Poète français (Lyon 1501 - id. v. 1560).
Maurice Scève fait partie de la florissante école qui, au xvie s., témoigne de l’intense activité culturelle et artistique de la ville de Lyon. Scève est issu d’une famille très aisée de la bourgeoisie lyonnaise et reçoit une éducation classique qu’il va compléter, semble-t-il, en Italie. En 1533, il est à l’université d’Avignon et participe aux recherches pour retrouver la tombe de Laure de Noves, qui fut aimée de Pétrarque. Il attribue à Pétrarque lui-même les quelques vers écrits sur un parchemin découvert sous la pierre tombale : c’est le scandale. Scève est accusé d’avoir lui-même rédigé le poème... En 1535, Scève fait imprimer par Étienne Dolet sa première œuvre, une traduction du roman de Juan de Flores, la Déplorable Fin de Flamète. Contrairement à la plupart de ses contemporains, Maurice Scève ne fut pas le poète d’une cour, mais celui d’une ville. Il s’intéresse aux activités culturelles et artistiques de Lyon. Il participe, avec des poètes de la région, à un concours qui met en compétition des « blasons », à l’exemple de Marot et de ses « blasons anatomiques du corps féminin ». Scève remporte le concours grâce à son « blason du sourcil ». Il devient aussitôt célèbre. Il collabore également au Recueil de vers latins et vulgaires de plusieurs poètes françois composés sur le trespas de feu Monsieur le Dauphin. Scève est plus précisément l’auteur de l’Arion et de l’Églogue sur le trespas de Monsieur le Dauphin (1536). Maurice Scève s’intéresse encore aux réjouissances de la ville. En 1539 et 1540, il est lui-même responsable de toutes les festivités. C’est en 1536 qu’il a rencontré Pernette du Guillet ; rencontre sans issue : Pernette est mariée, fidèle, insouciante de l’admiration que lui porte le poète vieillissant. En 1545, elle meurt prématurément. Le choc que Scève reçoit, pareil à un basilic qui « vient pénétrer en l’âme de [son] âme », a une influence déterminante. La vie, joyeuse jusque-là, devient une épreuve journalière : « Et dès ce jour continuellement / En sa beauté gist ma mort et ma vie » (Délie). Scève quitte Lyon pour une retraite solitaire et douloureuse dont il témoigne dans la Saulsaye, églogue de la vie solitaire (1547). Mais Lyon ne pouvait se passer de la personnalité de Scève et du poète, dont la renommée avait dépassé le cercle de ses amis : des personnalités les plus diverses (Thomas Sebillet tout comme du Bellay) lui rendent hommage. Il revient à Lyon, organise l’entrée solennelle d’Henri II dans la ville. La vie sociale reprend. Il fréquente les salons, celui de Louise Labé, en particulier. Avec les guerres de Religion, les plaisirs raffinés de la ville prennent fin. On ne sait ce qu’est devenu le poète : il se serait converti au protestantisme en Allemagne ; il n’aurait pas survécu à l’épidémie de peste qui ravagea Lyon en 1563. Le Microcosme paraît en 1562, ce qui laisse supposer qu’il était encore vivant à cette date.
Délie, objet de plus haute vertu (1544) mérite une attention particulière. Écrit après la mort de Pernette du Guillet, ce recueil, composé de 449 dizains, aurait été influencé par la Cabale... Quoi qu’il en soit, Délie est fondé sur la « froide raison ». Le hasard n’y trouve pas de place malgré l’« extase » dont il rend compte, qu’il contrôle avec une rigueur qu’on a pu comparer à celle de Mallarmé. Par le langage, Délie redevient vivante : l’idée prend corps (Délie serait d’ailleurs l’anagramme de « l’idée »). Le langage crée la vie. Il s’informe, la transforme sans jamais se perdre dans l’illusion, dans l’effervescence des sentiments. L’expérience de la mort intervenant dans une existence vouée aux plaisirs a conduit Scève à une prise de conscience de l’homme et des problèmes fondamentaux de l’existence. Dans le Microcosme, Scève s’interroge sur l’évolution de l’humanité. Mûri par la solitude et la souffrance, il a complètement abandonné le vers de circonstance, la frivolité qui fut la nourriture de ses premières années quand « l’œil trop ardent [...] il girouettait [...] à l’impourvue », alors qu’il était le premier amuseur de la ville de Lyon.
M. B.
V.-L. Saulnier, le Prince de la Renaissance lyonnaise, initiateur de la Pléiade : Maurice Scève (Klincksieck, 1948 ; 2 vol.). / P. Boutang, Commentaires sur 49 Dizains de la Délie (Gallimard, 1953). / J. P. Attal, Maurice Scève (Seghers, 1963). / H. Staub, le Curieux Désir. Scève et Peletier du Mans, poètes de la connaissance (Droz, Genève, 1967).