Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S
S

Saarinen (Eero)

Architecte américain d’origine finlandaise (Kirkkonummi 1910 - État du Michigan 1961).


Mort à un âge de pleine activité, Eero Saarinen restera l’une des figures dominantes des années 50 : l’originalité de son œuvre, son caractère antidogmatique tranchent en effet sur la production de l’après-guerre.

Son père, l’architecte Eliel Saarinen, s’expatrie aux États-Unis en 1923, et Eero fait toutes ses études à l’académie de Cranbrook, près de Detroit, dans le Michigan. En 1929, il passe un an en France, à Paris, où il suit les cours de sculpture de l’académie de la Grande Chaumière. Il est élève à Yale de 1930 à 1934 et devient l’associé de son père en 1937.

Les premières œuvres sont donc le fruit d’une collaboration, mais il les marque très fortement de sa personnalité : si les toutes premières, juste avant guerre (First Christian Church, Columbus, Indiana ; Crow Island Elementary School, Winnetka, Illinois ; Antioch College, Yellow Springs, Ohio ; Brandeis University, Waltham, Massachusetts), sont encore dans la tradition universitaire américaine, la Christ Lutheran Church de Minneapolis (1949-50) exprime une méditation déjà très élaborée — œuvre comparable à celle d’Aalto* à la même époque et qui n’est peut-être pas sans avoir subi l’influence d’un autre Finlandais, Erik Bryggman (1891-1955), dont la chapelle du cimetière de Turku (1938-1941) présente les mêmes qualités de traitement plastique de la lumière et les mêmes contrastes tragiques d’échelle.

Toutefois, la vraie rupture se situe après la disparition d’Eliel Saarinen, lorsque Eero reprend seul les projets pour le Centre technique de la General Motors à Warren, dans la banlieue de Detroit (projet 1945, réalisation 1950-1955). L’ensemble, formé de bâtiments bas, parallélépipédiques, est entièrement en acier avec façades en mur-rideau, tous les pignons étant revêtus de briques émaillées multicolores. Un magnifique parc et une grande pièce d’eau (utile pour le conditionnement d’air) ont valu à cette réalisation le qualificatif de « Versailles américain ». On a souvent comparé aussi cette dernière avec le Massachusetts Institute of Technology de Mies* van der Robe, pour montrer la souplesse d’implantation et l’animation plastique du G. M. Center, en opposition avec l’austérité du M. I. T.


Une esthétique de la technologie

Dans les dix années de sa courte carrière, Eero Saarinen apportera au modèle américain de l’ensemble de bureaux plusieurs perfectionnements, dont l’influence reste aujourd’hui considérable. Le Centre de recherches I. B. M. de Rochester (1958) est formé d’un élégant mur-rideau dont les allèges sont traitées en verre émaillé dans un camaïeu de bleu ; celui de Yorktown Heights, dans l’État de New York (1961), utilise l’aluminium anodisé noir, contrastant avec des murs en pierre du pays (dont la matière se trouve prolongée par un jardin japonais).

Pour les Laboratoires Bell à Holmdel, dans le New Jersey (projet 1956-1961, réalisation 1968 par Kevin Roche, John Dinkeloo et Associés — ses anciens collaborateurs), Saarinen repensera le plan de l’immeuble de bureaux non plus comme un ensemble de cellules éclatées dans un parc (G. M. Center, Warren) ou distribuées le long d’un couloir structurant (I. B. M. Research Center, Yorktown Heights), mais comme une série de boxes ouvrant sur des rues intérieures qui se croisent sur trois grandes places centrales, couvertes par le porte-à-faux des coursives des étages. Cet ensemble, entièrement artificiel, fermé sur lui-même et aéré par un circuit d’air conditionné, est protégé par des façades en verre réfléchissant (une mince pellicule d’or et d’aluminium renvoie les rayons du soleil). Parallèlement, Saarinen prévoit l’utilisation de l’acier Cor-Ten (protégé contre l’oxydation par sa propre rouille) pour la structure et les brise-soleil du siège social de la John Deere and Co. à Moline, dans l’Illinois (projet 1961, réalisation 1964-65). Dans les deux cas, il conduit les matériaux contemporains jusqu’à leur limite technologique. On a pu parler à ce sujet de la « perfection technique comme idéal esthétique » — ce qui serait aussi valable pour Mies van der Rohe —, mais avec, chez Saarinen, un amour presque jovial de la matière, une emphase qui fait penser au pop’art.

Néanmoins, Saarinen reste surtout connu pour ses réalisations en voile mince de béton : il a été l’un des initiateurs de cette technique aux États-Unis. L’auditorium du Massachusetts Institute of Technology (1955) est sa première réalisation : une coquille de béton de 9 cm d’épaisseur, formant un huitième de sphère, repose sur trois points, distants chacun de 48,50 m (le schéma sera repris pour le palais de la Défense — le C. N. I. T. — à Paris). La patinoire de hockey sur glace de l’université Yale (1958) est une sorte de tente dont l’arête longitudinale est maintenue par un immense arceau de béton — l’intérieur, revêtu de frise de bois, a pu être comparé à la coque d’un bateau viking. Au TWA Terminal du John F. Kennedy International Airport d’Idlewild (New York, 1956-1962), Saarinen s’est écarté de toute géométrie préétablie pour dessiner une sorte d’immense oiseau de béton sous lequel le jeu des niveaux crée un paysage théâtral quelque peu fantastique. Dans sa dernière œuvre, enfin, le Dulles International Airport (Chantilly [Virginie], près de Washington, 1958-1962), il revient à une structure plus architectonique : la voûte n’est plus qu’un immense vélum tendu entre des poteaux inclinés vers le dehors et d’un dessin particulièrement élégant, l’ensemble s’alignant face aux pistes dans la même perspective que la tour de contrôle. On notera ici le soin avec lequel le programme nouveau (avions à réaction) a été établi par l’architecte — également designer (v. design).


L’architecture comme signe

À côté du Saarinen constructeur de bureaux et du Saarinen des voiles minces, il reste encore un troisième personnage, dont l’œuvre a déconcerté les commentateurs. Celle-ci constitue pourtant l’un des aspects les plus originaux de sa production et l’un des plus significatifs des problèmes de notre époque.