Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Schönberg (Arnold) (suite)

À près de cinquante ans, Schönberg revient à la composition avec les Cinq Pièces pour piano (1920-1923). Œuvre historique, la cinquième pièce, Valse (1921), inaugure l’écriture dodécaphonique : la série est née (v. dodécaphonie ou dodécaphonisme). Schönberg confie à l’un de ses élèves : « J’ai fait une découverte qui assurera la prépondérance de la musique allemande pendant cent ans : celle d’une méthode de composition sur douze sons. »

En 1923, Schönberg perd sa femme. Il se remarie, l’année suivante, avec Gertrud Kolisch. En 1925, il est nommé professeur à l’académie des arts de Berlin. Pendant toute cette période, il expérimente la série en quelques œuvres pour le piano ou pour de petites formations instrumentales ou vocales. Les Trois Satires op. 28 (1925), virulente attaque contre le néo-classicisme de Stravinski et de ses disciples, lui font, a noté Heinrich Strobel, beaucoup d’ennemis nouveaux. En 1927, il se sent assez sûr du bien-fondé de sa technique — Berg et Webern l’ont utilisée avec succès — pour entreprendre une œuvre destinée au grand orchestre, qu’il avait abandonné depuis les Cinq Pièces de 1909. Ce sont les Variations op. 31, qui dominent cette période de reconstruction ; elles seront créées le 2 décembre 1928 sous la direction de Wilhelm Furtwängler (1886-1954).

La période heureuse que Schönberg vit à Berlin, jalonnée d’œuvres moins importantes, mais aussi des esquisses de l’opéra Moïse et Aaron — que beaucoup tiennent pour l’une de ses œuvres majeures —, prend fin avec l’avènement du nazisme. D’origine juive, et bien qu’il ait été nommé à vie, Schönberg est, dès 1933, révoqué de ses fonctions à l’académie de Berlin. Comme beaucoup d’autres artistes, il doit quitter l’Allemagne. Plutôt que de rentrer à Vienne, il préfère s’exiler. Après un séjour à Paris, où, par solidarité avec ses frères persécutés, il se reconvertit au judaïsme (qu’il a abandonné en 1892 pour le protestantisme), il se rend aux États-Unis. Il y professe, d’abord à Boston, puis à l’université de Los Angeles (1935-1944). Il devient citoyen américain en 1940.

Au cours de cette dernière partie de sa vie, assombrie, sur la fin, par la maladie, Schönberg ne se consacre pas seulement à la pédagogie, encore qu’il publie en 1942 Models for Beginners in Composition et, qu’en 1954 paraisse Structural Functions of Harmony. Le concerto pour violon op. 36 (1936), le quatrième quatuor op. 37 (1936), le Kol Nidre, op. 39 (1938), le concerto pour piano op. 42 (1942), le trio à cordes op. 45 (1946), les Psaumes modernes (1950) marquent ces années au cours desquelles Schönberg compose deux œuvres « engagées » : l’Ode à Napoléon (1942), d’après un texte satirique de Byron, et Un survivant de Varsovie (1947), « épisode héroïque de la lutte des juifs polonais contre leurs exterminateurs ».

Arnold Schönberg meurt à Los Angeles le 13 juillet 1951, laissant inachevés, outre Moïse et Aaron et l’Échelle de Jacob, les Psaumes modernes, dont il avait écrit lui-même les textes, reflets de ses préoccupations religieuses.


L’œuvre

Par référence aux « manières » de Beethoven, on divise habituellement l’œuvre de Schönberg en quatre « périodes ». La première manière — celle des œuvres de jeunesse —, dominée par l’influence de Gustav Mahler* et de Richard Strauss et, au-delà, par celle de Wagner*, est incontestablement postromantique. C’est l’univers de Tristan et Isolde qui entoure la Nuit transfigurée, Pelléas et Mélisande et les Gurrelieder, comme il entoure les Kindertotenlieder (Chants pour des enfants morts) de Mahler et comme il entourera encore les Quatre Lieder, op. 2, de Berg. La personnalité de Schönberg s’y exprime dans sa volonté d’aller au bout des fantasmes romantiques. Le poème symphonique s’insinue dans une œuvre de musique de chambre ; l’ampleur colossale des Gurrelieder imite le gigantisme mahlérien de la Symphonie des Mille.

Au cours de la deuxième période — celle où Schönberg fait preuve de la plus grande créativité —, des œuvres très dissemblables sont élaborées : rien ne ressemble moins à Pierrot lunaire que la Symphonie de chambre. Le musicien est entraîné par la dynamique de son langage en pleine transformation : peut-être à son corps défendant. Il avouera, sur la fin de sa vie : « Il ne m’était pas donné de continuer dans la ligne des Gurrelieder ou de Pelléas et Mélisande ; le destin m’a imposé une voie plus dure ; néanmoins, mon désir de revenir à mon ancien style demeure toujours aussi vif ; de temps à autre, je cède à ce besoin. »

Pendant cette période se produit pour la première fois, dans les dernières pages du deuxième quatuor à cordes, la suspension des fonctions tonales, aboutissement inéluctable, semble-t-il, du style hyperchromatique issu de Tristan. C’est au contraire d’une réaction contre la sonorité trop opulente de l’orchestre romantique que va naître, dans les Cinq Pièces pour orchestre, op. 16, la « Klangfarbenmelodie » (« mélodie de timbres »). Sur le plan vocal, Pierrot lunaire met en jeu un nouveau type de déclamation lyrique : le « Sprechgesang » (« mélodie parlée »). Enfin, bien que Schönberg reste fidèle aux formes classiques, il pousse très loin le principe de non-répétition des motifs et tend ainsi à une variation continue.

La troisième période est celle de la mise en œuvre du système sériel, d’abord fragmentaire dans les Cinq Pièces pour piano, op. 23, et la Sérénade, op. 24, puis étendue, à partir du quintette à vent op. 26, à l’œuvre entière. Le système sériel organise le « chaos atonal » né des œuvres précédentes. À la hiérarchie des degrés, base du système tonal, il substitue l’égalité des douze sons du tonal chromatique, dont la succession est déterminée par un ordre, une série, que choisit librement le compositeur, sorte de code génétique qui préside à la conception de l’œuvre. Schönberg n’aperçoit pas que la nouvelle syntaxe devrait engendrer une nouvelle rythmique et déboucher sur de nouvelles formes. Très traditionaliste au fond, ce grand novateur continue de penser en fonction de modèles établis : la suite op. 29 s’achève sur une fugue, les variations op. 31 ont pour sujet le nom de Bach. La série devrait mener à l’athématisme (ce qu’elle fera chez Webern) ; Schönberg en fait un ultrathème.