Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Schubert (Franz Peter) (suite)

À la fin de 1815, après avoir brigué vainement un poste de directeur de la musique à Laibach (Ljubljana), il reprend sans plaisir sa tâche d’instituteur. Par l’intermédiaire de Spaun, il envoie à Goethe ses plus beaux lieder, qui lui sont retournés sans un mot du poète. Découragé par l’opéra, il ne s’y risque qu’une seule fois en 1816, avec Die Bürgschaft (la Caution), qui contient des éléments de l’opéra-comique français, mais qui restera inachevé. Il compose d’autre part un quatuor en mi majeur, une 4e symphonie dite « tragique » en ut mineur pour grand orchestre, une 5e symphonie, en si bémol majeur, de caractère plus intime, et de la musique religieuse (Salve Regina, Magnificat, messe en ut majeur, Stabat Mater). Mais c’est au lied qu’il revient le plus volontiers avec un sens accru du contenu des poèmes et de la couleur tonale, par exemple dans An Schwager Kronos (Au postillon Kronos) de Goethe, Edone de Klopstock et Trost im Liede (Chanson consolatrice) de F. von Schober. À la fin de 1816, il décide de se libérer de ses fonctions scolaires. Il rompt aussi tout lien avec sa famille et s’installe en décembre chez son ami Schober. Enfin libre, après quelques tentatives pour trouver un poste fixe, il va maintenant mener une vraie vie de bohème. En 1817, il revient à un genre qu’il admire chez Beethoven*, la sonate pour piano ; après de multiples essais, il termine cinq sonates (si, la mineur, mi, mi bémol et la bémol majeur), dans lesquelles il tente d’esquisser la forme cyclique. Ses andante sont des lieder très développés et d’une luxuriante harmonie. Tandis que l’opéra de Vienne joue les œuvres de Rossini*, sa sonate pour piano et violon en la majeur, ses ouvertures en et en ut majeur ainsi qu’une 6e « petite symphonie », en ut majeur, se parsèment d’italianismes. Ses lieder de 1818, tels Am Bach im Frühling (Au bord du ruisseau au printemps) de Schober et Fahrt zum Hades (Descente aux enfers) de Mayrhofer, portent aussi la marque de cette influence. Par contre, d’autres, comme Die Forelle (la Truite) de Schubart et Der Tod und das Mädchen (la Jeune Fille et la mort) de M. Claudius, y échappent complètement. Dans un genre aussi personnel que le lied* — mais beaucoup moins bien connu —, le chœur, il faut aussi citer celui pour voix d’hommes : Gesang der Geister über den Wassern (Chant des esprits sur les eaux) de Goethe.

Schubert obtient en juillet 1818 la charge de maître de musique des deux filles du comte Esterházy et part pour Zseliz (Hongrie), satisfait d’avoir enfin trouvé un emploi. À l’intention de ses jeunes élèves, il compose des pièces pour piano à quatre mains — qui, pour lui, symbolisent l’amitié — et des marches militaires. C’est lors de ce séjour que, logé dans les dépendances du château, il connaît une jolie soubrette qui sera à l’origine du mal dont il souffrira plus tard. Mais, loin de ses amis, il a la nostalgie de Vienne. Au bout de quelques mois, il rejoint Mayrhofer et vit momentanément chez lui. L’été suivant (1819) lui offre une autre diversion. Schubert part en vacances pour Steyr, en Haute-Autriche, avec son ami le chanteur Johann Michael Vogl (1768-1840), depuis deux ans l’interprète idéal de ses lieder. Après un détour par Linz, il rentre à Vienne en septembre. L’été a vu naître une sonate pour piano en la majeur et le quintette la Truite pour piano et cordes, dont le scherzo est un thème varié sur le lied bien connu. Dans ses nouveaux lieder, Schubert préfère maintenant les poètes romantiques, les frères Schlegel, F. Novalis, F. Rückert, L. Uhland, etc. Dans Der Wanderer (le Voyageur) de F. von Schlegel et Nachthymne (Hymne nocturne) de Novalis, le style se charge de correspondances et de symboles. Mais, devant le succès de Rossini, Schubert s’obstine à croire que seul le théâtre le libérera totalement. Au début de 1819, son singspiel Die Zwillingsbrüder (les Frères jumeaux) est mal accueilli. Schubert commence un oratorio, Lazarus, dont il achève seulement le premier acte. En 1820, il reçoit la commande d’une pièce à grand spectacle, Die Zauberharfe (la Harpe enchantée), mélodrame médiocre dont l’ouverture deviendra par la suite celle de Rosamunde.

