne fût pas occidental. D’autant que les Séleucides, depuis la mort d’Antiochos Ier, ne semblent pas faire grand-chose pour séduire l’Orient : l’étiquette stricte de la cour (aulê) les fait vivre à la macédonienne ; le costume qu’ils portent — bottes, manteau de soldat macédonien, chapeau de feutre à larges bords orné du diadème (qu’ils peuvent porter aussi à même leur chevelure) — les singularise ; quant à leur langue (celle de l’administration), c’est bien sûr le grec.

Le roi gouverne seul : il doit présider lui-même une foule d’audiences données aux ambassadeurs étrangers, aux représentants des États de l’alliance, à ses sujets même. Les rapports politiques dans le monde hellénique sont en effet des rapports directs, et il ne faut pas qu’un souverain cherche à se dérober au juste désir de ses sujets à le rencontrer : Démétrios Ier, qui voudra s’isoler, paiera de son trône ce désir, que l’on prendra pour du mépris. Le royaume vit au rythme des innombrables lettres qui portent des ordres aux satrapes, aux cités, aux dynastes ; rien ne peut se faire sans que le roi l’ait ordonné, car tout se fait dans le royaume au nom et par délégation du souverain (de qui une cité autonome qui donne l’impression de se gouverner seule tire-t-elle son existence, sinon de lui ?). La tâche du roi est lourde, et Séleucos Ier s’en plaignait déjà.