Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Russell (Bertrand) (suite)

Cambridge et le mariage

C’est à Cambridge que Russell rencontre tous ceux qui vont devenir ceux qu’il appelle ses « amis intimes » : son maître, Alfred North Whitehead ; Crompton, tout à la fois hostile au socialisme et à l’entreprise privée ; J. M. E. McTaggart, philosophe timide et hégélien intègre. À l’heure du bilan, Russell avouera : « Si Cambridge a beaucoup compté dans ma vie, ce fut par les amis que je m’y suis faits et l’expérience que j’y ai acquise dans la discussion des idées ; en revanche, l’enseignement proprement dit ne m’apporta pratiquement rien. » C’est chez des amis, lors d’un séjour chez son oncle, qu’il rencontre Sydney et Beatrice Webb dont les idées le remuent profondément (v. Fabiens) puis Alys Pearsall Smith, avec qui il se mariera en 1894.


Les débuts dans la vie

En 1894, ses examens terminés, Russell voyage à Paris, puis à Florence, où il découvre l’art ; en 1895, il rentre passer sa maîtrise, puis se rend à Berlin, où il fréquente les socialistes, dont Bebel et le frère de Karl Liebknecht. Il rédige des notes qui vont devenir son premier livre, publié en 1896 sous le titre de German Social Democracy ; mais il a déjà décidé de se consacrer aux mathématiques. L’année suivante, il met en forme son mémoire de maîtrise (An Essay of the Foundations of Geometry), qu’il publie en 1897 à Cambridge ; en 1900 paraît A Critical Exposition of the Philosophy of Leibniz. Sa collaboration avec Whitehead va devenir plus étroite. Il se rend à Paris avec lui et il y rencontre G. Peano (1900). Russell rédige alors The Principles of Mathematics (1903). En 1907, il lente de se présenter aux élections avec dans son programme le vote féminin ; il ne reçoit que quolibets. Il mène ainsi tout de front et fait paraître Philosophical Essays (en 1910) : la même année paraît le premier volume des Principia Mathematica, rédigé avec Whitehead (2e vol. en 1910 ; 3e vol. en 1913). En mars 1911, il rencontre à Paris Ottoline Morrell, dont il s’éprend.


La Première Guerre mondiale

Les opinions de Russell heurtaient déjà depuis longtemps Whitehead ; la guerre précipite la rupture entre les deux hommes. Le pacifisme de Russell s’exprime dès lors avec fermeté et l’oppose à ses anciens amis. Ses pamphlets sont réunis dans Justice in War Time (1916). Sa lutte contre la guerre s’accentue : Russell rédige Principles of Social Reconstruction (1916), dont la parution entraîne son interdiction comme conférencier. En mai 1918, il est condamné à six mois de prison ferme ; il y écrit Introduction to Mathematical Philosophy (1919). À sa sortie de prison, il côtoie de plus près le socialisme (Roads to Freedom, 1918). Il se rend en U. R. S. S. en 1920, et, là encore, son individualisme aristocratique l’emporte et déçoit ses nouveaux amis, qui le rangent désormais parmi les « laquais de la bourgeoisie ». En 1920, Russell part pour la Chine en compagnie de Dora Black, avec qui il se remariera à son retour. En novembre 1921 naît son premier enfant : « J’éprouvai intensément la délivrance d’une passion longtemps contenue, et, durant les dix ans qui ont suivi, mes principaux intérêts furent d’ordre paternel. »

Russell refait le point de sa connaissance en logique avec la publication de The Analysis of Mind en 1921. En 1922 et en 1923, il présente une nouvelle fois sa candidature au Parlement, en préconisant la lutte contre l’impérialisme, l’impôt sur le capital, les réformes de l’enseignement et la reconnaissance politique de U. R. S. S. En vain : les électeurs lui préfèrent le candidat conservateur. En 1931, la disparition de son frère aîné le fera héritier du titre : le 3e comte Russell pourra désormais siéger à la Chambre des lords.


Une tentative pédagogique

Une vingtaine d’enfants fréquente l’école qu’il a fondée avec sa femme en 1927. Les principes reposent sur une éducation sans larmes et sur une morale sans contrainte. Russell se retrouve rapidement avec des élèves qui sont des cas sociaux, qui tourmentent ses propres enfants et qui l’amènent à des méthodes exténuantes de surveillance. En outre, l’échec financier est tel qu’il devra fermer l’école.

En 1935, Russell se sépare de sa seconde femme ; il épousera l’année suivante Patricia Helen Spence, dont il aura un fils.


Russell en Amérique

En 1938, Russell part pour Chicago, où Rudolf Carnap et Charles Morris assistent à ses cours ; puis il est invité au collège de la cité de New York (1940). Ce collège dépend du gouvernement de la cité, dont Russell dira sans ambage que c’était un « satellite du Vatican ». Les ouvrages du philosophe sont déclarés « lubriques, aphrodisiaques et dépourvus de tout ressort moral ». Russell n’en continue pas moins conférences, cours et publications (An Inquiry into Meaning and Truth, 1940), mais il perd son emploi et doit rentrer en Grande-Bretagne en 1944.


Le combattant de la paix

À son retour, Russell enseigne à Trinity College. Il publie A History of Western Philosophy (1945) et reprend ses leçons sur les limites de la connaissance, qu’il résume dans Human Knowledge : its Scope and Limits (1948). Ses conceptions pacifistes se sont radicalisées après la bombe atomique d’Hiroshima. Désormais, sa vie va se dérouler au rythme des marches pacifiques, des conférences et des prises de parole. En juin 1950, il se rend en Australie et, tout en traitant de la guerre froide devant ses auditeurs, observe et condamne la ségrégation raciale entre Australiens anglo-saxons de souche et aborigènes. À la fin de 1950, il se rend à Stockholm pour recevoir le prix Nobel de littérature. En 1952, il divorce de nouveau et épouse Edith Finch. La B. B. C. l’invite à une conférence intitulée « l’Homme en danger », dont il rédige un manifeste destiné à tous les savants du monde. L’intervention de la Grande-Bretagne à Suez le révolte. Russell crée avec d’autres savants la « conférence Pugwash », qui se réunit périodiquement et dont l’influence est grande. En janvier 1958, il participe au lancement de la « Campaign for Nuclear Disarmament » et en devient le président ; il prend part au mouvement de désobéissance civile (baptisé « Comité des 100 ») et lance une action à Trafalgar Square en février 1961, suivie d’une marche sur Whitehall. D’autres réunions ont lieu à Hyde Park en août. Il est inculpé, arrêté, puis relâché. Il s’intéresse à tous les mouvements de libération : les combattants grecs de la Résistance (1963), les Palestiniens, etc. En novembre 1966, il constitue contre les crimes de guerre au Viêt-nam un tribunal international dont il fixe les objectifs en ces termes : « Puisse ce tribunal éviter le crime de silence. » Le tribunal se réunit en mai 1967 et est présidé par J.-P. Sartre ; Russell ne peut y assister à cause de son âge ; il meurt trois ans plus tard.