Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Seldjoukides (suite)

Fixés à Djand (ou Djend), Selçuk et ses trois fils tirent habilement parti des querelles continuelles qui mettent aux prises les Sāmānides d’Iran et les Karakhānides (ou Qarakhānides) de l’Asie centrale. Ils penchent sans doute pour les premiers, mais ne manquent pas de rallier les seconds quand ils peuvent en bénéficier. Ainsi parviennent-ils à s’installer fermement en Transoxiane, puis dans la région de Boukhara. Là, ils entrent en conflit avec les Rhaznévides* (ou Ghaznévides) et, à la suite d’une série de victoires, les chassent du Khorāsān (1035-1040) : Tchagri Beg (Çagrı Bey) s’installe à leur place. Son frère Toghrul Beg (Tuğrul Bey, 1038-1063) peut alors s’emparer de Nichāpur (1038), du Khārezm (1042), de Hamadhān, puis d’Ispahan (1051), dont il fait sa capitale. Dans un monde en plein désordre, où, quand il ne domine pas, le chī‘isme le plus extrémiste agite et soulève les masses, Toghrul opte pour l’orthodoxie et s’affirme le loyal sujet du calife ‘abbāsside. Aussi est-ce à lui que celui-ci s’adresse en 1055 quand il se trouve exposé à des périls pressants. Toghrul entre à Bagdad, devient le protecteur officiel du suprême souverain, reçoit de lui sa fille et le titre de sultan. Son pouvoir se trouve ainsi légitimé.


Les Grands Seldjoukides (1038-1157)

C’est sans difficulté majeure qu’à la mort de Toghrul Beg, son neveu Alp Arslan (1063-1073) accède au trône. Musulman de stricte obédience, il se doit de faire la guerre sainte aux Byzantins, et sa guerre ne sera pas une campagne de rapines, mais une conquête suivie d’une occupation du sol. En 1064, le sultan envahit l’Arménie, prend Ani et Kars, s’avance en Syrie et en Anatolie. En 1070, il s’empare d’Alep. Le basileus Romain IV Diogène, conscient du péril, lève une armée de 200 000 hommes en 1071, mais se fait écraser et capturer, près du lac de Van, à la bataille de Mantzikert (auj. Malazgirt). Il ne faut pas deux ans à Malik Chāh (1073-1092), fils et successeur d’Alp Arslan, pour se rendre maître de toute l’Asie Mineure. En 1078, il est à Nicée, à quelques kilomètres du Bosphore, de Constantinople, de l’Europe. Sans un secours de l’Occident, c’en est fait de l’Empire byzantin. Et ce n’est pas le problème que pose l’organisation d’un État trop vaste (il s’étend du Turkestan à l’Égée), d’un État trop rapidement constitué, ce ne sont pas les querelles dynastiques entre frères, neveux, cousins qui suivent la mort de Malik Chāh (1092) qui peuvent le sauver. La croisade, seule, le fera, non pour Byzance, mais pour l’Europe. Ce ne seront pourtant pas les Grands Seldjoukides qui recevront les croisés, mais leurs successeurs en Anatolie, les Seldjoukides de Rūm.

Les quatre fils de Malik Chāh, Maḥmūd, Barkyārūq (Berkyaruk), Muḥammad Ier et Sandjar (Sencer), se succèdent sur le trône, mais l’Empire est déjà disloqué. En 1118, sa division deviendra officielle. Sandjar régnera sur le Khorāssān et l’Iran oriental de 1118 à 1157 ; Maḥmūd (1118-1131), fils de Muḥammad Ier, aura pour sa part l’Iraq et l’Iran occidental. Les Seldjoukides d’Iraq survivront un peu, et les Grands Seldjoukides disparaîtront à la mort de Sandjar (1157).

