Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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scandinaves (littératures) (suite)

Toutefois, la plus belle illustration du réalisme poétique est fournie par les contes de Hans Christian Andersen* (1805-1875). Entre 1835 et 1872, l’écrivain danois publie plus de 160 contes et histoires. S’il y dénonce l’égoïsme ou la vanité, il garde malgré tout confiance en une justice éternelle. La bonhomie et la simplicité de son style le rendent accessible aux enfants, mais c’est aux adultes que s’adressent ses récits, où s’unissent le merveilleux et le quotidien. Ses contes — le Vilain Petit Canard, dont le héros n’est autre que l’auteur lui-même, la Cloche qui exprime clairement sa philosophie, et tant d’autres qui l’ont rendu célèbre — ont repoussé dans l’ombre le reste de son œuvre : plusieurs récits de voyages, quelques romans et des pièces de théâtre.

Face à l’esthétisme romantique et aux justifications de l’existence s’installent une critique plus sévère et le doute fondamental. Søren Kierkegaard* (1813-1855) publie ses premiers ouvrages sous pseudonyme : Ou bien... ou bien (1843) oppose la conception esthétique de la vie à celle de l’éthique, puis la troisième partie des Étapes sur le chemin de la vie (1845) apporte le complément décisif, celui du stade religieux. Kierkegaard traite aussi de la psychologie religieuse dans Crainte et tremblement et dans le Concept d’angoisse. Des trois modes de vie, l’esthétique, l’éthique et le religieux, il choisit ce dernier et montre que le christianisme est un paradoxe dont l’individu doit faire lui-même et seul l’expérience. Son véritable testament philosophique est le Post-scriptum définitif et non scientifique... (1846), dont l’influence sur le mouvement existentialiste sera considérable.

L’œuvre de Frederik Paludan-Müller (1809-1876) est caractérisée par ses romans en vers : la Ballerine (1833) et surtout Adam Homo (1841-1848). L’écrivain juif Meïr Aron Goldschmidt (1819-1887) publie pendant six ans un hebdomadaire satirique, le Corsaire ; il est l’auteur de plusieurs romans, tels Un juif (1845), qui traite des préjugés raciaux, et Sans foyer (1853-1857). C’est lui qui, pour ainsi dire, jette le pont entre le romantisme et le naturalisme au Danemark.

Pour sa part, la Norvège, qui, depuis 1814, a acquis son indépendance, se crée une vie culturelle propre. Henrik Wergeland (1808-1845), qui publie en 1830 les 20 000 vers de son épopée, la Création, l’Homme et le Messie, est à la source de l’essor littéraire norvégien. Romantique et rationaliste à la fois, il écrit des drames, des farces et de nombreux poèmes qui portent la marque de son patriotisme. Au contraire, Johan Sebastian Welhaven (1807-1873) continue la tradition littéraire danoise et va même jusqu’à ridiculiser les excès de nationalisme dans son célèbre poème l’Aube de la Norvège (1834). L’intérêt croissant porté aux chansons et aux contes du Moyen Âge incite à la recherche Jørgen Moe (1813-1882) et Peter Christen Asbørnsen (1812-1885), qui, en 1841, publient en commun le premier livre des Contes populaires norvégiens. Ils s’efforcent d’insérer des tournures dialectales dans la langue écrite à la danoise (ou riksmål). Le philologue Ivar Aasen (1813-1896), quant à lui, bâtit à partir des dialectes une langue nouvelle, le landsmål : il publie en 1848 une Grammaire de la langue populaire norvégienne et en 1850 un Dictionnaire. Simplifiée et normalisée, cette langue sera reconnue officiellement en 1885 sous le nom de néo-norvégien. Le journaliste Aasmund Vinje (1818-1870) en fait usage dans son propre journal, Dølen, et dans un recueil de poèmes (1864). À la même époque, Camilla Collett (1813-1895), sœur de Wergeland et première romancière norvégienne, prend pour thème l’émancipation sociale de la femme, qu’elle traite avec beaucoup de réalisme dans son roman les Filles du préfet (1855) et dans plusieurs recueils de nouvelles.

La Suède vit également sa période de transition entre le romantisme et le réalisme, dominée par Carl Jonas Love Almqvist (1793-1866). Celui-ci se préoccupe des problèmes sociaux, et en particulier de celui des paysans. Son œuvre la plus célèbre, intitulée Livre de l’églantier (1832-1851), comprend des poèmes, des nouvelles, des essais, des contes et des pièces de théâtre. Son roman historique les Bijoux de la reine (1834) fait la critique des mœurs et de la société. Almqvist excelle dans le genre de la nouvelle, qu’il introduit pratiquement dans la littérature suédoise. Fredrika Bremer (1801-1865) lutte pour l’émancipation de la femme ; son roman épistolaire les Voisins (1837) est le plus connu. Émilie Flygare-Carlén (1807-1892), elle, décrit la vie des pêcheurs de la côte ouest suédoise dans le roman la Rose de l’île aux chardons (1842). Il faut enfin citer le poète finlandais d’expression suédoise Johan Ludvig Runeberg* (1804-1877), qui écrit des poèmes de tendance nettement réaliste, tels les Chasseurs d’élans et la Veillée de Noël.

En Islande, le romantisme apporte un renouveau de la littérature : les poètes romantiques jouent un rôle dans la lutte pour l’indépendance ; ils admirent l’époque des sagas, louent la beauté de l’Islande et gardent précieusement l’usage de leur langue maternelle. Le plus grand d’entre eux est sans conteste Jónas Hallgrímsson (1807-1845), principal éditeur de la revue Fjölnir et dont la poésie lyrique est d’une beauté rarement égalée. Ses petits récits en prose ouvrent la voie aux romanciers, dont le premier est Jón Þorðarson (Jón Thoroddsen, 1818-1868), auteur de Garçon et fille (1850) et de Homme et femme (éd. posthume, 1876). De son côté, Jón Árnason (1819-1888) se charge de recueillir la vieille littérature populaire conservée dans la tradition orale.


Naturalisme et symbolisme

À la fin du xixe s., le renforcement des tendances réalistes sert de point de départ à un naturalisme qui se manifeste sous diverses formes.

C’est ce que le critique danois Georg Brandes* (1842-1927) désigne sous le nom de percée moderne. Dans ses conférences et ses écrits, il rassemble les convictions et les aspirations de son temps — notamment dans son œuvre maîtresse, les Grands Courants dans la littérature du xixe s. (1872-1890) — et en dégage sa conception littéraire, liée à la réalité et à la discussion. Il s’éloignera du naturalisme par la suite, pour écrire sous l’influence de Nietzsche des monographies qui reflètent son culte des grands hommes : Shakespeare, Goethe, Voltaire. Il a, en quelque sorte, guidé l’évolution de toute la littérature scandinave de son temps.