Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

science (suite)

Aucune conciliation promettant la coexistence harmonieuse des différents modes de penser, aucune restauration permettant le rétablissement de l’unité par universalisation de la méthode théologico-métaphysique n’est possible. L’accession à l’état positif ruine la validité des états précédents. Disparition par désuétude, qui ne suppose pas le recours à tout l’appareil dialectique.

Autant dire que la contradiction n’a d’efficacité que par défaut ; par défaut d’un développement complet de l’esprit positif. Autant dire que « la création de la sociologie vient aujourd’hui constituer l’unité fondamentale dans le système entier de la philosophie moderne » (A. Comte, Cours de philosophie positive, t. VI).

L’hypothèse de la loi subit un double traitement :
— une vérification historique — chacune des connaissances se développe selon ces trois états sans jamais rétrograder, même si toutes les connaissances ne sont pas encore parvenues au stade positif ;
— une démonstration « directe », par position d’une nature de l’esprit qui rend « inévitable » en même temps qu’« indispensable » l’allure de l’évolution intellectuelle selon la loi des trois états — l’être se confond avec le devoir être.

L’esprit humain ne peut manquer d’interpréter d’abord la nature selon le mode de penser théologique (état théologique ou « fictif »), car c’est le seul qui se produise spontanément, ne supposant rien d’antérieur pour être. Condamné à observer pour concevoir et à concevoir pour observer, il répond à cette double obligation par la philosophie théologique. Les phénomènes sont assimilés à des actes selon une compréhension de type anthropomorphique. La philosophie théologique fortifie la cohésion sociale en offrant d’emblée un ensemble de croyances communes et favorise l’apparition d’une classe spéciale, consacrée à l’activité spéculative, la classe sacerdotale.

L’état métaphysique (ou « abstrait ») sert de transition : à la différence des deux autres états, aucun principe propre ne le définit. C’est à peine un état. La philosophie métaphysique (philosophie des lumières*) réalise une simple modification de l’état théologique en substituant aux « volontés », causes des phénomènes (comme des actes), des « entités abstraites ». Elle réalise cependant une vertu critique en autorisant l’existence simultanée de la philosophie théologique et de la philosophie positive avant que celle-ci ne se soit imposée définitivement.

L’état théologique et l’état positif donnent lieu à des modes de penser organiques, capables d’offrir un fondement à la morale et à la religion ; l’état métaphysique promeut un compromis instable, qui ne dure qu’à l’occasion d’un changement continuel.

L’esprit positif s’est désormais reconnu et peut jouer comme norme, comme critère régulateur. La philosophie positive impose un ordre, une échelle permettant de mesurer à quel degré de positivité est parvenue la conception d’une catégorie donnée de phénomènes. Ordre qui n’est autre que la classification des sciences fondamentales. La classification n’est pas un simple procédé d’exposition, mais apparaît comme le « complément naturel » de la loi des trois états.

Elle n’enferme que les sciences théoriques qui ne se préoccupent que de la connaissance des lois. De l’astronomie à la sociologie, en passant respectivement par la physique, la chimie, la biologie — les mathématiques sont à part —, le principe de classement est celui d’une généralité décroissante ou d’une complexité croissante des phénomènes étudiés.

La classification des sciences vient s’intercaler entre la prise de conscience de soi de l’esprit positif et la réalisation incomplète de cet esprit : en ce sens, elle est le complément indispensable de la loi des trois états.

Loi et classification définissent le concept comtien d’histoire des sciences. Définition qui a tenté E. Mach dans Die Mechanik in ihrer Entwicklung historisch-kritisch dargestellt (1879). Définition ou restriction qui risque fort d’être fatale à l’activité scientifique elle-même !

« Le procédé le plus simple pour dominer les questions soulevées par les transformations continuelles des sciences consiste à s’efforcer de stabiliser celles-ci en cherchant, d’une part, à délimiter leurs frontières contre toute incursion possible de la métaphysique et, d’autre part, à fixer une fois pour toutes les principes et les méthodes de ces sciences elles-mêmes. Tel est le double objectif que s’est proposé d’atteindre A. Comte en son cours de philosophie positive [...]. Nous ne retiendrons naturellement du comtisme que ce qui touche aux sciences proprement dites, par opposition à sa « synthèse subjective » et à sa sociologie encore toute spéculative, bien que le conservatisme social de Comte, curieusement combiné avec sa croyance au progrès, n’ait pas été peut-être sans influence sur son conservatisme scientifique » (J. Piagel, Logique et connaissance scientifique, 1967).


Koyré : histoire des sciences ou histoire des concepts ?

La science moderne vient à l’être par « transformation », par « mutation », par « révolution ». Révolution qui ne veut pas dire « instantanéité », puisque, après tout, ce processus commence avec Copernic* pour s’achever avec le triomphe de la « philosophie naturelle » de Newton*. Si la révolution est nécessaire, c’est que les préjugés sont tenaces. Révolution qui impose un long cheminement à cause de la positivité des erreurs. A. Koyré rompt avec l’optimisme du rationalisme idéaliste, qui ne découvre dans l’erreur que du négatif, un néant d’être. Les erreurs sont pesantes d’autant qu’elles s’organisent en une conception générale et cohérente du monde. Ainsi, la physique d’Aristote est fausse, périmée, antimathématique, mais n’en reste pas moins une théorie hautement élaborée, « une doctrine qui, partant naturellement des données du sens commun, les soumet à un traitement cohérent et systématique » (A. Koyré, Études d’histoire de la pensée scientifique, 1966).