Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Samory Touré (suite)

Mais, de la fin de 1888 à celle de 1890, Samory écrase la révolte et reconquiert son empire, amoindri, ravagé et en partie désert. Il renonce désormais à sa politique musulmane et reconstruit l’État autour de la fidélité à sa personne en vue du combat à mort contre les Français, qu’il sait désormais inévitable. Il s’efforce, cependant, de retarder celui-ci autant que possible, afin de moderniser son armée avec des fusils qu’il achète en Sierra Leone.

L’échéance survient en avril 1891 avec l’agression non provoquée d’Archinard. Malgré une résistance héroïque dont l’efficacité surprend et retarde les Français, Samory subit des pertes telles qu’il renonce à la résistance frontale. Comme l’honneur lui interdit de se rendre, il décide de se dérober en recherchant une région écartée où il pourra gagner du temps.

Au début de 1894, il évacue donc son ancien domaine et conquiert rapidement le nord de la Côte-d’Ivoire et une fraction du Ghāna. C’est là qu’il repousse la « colonne de Kong », commandée par Monteil, en avril 1895.

Dans ce nouvel Empire, Samory, campé en terre étrangère, a renoncé à tout projet de réforme et se contente d’exiger la soumission de ses nouveaux sujets.

Le sursis ne peut durer, car, de tous côtés, les puissances européennes se lancent au partage de l’Afrique. Samory essaie, non sans habileté, d’opposer les Français et les Anglais, qui le cernent de tous côtés. Mais le massacre imprévu de la colonne Braulot à Bouna en août 1897 rappelle l’attention sur lui. Traqué par les troupes du Soudan français, Samory sera arrêté à Gélémou (Côte-d’Ivoire) en septembre 1898 et mourra en exil au Gabon en février 1900.

Son œuvre politique a disparu, mais la société malinké reste marquée par son empreinte, et sa lutte courageuse pour rester maître de son destin est une source d’inspiration pour la jeune Afrique.

Y. P.

➙ Côte-d’Ivoire / Guinée / Mali (république du).

 Y. Person, Samori (Ifan, Dakar, 1968 ; 2 vol.).

Sánchez Cotán (Juan)

Peintre espagnol (Orgaz 1560 - Grenade 1627).


Peintre et chartreux (mais d’abord peintre, puisqu’il n’entre au couvent qu’après la quarantaine), réputé de son temps, mais avec une audience limitée, oublié pendant trois siècles, Sánchez Cotán connaît aujourd’hui une gloire internationale, mais par la grâce exclusive de quelques natures mortes — alors que l’ensemble de son œuvre est significatif à plus d’un titre.

Castillan de la région tolédane, ses débuts sont mal connus. Cotán passe pour avoir appris la peinture avec Blas de Prado (v. 1545 - apr. 1592), maniériste raphaélesque et peintre de fleurs. Il l’a certainement connu, mais a subi très fortement l’influence des maniéristes italiens (Luca Cambiaso, Pellegrino Tibaldi) et espagnols (Juan Fernández de Navarrete, v. 1526-1579) de l’Escorial, qu’il a pu étudier sur place. Établi à Tolède, il possède une clientèle abondante comme peintre religieux et portraitiste, lorsqu’il décide de quitter le monde. Un document capital, le testament de 1603 par lequel il fait vendre ses biens, n’apporte aucune clarté sur les origines de cette vocation tardive.

Fray Juan professe à la chartreuse de Grenade le 8 septembre 1604. Hors deux années (1610-1612), pendant lesquelles il est envoyé à la chartreuse du Paular, dans la sierra de Guadarrama, c’est à Grenade que se déroulera paisiblement le reste de sa carrière. Il y vivra aimé de tous pour son humilité, son affabilité souriante, toujours prêt à peindre des images de la Vierge entourée de fleurs pour les cellules des religieux.

Mais il est surtout employé comme peintre pour l’église, le réfectoire, le cloître — dont le grand ensemble date de 1615-1617. Une partie de ces œuvres restent en place ; les autres forment une des salles les plus attachantes du musée de Grenade. Tandis que les toiles conservées de l’époque tolédane s’inspirent uniquement du Nouveau Testament, les sujets évangéliques (Fuite en Égypte, Ecce Homo, Calvaire, etc.) alternent à Grenade avec une chronique de la Chartreuse : grands tableaux relatant les épisodes de la fondation par saint Bruno et le martyre des chartreux de Londres sous Henri VIII ; petits paysages de montagnes boisées évoquant les solitaires des premiers temps de l’ordre ; bustes de saints chartreux, souvent accompagnés des instruments de leur martyre — droits et souriants, avec la tête fendue d’une hache ou la poitrine percée d’une flèche.

Si Cotán relève du « maniérisme réformé » de l’Escorial, la sensibilité qui s’exprime dans ses œuvres est celle d’un primitif, au dessin souvent anguleux, « gothique ». La raideur quasi militaire des files de chartreux se présentant à saint Hugues, comparaissant devant le juge ou agenouillés devant la Vierge du Rosaire est plutôt d’un peintre du xve s., alors que des tableaux comme la charmante Vierge veillant l’Enfant endormi (musée de Grenade) révèlent une entente parfaite du clair-obscur et des éclairages artificiels.

Mais il y a en outre chez Cotán un amour candide des choses qui transparaît constamment dans les détails de ses toiles et les préserve de toute sécheresse : c’est le trait qu’ont le plus célébré les contemporains, tel le peintre et théoricien Francisco Pacheco (1564-1654). Cotán continua sans doute à peindre des natures mortes, comme il l’avait fait avant sa profession, mais en se contentant des modèles que lui offrait l’ascétisme chartreux : carottes, cardons, citrons se présentent bien séparés, dans un encadrement rigide de fenêtre, tantôt horizontalement (musée de Grenade), tantôt accrochés en partie au mur, dessinant une courbe savamment balancée (musée de San Diego, États-Unis). L’intensité du clair-obscur, la vigueur des volumes leur valent une solennité, une austère magnificence qui demeurent inégalées.