Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

sacré (suite)

Cette fonction de communication, renforcée par le récit mythique de la création du cosmos, contribue à établir la sacralité de lieu : ouverture vers le haut, participation à la transcendance sacrée symbolisée préférentiellement par les espaces célestes. Récit et répétition rituelle de la création réactualisent un acte par lequel l’ordonnancement du cosmos se substitua au chaos originel ; les cérémonies religieuses sont ainsi une sorte de réactivation du caractère sacré de certains emplacements — réactivation qui apparaît comme structuration (hiérarchisation) de l’étendue spatiale. La détermination par l’homme de tels lieux n’est pas un acte décisoire de l’homme qui, en fait, se borne à découvrir les espaces privilégiés. Certains signes guident sa recherche.

« D’après la légende, le marabout qui fonda El-Hemel à la fin du xvie s. s’arrêta pour passer la nuit près de la source et planta un bâton en terre. Le lendemain, voulant le reprendre pour continuer sa route, il trouva qu’il avait pris racine et que des bourgeons avaient pousse. Il y vit l’indice de la volonté de Dieu et fixa sa demeure en cet endroit » (René Basset).

Lorsque aucun indice ne s’impose de manière évidente, on utilise un animal, qui, selon la direction dans laquelle il s’engage, indique l’espace prédestiné.

Les Achilpas (Australie) façonnent dans le tronc d’un gommier un poteau sacré qu’ils transportent toujours avec eux : l’inclinaison du poteau désigne la direction à adopter au cours des déplacements successifs. Ce poteau est censé avoir été, au commencement des temps, l’œuvre de l’être mythique Numbakula, créateur du système social et des ancêtres de la tribu. Il concrétise une communication avec le ciel : symbole d’ascension, il fut utilisé par le même Numbakula pour regagner le ciel après la création.

Une semblable symbolisation, par le pilier cosmique, de la fonction religieuse de communication avec le sacré se retrouve dans les contextes sociaux les plus divers : à Rome, dans l’Inde ancienne, aux îles Canaries, en Indonésie et chez les Kwakiutls de Colombie britannique. Le poteau sacré des Kwakiutls est un axe du monde représenté par la voie lactée. Il est érigé dans toutes les maisons cultuelles, dont il déborde le toit, signifiant ainsi la possibilité de passage d’une région cosmique à l’autre (monde souterrain, terre, ciel).

D’autres symboles — échelle, arbre, liane, montagne — jouent un rôle analogue à celui du pilier cosmique, censé, par ailleurs, soutenir le ciel et se situer au centre du monde : c’est le mont Meru en Inde, le « mont des Pays » en Mésopotamie, le Garizim en Palestine ; c’est encore l’étoile polaire islamique qui fait face au centre du ciel ou, parfois, la ville sainte, le temple, le sanctuaire.

Il s’agit d’autant d’images d’un point focal à partir duquel s’est déployé le reste de l’univers.

Le village balinais est construit à la croisée de deux chemins : le point d’intersection en constituera le centre, où sera établie la maison cultuelle, et les chemins le diviseront en quatre portions corrélatives des points cardinaux. La partie souterraine de l’axe central de la maison cultuelle représente le monde des morts.

En Guinée, la maison des hommes est un microcosme dont le toit figure le ciel et les murs les quatre directions cardinales (il en est de même de la hutte sacrée des Sioux et des Algonquins).

Un principe analogue présidait à la disposition spatiale de l’urbs romaine et des villes germaniques. L’établissement d’une demeure, au regard des croyances religieuses, se donne toujours pour reproduction, à l’échelle humaine, de la création cosmique divine — l’espace inconnu qui s’étend au-delà de la zone habitée (structurée) représentant le chaos.

Si les cérémonies religieuses réactualisent l’action mythique des êtres sacrés en se situant au lieu même de la création du monde, elles marquent, en outre, une structuration du temps.

Le temps de l’action mythique ne s’inscrit pas dans l’écoulement irréversible de la durée ordinaire. Situé « au commencement », il doit bien plutôt être compris comme éternité (« non-temps »). Les épisodes mythiques sont ainsi rendus présents dans un double mouvement de restauration, au sein du monde profane, de l’espace et du temps sacrés.

Simultanément, le temps mythique est rendu présent, introduit au sein de l’ordre humain, et le temps de ce même ordre humain s’efface (puisqu’il ne saurait coexister avec le temps sacré sous peine de réduire à néant la transcendance de celui-ci).

Les activités quotidiennes, qui signifient avec évidence, par le rythme de leurs répétitions, le temps profane, doivent être interrompues pendant la fête, dont le but reste pourtant la consécration du devenir quotidien, sa régénération indispensable à garantir sa continuité. Le sens de la fête, située au point zéro, hors du temps, est celui de la recréation d’un nouvel écoulement au terme duquel une fête analogue reproduira la même opération (déterminant la renaissance de devenir) cautionnée par l’ensemble des représentations mythiques.

La place de la fête, parce qu’elle s’inscrit dans un éternel présent mythique (que l’on ne saurait, sans en méconnaître la signification, assimiler au passé historique), permet d’analyser les diverses modalités qu’elle revêt et notamment de ces aspects que l’on nomme orgiaques : lorsqu’il participe du temps sacré, l’homme se trouve affranchi de l’ordre social ordinaire ; provisoirement inséré dans un monde échappant aux règles accoutumées, il peut les transgresser. En revanche, la fête comme purification (respect des règles, expulsion du bouc émissaire, etc.) prend le sens d’un rituel de séparation d’avec la période écoulée — séparation qui ne pourrait être complète si l’impureté n’était pas, elle aussi, liquidée.

La fête iranienne du Nouvel An mimait une sorte de fin du monde : réintégration du monde dans l’état de chaos originel qui se traduisait au moyen d’une transgression des règles sociales, de l’extinction de tous les feux ; ce dernier trait manifestait, en outre, le retour des âmes des morts. Le rituel reproduisait ensuite le combat de Mardouk contre le monstre marin Tamiat, et la réitération de la victoire du dieu permettait que l’univers surgisse de nouveau des eaux primordiales.