Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Russie (suite)

Le tsar, retiré à Peterhof, s’en remet à son chef de la police, Dmitri Fedorovitch Trepov (1855-1906). Son entourage désire faire des concessions aux bourgeois libéraux. Dans cet esprit, Witte élabore le 17 (30) octobre un manifeste dans lequel le tsar promet de convoquer une douma législative. La bourgeoisie, l’intelligentsia libérale et les mencheviks sont satisfaits. Cependant commence une sévère répression.

En octobre 1905 se constitue un parti bourgeois, le parti constitutionnel démocrate des K. D. Un autre parti bourgeois, qui prend le nom d’« octobriste » ou d’« Union du 17 octobre », rassemble des bourgeois et des gros propriétaires. Il deviendra un parti gouvernemental qui soutiendra Witte et Stolypine.

Pendant les mois d’octobre et de novembre, les mutineries de matelots et de soldats à Kronchtadt, à Vladivostok et sur la mer Noire sont écrasées par l’armée tsariste. C’est dans cette atmosphère que le soviet de Moscou décide une insurrection armée. Du 9 (22) au 18 (31) décembre, des barricades sont élevées dans les quartiers ouvriers de la ville. Le tsar fait appel à la garde Semenovski, qui écrase les insurgés. Les ouvriers de Rostov-sur-le-Don, de Sormovo, de Kiev, de Kharkov et du bassin du Donbass font grève à leur tour pour soutenir ceux de Moscou. En décembre 1905, de nombreuses manifestations révolutionnaires ont lieu dans les campagnes.

Au début de 1906, le pouvoir tsariste reste maître de la situation. Il est aidé par un prêt de 2,5 milliards de francs que lui accordent la Bourse française et les banques anglaises. Le 27 avril (10 mai) 1906, les lois fondamentales renforcent le pouvoir du tsar, et la douma est convoquée ; les K. D. la dominent. En avril 1906, les bolcheviks et les mencheviks se réunissent à Stockholm pour le IVe Congrès du parti. La première douma est dissoute le 8 (21) juillet 1906. Les revendications des députés paysans (troudoviki) effraient le tsar. Petr Arkadievitch Stolypine (1862-1911), partisan de la répression, est alors chef du gouvernement. En représailles des grèves de l’été de 1906, il organise des tribunaux militaires ambulants. L’oukase du 9 (22) novembre 1906 autorise les paysans à quitter la communauté rurale et à devenir propriétaires. En février (mars) 1907 s’ouvre la deuxième douma. Les bolcheviks s’allient aux troudoviks, aux S. R. et au parti socialiste populaire du travail. Le gouvernement ne peut faire adopter la loi Stolypine ; le 3 (16) juin 1907, la deuxième douma est dissoute.


L’évolution du mouvement révolutionnaire

En mai 1907, a lieu à Londres le Ve Congrès du parti social-démocrate : la majorité appartient aux bolcheviks. Si la révolution de 1905-1907 a été un échec, les organisations et les syndicats ouvriers sont désormais légaux ; la douma leur sert de tribune permanente. Le tsar promulgue la nouvelle loi électorale du 3 (16) juin 1907, qu’on surnommera la « loi de la honte » en raison de son injustice (les propriétaires élisent un représentant pour 230 électeurs, et les paysans un représentant pour 60 000 électeurs). La troisième douma, dévouée au tsar et qui ne reflète guère les réalités du pays, durera cinq ans. Le tsar renforce la répression. Selon les chiffres officiels, les tribunaux prononcent, de 1907 à 1909, 5 000 condamnations à mort et 30 000 condamnations aux travaux forcés pour raisons politiques. Les manifestations ouvrières et paysannes diminuent, les syndicats sont interdits et les chefs bolcheviks partent pour l’exil ou sont envoyés au bagne. Lénine est à l’étranger.

Stolypine entreprend des réformes. De 1906 à 1910, la réforme agraire continue à favoriser les gros propriétaires, mais également les koulaks. L’oukase du 9 (22) novembre 1906 est adopté par le Conseil d’État le 14 (27) juin 1910 : la communauté rurale s’effondre, et les koulaks reçoivent les meilleures terres. Les paysans les plus pauvres sont obligés de vendre leur part et de s’en aller, souvent en Sibérie ou dans les zones frontières. De 1906 à 1910, deux millions et demi de personnes changent ainsi de lieu. Cependant, l’activité des partis révolutionnaires se poursuit avec difficulté. Les mencheviks, plus modérés, se séparent des bolcheviks. Peu à peu, les forces ouvrières se regroupent sous l’égide des militants du parti social-démocrate qui ont retrouvé la liberté : Mikhaïl Ivanovitch Kalinine (1875-1946), Valerian Vladimirovitch Kouïbychev (1888-1935) à Saint-Pétersbourg ; Andreï Sergueïevitch Boubnov (1883-1940), Dmitri Ivanovitch Kourski (1874-1932), Iakov Mikhaïlovitch Sverdlov (1885-1919) à Moscou ; Grigori Konstantinovitch Ordjonikidze (1886-1937), Staline* à Bakou. De 1907 à 1910, les manifestations politiques paysannes s’accentuent : de 2 000 à 2 500 grèves par an et près de 6 000 en 1910. Les quatre cinquièmes environ des paysans refusent la nouvelle répartition de la terre ; 2 500 000 deviennent propriétaires, mais 1 million d’entre eux sont obligés de vendre. L’agriculture stagne malgré l’amélioration du matériel. En 1911, la mauvaise récolte, la famine et le typhus provoquent l’échec de la politique de Stolypine, qui tombe en disgrâce. Celui-ci est blessé mortellement par un agent de la police secrète, l’anarchiste D. G. Bogrov. Le ministre des Finances Vladimir Nikolaïevitch Kokovtsov (1853-1943) le remplace.

Les années 1910-11 connaissent un nouvel essor industriel, surtout dans l’industrie lourde, la métallurgie, l’industrie de guerre, les constructions mécaniques et les constructions navales. Les banques jouent un rôle important dans les entreprises industrielles, tandis que les capitaux des grosses entreprises par actions sont pour la moitié d’origine étrangère. La vie reste très dure pour les pauvres : les années 1900 à 1910 voient l’émigration de 1 500 000 personnes aux États-Unis, au Canada et en Amérique du Sud.

L’année 1910 est marquée par une forte poussée du mouvement ouvrier. À la fin de 1910, le journal des bolcheviks et des mencheviks de la tendance Plekhanov, Zvezda (l’Étoile), paraît légalement à Saint-Pétersbourg : il est dirigé de l’étranger par Lénine. En 1911, on compte plus de 100 000 grévistes ; cette même année, les étudiants de l’université de Moscou manifestent contre la répression policière, et vingt et un professeurs quittent l’université. En janvier 1912 a lieu à Prague la conférence panrusse du parti social-démocrate, à laquelle prennent part presque toutes les organisations sociales démocrates. Elle exclut les opportunistes et élit un Comité central, dont Lénine fait partie.