Entre 1820 et 1822, dans le lied, il délaisse la forme strophique et écrit d’un seul jet Im Walde (Dans la forêt) de F. von Schlegel et Suleika de Goethe. Après une Missa solemnis en la bémol majeur (1822), qu’il songe à dédier à l’empereur, il se surpasse en écrivant la Wanderer-Fantasie pour piano — page brillante, fortement charpentée malgré son titre, dans laquelle il cherche, en donnant à l’instrument des sonorités orchestrales, un autre équilibre que dans la sonate — et des Danses (Ländler, valses, écossaises). Pour l’orchestre il écrit en 1821 une 7e symphonie, en mi majeur, seulement ébauchée (restituée en 1934 par F. von Weingartner), puis en 1822 une 8e symphonie dite inachevée, chef-d’œuvre d’une déchirante mélancolie et d’une envoûtante séduction. Il revient encore à l’opéra avec Alfonso und Estrella (1822), œuvre jamais mise en scène où il use du style italien.

En 1823, il se sent malade, fuit la société et évite ses amis. Au théâtre, il subit trois nouveaux échecs avec Die Verschworenen (les Conjurés) — connu à Paris, où l’ouvrage sera représenté en 1868 sous le titre de la Croisade des Dames —, une pièce antiquisante, Lysistrata, et un opéra, Fierabras, vide et prétentieux. Ces déceptions ne l’empêchent pas de produire des pages d’une apparente gaieté, des chœurs avec ou sans piano et l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre, Die schöne Müllerin (la Belle Meunière), cycle de vingt lieder d’une débordante musicalité, où il fait souvent retour à la forme strophique en conservant un ton familier et sincère. À la fin de l’année, la musique de scène de Rosamunde (1823) commente avec bonheur une action pathétique, mais, une fois encore, en pure perte. Le véritable état d’âme du musicien apparaît dans sa sonate pour piano en la mineur, que A. Diabelli (1781-1858) appellera « Grande Sonate » dans son édition posthume, mais qui, en fait, est une œuvre relativement courte, concentrée et d’une intensité dramatique quasi désespérée. Durant l’année 1824, Schubert fait un second séjour à Zseliz, chez les Esterházy. Au souvenir de son amour secret pour l’une des filles du comte, il éprouve une grande mélancolie. Il lui faut maintenant chercher le bonheur en soi-même. Il s’ennuie un peu et quitte la Hongrie en octobre. Au début de l’hiver, il se rend chez son père, qui est remarié, et y demeure jusqu’en février 1825. À la fin de mai, il fait une tournée de concerts avec Vogl ; il passe à Linz, puis à Gastein, où il esquisse la 9e symphonie, dite « de Gmunden-Gastein », longtemps perdue, mais qui, selon des travaux récents, serait identique à la 10e symphonie. Des années 1824-1826 datent les quatuors en la, en mineur et en sol majeur — le second comprend des variations sur le lied la Jeune Fille et la mort —, la belle sonate pour piano en sol majeur et l’octuor pour clarinette, cor, basson et cordes (avec deux violons), conçu dans l’ancien style du divertimento. Schubert abandonne en 1827 la composition d’un dernier opéra, Der Graf von Gleichen (le Comte de Gleichen), dont le livret, parce qu’il traite de bigamie, est interdit par la censure, et achève deux trios en si bémol et en mi bémol majeur. Après quelques lieder de conception très romantique, comme Nacht und Träume (Nuit et rêves) de H. J. von Collin ou Du bist die Ruh (Tu es le repos) de Rückert, dans lesquels musicien et poète semblent fuir le réel, il traduit son état d’âme dans un admirable cycle de vingt-quatre pièces, Winterreise (Voyage d’hiver). Alors que la vie a maintenant perdu tout attrait, il évoque dans ces lieder, sans fausse sentimentalité et dans un style intense et concentré, le sombre présent (dans le mode mineur) et les souvenirs du passé (dans le mode majeur). En septembre 1827, il fait un voyage en Styrie. À Graz, il va au théâtre, fait des promenades en voiture, puis rentre à Vienne, où il termine des impromptus (op. 142) et ébauche des sonates pour piano. En 1828, après les impromptus (op. 90) et les Moments musicaux (op. 94) pour piano, où il témoigne de son esprit d’invention et de sa répugnance au développement, il termine de grandes compositions instrumentales, le quintette en ut majeur pour cordes (avec deux violoncelles) et la 10e symphonie, en ut majeur, redécouverte plus tard par Schumann* et qui n’est sans doute qu’une version remaniée de la symphonie de Gastein. Sans égaler l’« inachevée », œuvre d’exception, cette 10e (ou 9e) symphonie, dont l’exécution fut refusée parce qu’elle était « trop longue et trop ardue », anticipe sur l’avenir par son modernisme. Schubert, avant de mourir, écrit pour l’église la messe en mi bémol majeur, le Psaume XCII et l’Hymne an den Heiligen Geist (Hymne au Saint-Esprit) pour deux chœurs d’hommes. Dans ses derniers lieder, il s’inspire des poètes du Nord, L. Rellstab de Berlin et H. Heine de Düsseldorf. Après sa mort, son frère réunit ses ultimes pièces dans un recueil factice, Schwanengesang (le Chant du cygne), où figure Der Doppelgänger (le Sosie) de H. Heine, page exceptionnelle par son intensité lyrique et sa profondeur dramatique.