Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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scandinaves (littératures) (suite)

Au Danemark même, le premier à subir son influence se nomme Jens Peter Jacobsen (1847-1885). Ses deux grands romans, Marie Grubbe (1876) et Niels Lyhne (1880), sont le fruit du naturalisme et de l’athéisme. Autre disciple de Brandes, mais pour un temps seulement, Holger Drachmann (1846-1908) publie de nombreux recueils de poésies — tel celui des Chants de la mer (1877) —, des romans et des pièces de théâtre. Karl Gjellerup (1857-1919 ; prix Nobel en 1917) s’éloigne vite du brandésianisme ; son meilleur roman, le Moulin (1896), a pour scène l’île de Falster. Adversaire de Brandes, Herman Bang (1857-1912) repousse plus loin encore les frontières du naturalisme. Ses nouvelles et ses romans, comme En marche (1886) et Tine (1889), traitent des gens sans importance, aux destinées banales ou insignifiantes. Mais le plus grand romancier de cette époque est Henrik Pontoppidan* (1857-1943 ; prix Nobel en 1917). Il met surtout l’accent sur l’influence du milieu : lui-même est issu d’une famille marquée par le grundtvigianisme. À côté de nouvelles et de petits romans, il publie trois grandes œuvres : la Terre promise (1891-1895), Pierre-le-Chanceux (1898-1904) et l’Empire des morts (1912-1916), où il expose respectivement l’illusion du retour à la nature, du bonheur et de l’amour.

En Norvège, deux grands écrivains illustrent cette période : Henrik Ibsen* (1828-1906) et Bjørnstjerne Bjørnson* (1832-1910 ; prix Nobel en 1903). Bjørnson s’impose le premier au public en publiant plusieurs contes, dont Synnøve Solbakken (1857). Après un drame historique, Sigurd Slembe (1862), et un récit de ton plus moderne, la Fille du pêcheur (1868), prend fin sa production romantique : Une faillite (1875) est son premier drame réaliste, dont le sujet est la corruption dans le domaine financier. Dans un autre drame non moins célèbre, Au-delà des forces humaines (1883), deux mondes s’affrontent : celui de la libre pensée et celui de la foi. La suite de cette pièce (1895) a pour thème des problèmes d’ordre social. Le troisième grand drame, Paul Lange et Tora Parsberg (1898), évoque un conflit politique doublé d’un conflit amoureux. Bjørnson s’essaie dans tous les genres : romans (Magnhild, 1879 ; les Voies de Dieu, 1889), mais aussi nouvelles, poèmes souvent lyriques, articles polémiques et conférences.

Ibsen tire le sujet de ses premières pièces de l’histoire du Moyen Âge ou des sagas : les Guerriers à Helgeland (1858), les Prétendants (1864). Avec la Comédie de l’amour (1862), sa première satire de la société moderne, et un poème intitulé Sur les hauteurs (1860), il traite des problèmes de l’éthique et de l’esthétique dans la vie. Il s’exile alors volontairement pendant près de trente ans, incompris du public norvégien, pour lequel il écrit deux pièces vengeresses : Brand (1866), le drame de l’échec, et Peer Gynt (1867), où il fouette le caractère national. Il écrit une longue série de pièces sociales et crée le théâtre réaliste, qui connaît un succès européen et mondial : les Piliers de la société (1877), où il s’attaque aux liens qui entravent les individus ; Maison de poupée (1879), sur le thème de la libération de la femme ; les Revenants (1881), qui porte sur le tragique des destinées ; Un ennemi du peuple (1882), nouvelle attaque contre la société ; le Canard sauvage (1884), où l’on découvre le mensonge qui aide à vivre. À partir de cette date, Ibsen donne plus de liberté à sa fantaisie et, dans un cadre réaliste, introduit un symbolisme riche et provoquant : Rosmersholm (1886), la Dame de la mer (1888), Hedda Gabler (1890) ; ses drames se succèdent au même rythme étonnant, et le dernier, Quand nous nous réveillerons d’entre les morts (1899), fait figure d’apologie de toute son œuvre.

