Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sapir (Edward) (suite)

L’idée essentielle, proposée avec prudence par Sapir (car elle est difficilement vérifiable expérimentalement), est que toute langue, « représentation symbolique de la réalité sensible », contient une vision propre du monde, irréductible à celle d’une autre langue, qui organise et conditionne la pensée et, de ce fait, en est inséparable. Une expérience non verbalisée (tant intellectuelle que sensible) n’est pas une expérience ; elle ne peut être reconnue comme telle que par l’intermédiaire de la parole, qui « actualise la tendance à voir la réalité de façon symbolique », mais moule cette réalité dans une structure formelle impérative dont le sujet parlant n’a généralement pas conscience. La tâche du linguiste est de mettre au jour cette structure spécifique de chaque langue, que l’on peut définir aux différents niveaux : phonologique, morphologique, syntaxique et lexical. Cette conception de la relation entre la langue et la pensée, rejetée par les bloomfieldiens, qui tiennent la notion de « pensée » comme non pertinente en linguistique, est apparentée à celle de W. von Humboldt* et elle rejoint les questions posées actuellement par les théoriciens de la linguistique générative.


Sa méthodologie descriptive

Sapir n’a pas réellement édifié une méthode d’analyse descriptive des langues. Cependant, sa démarche purement linguistique, dépouillée de la terminologie psychologique et formulée en termes quasi phonologiques, suit de façon cohérente certains principes structuralistes, telle la distinction entre diachronie et synchronie. La distinction entre expression et contenu et entre langue et parole est clairement faite en phonologie ; en revanche, en syntaxe, où la question du sens devient fondamentale, elle reste vague. C’est dans un recueil d’articles réunis en 1949, Selected Writings in Language, Culture and Personality, que l’on voit développer la théorie phonologique qui reste l’aspect le plus vivant de son œuvre ; l’article Sound Patterns in Language (Language, 1925) expose avec une clarté saisissante la distinction devenue traditionnelle entre phonétique et phonologie et la notion de classification structurelle des « éléments phonétiques véritables » d’une langue, c’est-à-dire des phonèmes. En décrivant et en isolant les phonèmes, Sapir ne diffère pas profondément des structuralistes américains ou pragois. Le son, en tant que tel, n’a pas de valeur proprement linguistique : il n’est défini comme unité linguistique élémentaire que par son appartenance à un système phonologique particulier au sein duquel il n’existe qu’en fonction des relations paradigmatiques et syntagmatiques qu’il entretient avec la totalité des unités du système considéré. En revanche, Sapir joint aux deux étapes que sont la description phonétique et la description phonologique une troisième démarche dans l’analyse du système phonologique, qui n’est plus fondée sur les données immédiatement observables, mais sur leur interprétation ; il relie ainsi les deux niveaux (phonologique et morphologique) soigneusement séparés par les structuralistes : d’où le terme de niveau morpho-phonologique attribué à cet aspect original de son analyse. Celle-ci constitue non plus une description organisée du matériel linguistique sonore, mais une hypothèse théorique explicative et présente des analogies remarquables avec les développements récents de la théorie phonologique générative de M. Halle et N. Chomsky*, qui reconnaissent en Sapir un précurseur de leurs propres conceptions.

De même qu’une langue possède un système formel achevé qui lui donne sa configuration phonétique, elle possède un système formel tout aussi achevé en ce qui concerne les unités significatives. Dans ce domaine, Sapir s’est intéressé plus particulièrement à la notion de « mot » comme unité douée d’une forte réalité psychologique pour le sujet parlant, mais qui ne constitue pas réellement une unité formelle pertinente du point de vue linguistique. Le mot, pour Sapir, hésite toujours, selon les différentes langues, entre l’état d’élément formellement simple du type des radicaux ou des affixes grammaticaux et l’état de phrase comme unité significative complète. Dans cette perspective morphologique et syntaxique, Sapir démontre l’impossibilité de résoudre le problème de la structure des langues par une catégorisation stricte des « parties du discours » devant l’extrême variabilité des classifications conceptuelles et des procédés grammaticaux dans les langues connues. Cependant, son analyse des constituants syntaxiques reste très proche des conceptions traditionnelles ; fondée sur des critères sémantiques, elle n’atteint pas à la rigueur des descriptions structuralistes élaborées ultérieurement à l’aide d’un appareil conceptuel méthodologique plus adéquat. Mais son activité et ses apports théoriques ont largement débordé la phonologie et la syntaxe. Sa classification structurale des langues a pu servir de base à celle de Hjelmslev*. Comme Jespersen* ou M. Grammont, il croit à un progrès dans le langage, et cette conception l’amène à défendre avec vigueur l’idée d’une langue auxiliaire internationale. Enfin ses études sémantiques sur les quantificateurs (Grading : a Study in Semantics, publié en 1944) sont encore actuellement un modèle de précision et de méthode comme ses recherches expérimentales sur le symbolisme phonétique (A Study in Phonetic Symbolism, 1929).

G. P.

➙ Structuralisme.

Sapporo

V. du Japon ; 1 million d’habitants.
Sapporo, chef-lieu de la province insulaire japonaise de Hokkaidō*, a été fondé en 1857 sur la route de Chitose qui relie les rivages est et ouest de la plaine d’Ishikari, au point où elle traversait la rivière Toyohira.


En 1869, la jeune agglomération a été choisie définitivement comme centre de la mise en valeur de la nouvelle province que le gouvernement de Meiji s’occupait alors à peupler face à l’avance russe dans le Pacifique. La planification en fut entreprise sur le modèle des cités d’Amérique du Nord, et le terrain découpé en parcelles régulières ; le long des futures avenues, l’emplacement des édifices qui devaient faire de la cité la capitale régionale (écoles, hôpitaux, instituts techniques, agronomiques, etc.) fut fixé, et, en 1871, la ville put reprendre au port de Hakodate les fonctions administratives qu’il exerçait jusque-là. En 1882, une voie ferrée la relia au port voisin d’Otaru.