Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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science (suite)

D’où la complémentarité de Bacon, de Galilée et de Descartes : à Bacon* l’honneur de révéler la « nature de la raison » en recensant les « trois instruments » nécessaires à l’investigation de la nature (l’observation, l’expérience et le calcul) [moment de la raison] ; à Galilée* le droit de profiter de la pensée baconienne et d’appliquer les exigences méthodologistes (moment de la raison raisonnée) ; à Descartes*, enfin, le privilège de « joindre l’exemple au précepte » et d’offrir le moyen de découvrir et de reconnaître la vérité (moment de la raison raisonnante).

« Si, dans les sciences physiques, sa marche est moins sûre que celle de Galilée, si sa philosophie est moins sage que celle de Bacon, si on peut lui reprocher de n’avoir pas assez appris par les leçons de l’un, l’exemple de l’autre à se défier de son imagination, à n’interroger la nature que par des expériences, à ne croire qu’au calcul, à observer l’univers au lieu de le construire, à étudier l’homme au lieu de le deviner, l’audace même de ses erreurs servit aux progrès de l’espèce humaine » (Condorcet, op. cit.).

Cette réduction du scientifique au méthodologique prend le risque d’apparaître comme une restriction abusive. Condorcet a prévenu la critique qui lui reprocherait un scientisme borné. La méthode n’est pas un instrument à usage uniquement scientifique ; elle se donne également pour un concept proprement philosophique — « métaphysique » — assurant la médiation entre la raison et la nature.

Observer les faits généraux et déterminer les lois constantes qui encouragent le développement des facultés repérées par le sensualisme, en retenant les traits communs aux individus, c’est faire œuvre de « métaphysique ». Suivre ce même développement eu égard aux individus existant dans le même temps sur un espace donné, de génération en génération, c’est s’imposer de peindre le « tableau des progrès de l’esprit humain ».

La philosophie du xviiie s. veut non seulement expliquer le monde, mais aussi le transformer, et c’est en l’expliquant qu’elle croyait le transformer. Dans cette croyance en la puissance de la vérité et de la raison, elle se sent confirmée par l’histoire. C’est l’histoire elle-même qui montre la réalité du progrès.


Comte : histoire des sciences ou histoire de l’esprit ?

La philosophie de la connaissance assumée par le positivisme est largement connue : « Nous voyons [...] que le caractère fondamental de la philosophie positive est de regarder tous les phénomènes comme assujettis à des lois naturelles invariables, dont la découverte précise et la réduction au moindre nombre possible sont le but de tous nos efforts, en considérant comme absolument inaccessible et vide de sens pour nous la recherche de ce qu’on appelle les causes, soit premières, soit finales » (A. Comte, Cours de philosophie positive, 1re leçon).

Profession de foi légaliste, anticausaliste qui salue dans la loi de la gravitation newtonienne la plus grande conquête de l’esprit positif. C’est qu’une telle loi réussit à unifier les multiples faits astronomiques, répétant dans leur diversité un seul et même phénomène selon des points de vue différents, et découvre le « fait général » de l’attraction comme l’extension du phénomène facilement observable et communément observé de la pesanteur des corps à la surface de la Terre. La détermination de la nature intime de l’attraction et de la pesanteur ainsi que la quête de leurs causes ne servent guère qu’à flatter l’imagination des « théologiens » et l’ardeur critique des « métaphysiciens ».

Le légalisme résume le travail de la science en une organisation des « phénomènes » selon des relations de succession et de ressemblance. Le phénoménal est l’observable. L’observation sollicite l’activité de systématisation, effet spontané de la nature de l’esprit humain.

Quel lien entre cette prise de position qui refuse, comme impossible et inutile, l’explicitation du processus de production causale des phénomènes et la nécessité — celle de la pensée philosophique du xixe s. — d’élaborer une philosophie de l’histoire cohérente ?

Si la nature ne nous livre pas ses secrets, c’est qu’une autre « nature » pèse de tout son poids idéologique : celle de l’esprit humain. L’histoire ne se confond pas avec un approfondissement de la connaissance du monde naturel, mais s’offre comme le lieu d’une explication, toujours plus clairvoyante, du contenu de l’esprit humain, comme l’occasion d’une révélation de la nature de l’esprit humain.

La réflexion comtienne commence par la constatation d’une crise qui frappe la société française, voire la société occidentale dans son ensemble. Crise dont les manifestations sociale, politique et économique ne sont que les symptômes d’un état d’anarchie plus profond : la « désorganisation intellectuelle ».

L’unité sociale ne peut être préservée et maintenue que par l’universalité des croyances. Croyance qui peut s’abîmer dans le mysticisme ou accepter la démonstration de la raison. L’universalisation de la « foi raisonnée » ou « positive » doit assurer la stabilité sociale et prévenir tout excès d’individualisme.

Or, si l’esprit positif est bien « réel », il n’est encore que « spécial ». L’esprit positif est « réel » puisque les phénomènes astronomiques, mécaniques, chimiques et biologiques lui sont soumis, mais il est « spécial » dans la mesure où les faits sociaux lui échappent encore. Une telle contradiction interdit la satisfaction du besoin d’unité de l’esprit et assure la pérennité du désordre. Aussi la tâche urgente est-elle de résoudre cette contradiction ?

Rôle — théorique — dévolu à la loi des trois états. Trois états qui désignent autant de méthodes de philosopher, de systèmes généraux supportant une conception de l’ensemble des phénomènes s’excluant mutuellement : l’état théologique, l’état métaphysique et l’état positif.

Les progrès de l’esprit humain — du fait de sa nature — passent inévitablement, dans chacune des branches de la connaissance, par ces trois états théoriques distincts.