Tandis qu’Ibsen et Bjørnson élaborent le drame moderne, Jonas Lie (1833-1908) consolide le roman et brosse des tableaux de famille ou de la vie des marins : le Pilote et sa femme (1874), les Filles du commandant (1886). Alexander Kielland (1849-1906) montre son aversion pour les préjugés et l’égoïsme de la bourgeoisie dont il est issu dans ses romans et ses nouvelles, parfois très mordantes. Fidèle au naturalisme, Amalie Skram (1846-1905) dépeint les fruits amers du mariage malheureux : son chef-d’œuvre, les quatre volumes des Gens de Hellemyr (1887-1898), analyse l’influence du milieu et de l’hérédité. Cependant, la littérature néo-norvégienne prend son essor avec Arne Garborg* (1851-1924), dont le roman le plus connu, Étudiants paysans (1883), oppose les milieux citadin et campagnard. D’abord réaliste, l’œuvre de Garborg devient par la suite impressionniste : l’écrivain défend la réalité subjective. Un cycle de poèmes intitulé Haugtussa (1895) montre le charme des traditions, mais aussi la valeur évocatrice du landsmål.

En Suède, c’est Viktor Rydberg (1828-1895) qui marque la transition vers le naturalisme. Journaliste radical passionné par l’histoire de l’Antiquité, il est l’auteur du Dernier Athénien (1859) et de la Doctrine de la Bible concernant le Christ (1862), où il critique l’intolérance religieuse. Il est convaincu que l’humanité marche vers le progrès et il l’exprime dans ses poèmes. Carl Snoilsky (1841-1903), qui se place sous la bannière de Georg Brandes, est resté célèbre pour ses Images suédoises (1886), suite de portraits et de scènes de l’histoire de Suède. Mais c’est August Strindberg* (1849-1912) qui domine les lettres suédoises de cette époque ; il remporte un succès sans pareil à l’étranger, dû surtout à sa production théâtrale. Après Maître Olof (1872), sa première contribution au drame réaliste, il ridiculise dans son roman la Chambre rouge (1879) divers aspects de la société, de la religion et des institutions, contre lesquels il renouvelle ses attaques avec le Nouveau Royaume (1882). Deux recueils de nouvelles intitulés Mariés (1884 et 1886) sont les premiers fruits de sa mysoginie : il y fait la satire de la femme émancipée. Le Fils de la servante (1886) est un long ouvrage autobiographique où il relate les sombres souvenirs de son enfance. Puis Strindberg se tourne vers le théâtre et aborde des problèmes psychologiques plus que sociaux dans les drames naturalistes Père (1887), Mademoiselle Julie (1888), Créanciers (1888), mais aussi dans les romans Gens de Hemsö (1887) et Au bord de la mer (1890). Viennent alors Inferno (1897), écrit en français, et Légendes (1898), qui illustre son déséquilibre psychique et la crise qu’il traverse. Ensuite paraissent le Chemin de Damas (1898-1904), drame symbolique en trois parties, le Songe (1902), où l’auteur fait la somme de son expérience personnelle, des pièces historiques, dont Gustave Vasa (1899), ainsi qu’une pièce où les visions côtoient un réalisme intense, la Danse de mort (1902). En 1907, Strindberg crée son Théâtre-Intime, où il fait jouer Orage, la Maison incendiée, la Sonate des spectres et le Pélican. Le roman Drapeaux noirs (1904-1907) est empreint d’une violence non voilée. Strindberg consigne ses méditations religieuses, philosophiques et scientifiques dans les Livres bleus (1907-1914), dernière œuvre d’un ensemble d’une incroyable intensité et d’une diversité non moins surprenante, dont le style a véritablement redonné vigueur à la langue littéraire suédoise.