Si bref eût été l’empire des Grands Seldjoukides, il eut une importance singulière, parce qu’il apporta un sang nouveau à l’islām, unifia pour un temps nombre de ses terres et lui fit retrouver le chemin oublié des conquêtes. Son succès fut dû, avant tout, à la supériorité incontestable des armées turques, mais aussi aux méthodes de gouvernement qui furent employées. Celles-ci furent en partie exposées par le Livre de politique (Siyāset nāme) du grand vizir Niẓām al-Mulk (1018-1092), bras droit de Malik Chāh. Un rôle de choix fut laissé aux indigènes, parfaitement civilisés, mieux aptes que les guerriers turcs à gérer les affaires et dont l’impuissance passée ne provenait que du désordre. On ne fit nul effort pour dénationaliser l’Iran ; il se produisit au contraire une iranisation de l’élite turque (la langue officielle fut le persan) et une mobilisation des talents au service de l’iranisme. Un immense effort culturel fut provoqué par Niẓām al-Mulk, fondateur des universités portant son nom (madrasa Niẓāmiyya) de Bagdad, de Nichāpur, d’Ispahan, de Balkh, de Harāt, de Merv. Le grand penseur al-Rhazālī fut un des premiers à y enseigner. Une floraison de chefs-d’œuvre s’ensuivit dans toutes les branches de la science et de l’art : en architecture, la Grande Mosquée d’Ispahan ; en céramique, la fabrication de milliers d’objets admirables ; en mystique, Bābā Ṭāhir et Abū Sa‘īd ; en lettres : le poète-philosophe Nāsser-e Khosrow (Nāṣir-i Khasraw), le poète-astronome Omar ou ‘Umar Khayyām*, le poète-romancier Nezāmi (Niẓāmī*), les panégyristes Anvari, Khāqāni. Quelques-uns des plus grands noms de l’Iran relèvent de ce siècle.

Cependant, tout ne fut pas positif. Les Seldjoukides avaient fait du sunnisme la religion d’État, mais l’opposition chī‘ite ne désarma jamais. Les princes ne purent venir à bout des ismaéliens d’Alamut, amateurs de hachisch qui employèrent le meurtre comme moyen politique (et dont nous avons fait les Assassins) et qui constituèrent un véritable État dans l’État. L’émigration massive d’Oghouz, soumis ou rebelles, modifia profondément la composition ethnique et linguistique ainsi que la vie des populations d’Iran. Le nomadisme reconquit des terres sur l’agriculture et fit régresser le niveau de vie rural.


Les Seldjoukides de Rūm (1077-1308)

Dans la brèche ouverte par les Seldjoukides, une masse de peuples turcs, en majorité oghouz, se rue sur les territoires de l’islām. Les sultans d’Ispahan, peu soucieux de voir ces nomades, remuants et indisciplinés, s’installer sur leurs terres, les dirigent vers l’Asie Mineure. Ceux-ci s’y entassent dans la sorte de cul-de-sac verrouillé par Byzance. Ainsi, à côté des Seldjoukides, s’installent des chefs de guerre qui se taillent des principautés qu’ils essaient de garder indépendantes : Saltuqides (Saltuklular), d’Erzurum, Mengüdjekides (Mengücükler) du haut Euphrate, Artuqides ou Ortokides (en turc Artukoğulları) de Mardin, de Diyarbakır, de Ḥisṇ-Kayfā (auj. Hasankeyf). L’une d’elles, celle des Dānichmendites (Danişmentliler) occupe Sıvas : elle se montrera pendant cent ans le plus redoutable adversaire des Seldjoukides d’Anatolie (ou de Rūm). Ceux-ci ont le prestige d’être appạrentés à la famille impériale d’Iran et de descendre en droite ligne de Selçuk. Leur chef, Sulaymān ibn Kutulmich (Süleyman, 1077-1086), arrière-petit-fils du fondateur, mène une politique de bascule entre les différents partis byzantins. Il vend ses services aux uns et aux autres contre villes et territoires. Quand, en 1081, Alexis Ier Comnène monte sur le trône, il signe avec lui un accord qui lui permet de faire de Nicée sa capitale. Dans le désarroi qui a suivi la bataille de Mantzikert, une fraction des Arméniens a fui en direction du Taurus et de la Cilicie. Un aventurier du nom de Philarète Vahram (en grec Brachamios) est parvenu à instaurer un État entre Urfa, Maraş et Malatya. Sulaymān ibn Kutulmich l’attaque, le vainc, s’empare d’Antioche, marche à deux reprises contre Alep, devant laquelle il trouve d’ailleurs la mort (1086). Toute la politique byzantine jusqu’en 1159 aura pour objet la reconquête de la grande métropole chrétienne d’Antioche. De 1086 à 1092, le fils mineur de Sulaymān, Kilidj Arslan (Kılıç Arslan) est captif en Iraq, et l’édifice des Seldjoukides en Anatolie semble s’ébranler. Les Dānichmendites, plus puissants que ces derniers, veulent recueillir l’héritage : une rivalité entre les deux maisons commence, qui ne cessera que devant les croisés.