Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

sacerdoce (suite)

Lorsque le christianisme devint la religion des empereurs et que les lieux du nouveau culte officiel purent se multiplier, le nombre des évêques et des prêtres grandit rapidement. On avance des chiffres approximatifs pour les principales villes de l’Empire aux ive et ve s. 80 prêtres à Rome, 60 à Carthage, 20 à Milan, 40 à Alexandrie, 100 à Constantinople (ve s.). Partout, le pourcentage par rapport au nombre des habitants restait nettement inférieur à celui que l’on connaît encore de nos jours en France. Partout aussi, évêques et prêtres finirent par assumer de véritables charges paroissiales, des délégués du presbyterium urbain visitant à intervalles réguliers les lieux de culte disséminés dans les campagnes avoisinantes à partir du milieu du ive s.

La naissance de la loi du « célibat ecclésiastique » imposé aux prêtres catholiques se situe entre le ixe et le xiie s. Dans l’Église ancienne, plusieurs interdits pesaient sur la vie sexuelle des évêques et des prêtres, étant entendu que ceux-ci ne devaient être mariés « qu’une seule fois » (I Timothée, iii, 3). On était souvent évêque de père en fils, et les prêtres étaient parfois à la tête d’une nombreuse famille ; on ne commença à s’interroger sérieusement sur la continence sexuelle de ce clergé marié qu’à partir du ive s. Les motifs qui poussèrent à créer une législation canonique dans ce sens varient : la disponibilité au service de tous ; la fécondité spirituelle (Eusèbe de Césarée, disciple d’Origène) ; une certaine incompatibilité entre l’acte conjugal et le service de l’autel (Ambroise de Milan, inspiré sur ce point par le Lévitique juif). De ces trois motifs, le dernier l’emporta sous la pression des tendances ascétiques du monachisme chrétien, dont le prestige et la diffusion s’imposèrent à toutes les Églises d’Orient et d’Occident avant la fin du ive s. Un synode d’Elvire (v. 300) et un autre de Rome (386) furent les premiers à recommander aux évêques et aux prêtres de ces Églises de cesser les rapports conjugaux tout en restant mariés. Vers la même époque, en Orient, on interdit aux prêtres de se marier (après leur ordination), sous peine d’être exclus des rangs du clergé. Cet état des choses se maintint dans l’Église romaine jusqu’à la grande réforme centralisatrice du pape Grégoire VII* (1074), qui s’avisa, le premier, de séparer les prêtres de leurs épouses légitimes. C’est seulement au deuxième concile du Latran (1139) et avec le Décret de Gratien (v. 1140-1150) que le sacrement de l’« ordre » fut déclaré juridiquement incompatible avec l’état du mariage. Jusqu’à cette date, les prêtres, même s’ils se mariaient après leur ordination, restaient mariés validement. Dans l’Église d’Orient, cette évolution ne fut pas suivie, et l’on continua d’y ordonner prêtres des hommes mariés sans leur interdire de procréer. La Réforme ne retint pas l’obligation du célibat pour les ministres du culte dans les Églises séparées de Rome.

Toute l’expansion du christianisme dans les pays d’Europe puis sur les autres continents paraît liée à la structure cléricale des Églises. Cela est particulièrement vrai du catholicisme, où les moines du haut Moyen Âge furent supplantés par ce qu’on appela des « clercs réguliers », suivis de grands ordres entièrement soumis à l’idéal clérical et animés d’un souffle missionnaire exceptionnel, tels ceux des Dominicains et des Franciscains et, quelques siècles plus tard, celui des Jésuites.

Des tâches d’enseignement, d’assistance et de promotion sociales, d’éducation des masses, de diplomatie et de pacification politique, mais aussi d’imprimerie, de science, de médecine et d’hospitalisation furent assumées durant des siècles par ce clergé actif et nombreux en Europe, mais surtout dans les immenses pays de mission. Laïcisées pour la plupart et passées sous le contrôle des autorités civiles, ces œuvres n’en restent pas moins représentatives d’une conception des Églises où le sacerdoce jouait un rôle de premier plan.


Les perspectives contemporaines

Le passé de ces grandeurs cléricales est à la fois proche et lointain, tant sont accélérées les mutations actuelles. La remise en question du sacerdoce et de sa signification dans l’Église catholique d’après Vatican II n’est qu’un aspect fort partiel — il est vrai assez spectaculaire — de la crise traversée par cette Église, d’ailleurs solidaire, en sa pénurie contemporaine, des Églises séparées d’elles.

Dans une telle situation, il semble opportun de résumer d’abord la doctrine sur le sacerdoce chrétien en la ramenant à ses points essentiels. La plénitude du sacerdoce est détenue par l’évêque, premier responsable de la tradition ecclésiale, de sa continuité et de la communion actuelle des fidèles sous le signe de cette tradition. L’évêque est le ministre normal de l’ordination sacerdotale et de la consécration épiscopale. Il assure la vitalité du corps hiérarchisé des prêtres selon un mode de gouvernement collégial en son principe. Il est aussi le ministre ordinaire du sacrement de confirmation, qui signifie en particulier, dans la doctrine catholique, une part active prise par tous les fidèles au sacerdoce ecclésial. Évêques et prêtres ont seuls qualité pour consacrer l’eucharistie et offrir le sacrifice de la messe. Avec des conceptions théologiques variables, cela demeure vrai pour les ministres du culte dans les Églises réformées. Les prêtres catholiques sont seuls, également, à écouter les confessions individuelles des péchés. Avec les évêques, ils sont, d’une manière générale, les porteurs autorisés de la juridiction ecclésiastique. Appartenant ainsi à la sphère du sacré, ils sont les intermédiaires entre les fidèles et Dieu ; ils représentent le peuple ecclésial auprès du Christ, lui-même célébré comme médiateur et prêtre souverain dans sa condition céleste.

Comme dans la plupart des religions non chrétiennes, on retrouve donc ici les fonctions les plus caractéristiques du sacerdoce : des prêtres sacrificateurs, interprètes des volontés divines, eux-mêmes consacrés dans un état de vie distinctif et versés d’une façon spéciale dans les sciences sacrées pour l’instruction du peuple. Cependant, l’originalité évangélique du sacerdoce chrétien demeure éclatante : ces prêtres ne sont pas, comme tels, liés à la sacralisation d’une structure politique donnée, pas plus qu’ils ne demeurent investis des pouvoirs liés à une conception mythique de l’humanité dans son rapport avec le cosmos. Ils sont nés d’un besoin vital des communautés fondatrices du christianisme. En ce sens, ils appartiennent à la révélation divine, dont ces communautés entendaient porter témoignage. Mais ils ne relèvent plus de la structure sacralisée du sacerdoce établie en Israël ou dans les autres sociétés de type sacral, qu’étudient l’ethnologie religieuse et l’histoire comparée des religions. Dans l’Église ancienne, le sacerdoce chrétien revêt tous les attributs et assimile toute l’idéologie, compatible avec l’évangile, des religions de l’Empire romain, en commençant par le judaïsme. Les perspectives contemporaines semblent annoncer une disparition rapide sinon du fait entier, du moins du sens et de la crédibilité de cet antique revêtement. Le sacerdoce, comme la plupart des autres institutions sociales et spirituelles du christianisme, se trouverait convié par l’histoire à un nouveau rendez-vous avec l’évangile.

C. K.

➙ Magie / Religion (sociologie de la) / Sacré.