Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Saint-John Perse (suite)

Pour Saint-John Perse, quelles que soient les vicissitudes, le spectacle de la nature, celui des hommes sont un perpétuel sujet d’émerveillement. Il les loue sans réserve et sans cesse. Sans doute l’exubérance de la terre, riche en couleurs, en matières (minérales, végétales), assourdie par le soyeux de la neige (Neiges, 1945) ou portée par le souffle des vents (Vents, 1946), la cadence de la pluie (Pluies, 1945) ou le rythme de la mer (Amers, 1957), est une source intarissable d’inspiration.

À l’encontre du courant de la poésie moderne qui blasphème et vitupère le monde, Saint-John Perse consent à la vie, l’approuve et l’éprouve avec une ferveur que le poème intensifie et exalte. Celui-ci, cependant, se garde dans la rigueur d’un verbe qui s’interdit de faire du beau sans fondement, même si, par ailleurs, le chant du monde encourage un éloge inconsidéré. La phrase persienne, caractéristique, faite de longs vers cadencés (octo- et décasyllabes), prend ce mouvement du monde et de l’homme le parcourant avec un rythme analogue à celui de la mer. « Mais de la mer il ne sera question, mais de son règne au cœur de l’homme. » La poésie est ce mouvement, elle « devient la chose qu’elle appréhende ». Et la phrase elle-même est suffisamment « grande » pour tenir l’ampleur d’un souffle qui s’impose avec majesté, renaissant en permanence, avant que de s’abolir dans les excès de sa luxuriance. La réalité, qui n’est pas toujours digne d’éloge, est cependant envisagée, mais, lorsqu’elle intervient dans des images évoquant le quotidien, elle se trouve aussitôt vaincue par le poème qui la transfigure. « Et le poète ainsi est avec nous sur la chaussée des hommes de son temps, allant le train de notre temps, allant le train de ce grand vent. »

Prix Nobel de littérature (1960), Saint-John Perse, qui partageait son temps entre son domicile de Washington et sa maison en Provence, recherchait tout autant un monde à sa mesure, sans limites, qu’un langage pour en donner la grandeur.

M. B.

 M. Saillet, Saint-John Perse, poète de gloire (Mercure de France, 1952). / R. Caillois, Poétique de Saint-John Perse (Gallimard, 1954). / P. Guerre, Saint-John Perse et l’homme (Gallimard, 1955). / C. Murciaux, Saint-John Perse (Éd. universitaires, 1960). / J. Charpier, Saint-John Perse (Gallimard, 1962). / A. Loranquin, Saint-John Perse (Gallimard, 1963). / A. Knodel, Saint-John Perse. A Study of his Poetry (Édimbourg, 1966). / E. Noulet, le Ton poétique. Mallarmé, Verlaine, Corbière, Rimbaud, Valéry, Saint-John Perse (Corti, 1971). / Hommage à Saint-John Perse, numéro spécial de la N. R. F. (Gallimard, 1976).

Saint-Just (Louis Antoine Léon)

Homme politique français (Decize, Nivernais, 1767 - Paris 1794).


Un portrait de David nous montre un fin visage encadré de boucles, un front pur derrière lequel mûrissent des principes redoutables. « Auréolé d’une lumière funèbre », Saint-Just va passer comme un éclair dans le ciel révolutionnaire et sera surnommé l’« Archange de la Terreur ». Fils d’un capitaine de chevau-légers du Berry qui se faisait appeler M. de Saint-Just de Richebourg, le futur conventionnel descend par sa mère d’un notaire assez cossu, M. Robinot. En 1776, ses parents achètent une maison à Blérancourt (Aisne), où son père meurt l’année suivante. L’adolescent commence son instruction chez les oratoriens de Soissons, puis s’en va faire son droit à Reims. Son premier amour, avec la jeune Louise Gellé, tourne court. Les parents, inquiets, marient rapidement leur fille avec un autre. Le galant éconduit rejoindra plus tard sa belle à Paris. Mais il a d’autres préoccupations. En 1789, alors que tombe la Bastille, il publie, anonymement, le long poème Organt (7 000 vers assez indigestes), jugé alors obscène et contre lequel des poursuites sont engagées. Le jeune auteur doit se cacher. Il profite de sa retraite pour lire Rousseau, Montesquieu, Machiavel. Il écrit un ouvrage sur l’Esprit de la Révolution et de la Constitution de la France qui paraît en juin 1791 et se termine par une note encourageante : « Quand tous les hommes seront libres, ils seront égaux, et quand ils seront égaux, ils seront justes. » Entre-temps, à Blérancourt, où il s’est réfugié, il se voit nommer lieutenant-colonel dans la garde nationale, puis commandant d’honneur des gardes nationales du canton. Son ambition est de se faire élire à la Législative, mais son jeune âge (il n’a pas les vingt-cinq ans requis) ne le lui permet pas. Il doit attendre jusqu’en septembre 1792, date à laquelle il est envoyé à la Convention par les électeurs de l’Aisne.

Il se fait remarquer dans les rangs de la Montagne par l’intransigeance de ses principes. Il trouve en Robespierre* un maître et une idole. En octobre, il prononce aux Jacobins* un premier discours dans lequel il s’élève contre le projet girondin de faire protéger la Convention par une garde armée. Cependant, il est encore très peu connu des autres députés (certains de ses collègues écrivent alors son nom Sinjeu) lorsque, le 13 novembre, il monte à la tribune de la Convention pour lancer un violent réquisitoire contre le roi. Il affirme que tout Français a sur Louis XVI le droit que Brutus a eu sur César, et qu’il n’est pas besoin de procès pour se débarrasser d’un tyran. Ses formules sont lapidaires : « Nous avons moins à juger le roi qu’à le combattre... On ne peut régner innocemment... Tout roi est un rebelle et un usurpateur. »

S’inspirant d’un idéal antique, mais surtout imbu de Rousseau, Saint-Just préconise une république égalitaire et vertueuse. Il intervient, contre Condorcet*, dans la discussion de la future Constitution : avec M. J. Hérault de Séchelles (1759-1794) et Georges Couthon (1755-1794), il travaillera à cette fameuse Constitution de l’an I, inapplicable et inappliquée. Entre-temps, il est entré au Comité de salut public (30 mai 1793). Porte-parole de ses collègues — et particulièrement de Robespierre —, il rédige divers rapports, souvent terribles dans leur rigueur révolutionnaire. C’est ainsi qu’il prononce contre les Girondins un réquisitoire qui les mènera à l’échafaud. Son rapport du 10 octobre 1793 prône un gouvernement autoritaire, fondé sur la Terreur*. « Il faut, déclare-t-il, gouverner par le fer ceux qui ne peuvent l’être par la justice. » Il dénonce les abus des fonctionnaires, tonne contre les intrigants, les profiteurs et aussi contre les généraux : « Il n’y a eu jusqu’à présent à la tête de nos armées que des imbéciles et des fripons... »