Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Roussillon (suite)

Administrée par un intendant, la province, surtout agricole, bénéficie d’importants défrichements. Les Roussillonnais conservent le privilège de ne pouvoir être cités hors de leur pays, et le Conseil souverain du Roussillon joue le rôle de Tribunal suprême. Par un édit de 1700, Louis XIV impose pour tous les actes publics, l’usage de la langue française, déjà répandue dans les classes dirigeantes par un collège de jésuites. Devenu département des Pyrénées-Orientales à la Révolution, le Roussillon est envahi en 1793 par les troupes espagnoles, qui parviennent d’une part à Rivesaltes, où Joseph Cassanyès, envoyé en mission à l’armée par la Convention, réussit à les arrêter, et d’autre part au col de la Perche, d’où le général Dagobert, parti de Mont-Louis, les bouscule jusqu’à Puigcerdá. L’armée républicaine, réorganisée et commandée par le général Dugommier, libère le département par la victoire du Boulon (1er mai 1794). Sous l’Empire, le Roussillon souffre du Blocus continental et de la guerre avec l’Espagne.

Au mois de février 1939, l’armée républicaine espagnole en retraite et trois cent mille civils franchissent le col du Perthus et demandent asile à la France.

De novembre 1942 à août 1944, le Roussillon connaît les rigueurs de l’occupation allemande, la frontière pyrénéenne et la côte étant « zones interdites ». Ses montagnes et ses forêts abritent des unités de « maquisards » et servent de refuge à des résistants en instance de passage par les cols pyrénéens vers l’Espagne et l’Afrique.

J. P.


L’art en Roussillon

L’art roman* a couvert le Roussillon d’un tissu serré d’églises et de cloîtres, dont un grand nombre encore debout témoignent de l’intensité créatrice du siècle de l’an mille.

Au pied du Canigou, dans une oasis de verdure et d’eaux vives, un puissant clocher carré de 40 m signale l’abbaye de Saint-Michel-de-Cuxa, « bastion de la reforme de l’Église à l’heure du suprême assaut de l’islām ». L’église de cette abbaye, d’une austère beauté, fut consacrée en 975. Le transept s’ouvre sur la grande nef (à charpente apparente) et sur les collatéraux par des arcs outrepassés uniques en France. L’abside, rectangulaire, a été couverte d’ogives, mais les absidioles, oblongues, ont gardé leurs voûtes en berceau outrepassé. On décèle dans cet édifice les influences mozarabe, carolingienne et aussi wisigothique. Une voûte annulaire surbaissée, soutenue par un énorme pilier rond, telle est l’architecture fruste de la crypte. Enfin, deux galeries du cloître de marbre rose, construit au milieu du xie s. et dépecé à la Révolution, ont été rétablies par les Monuments historiques avec d’admirables chapiteaux à feuillages et à animaux récupérés dans les environs, mais la plupart des éléments d’origine sont remontés au « musée des Cloîtres » de New York.

Le monastère de Saint-Martin-du-Canigou s’élève depuis l’an 1009 sur un piton sauvage de la haute vallée du Cady, à 1 055 m d’altitude. Guifred, comte de Cerdagne, qui avait financé les travaux, s’y retira après son second veuvage et mourut sous la hure. Les piliers de l’église supérieure, à trois nefs voûtées en berceau, sont des colonnes monolithes galbées aux chapiteaux cubiques sans abaque, sobrement décorés de palmettes. Les six travées de l’église inférieure sont couvertes de berceaux renforcés qui reposent sur des piliers cruciformes. Toute une faune fantastique inspirée des bestiaires de l’Orient prend vie sur les chapiteaux du cloître, dont une galerie surplombe le ravin.

L’église d’Arles-sur-Tech (1046) garde sur sa façade l’une des plus vénérables sculptures du Roussillon : un Christ en majesté inscrit au cœur d’une croix grecque dont les symboles des évangélistes ornent les médaillons. Non moins vénérables sont les linteaux de Saint-Génis-des-Fontaines et de Saint-André-de-Sorède, premières ébauches du portail sculpté. Celui de Saint-Génis porte une date : « la vingt-quatrième année du règne de Robert le Pieux », soit 1019. Sculpté en méplat, il représente au centre, dans une gloire perlée soutenue par des anges, le Christ enseignant, au beau visage de paysan, et de chaque côté les Apôtres, dont les têtes s’inscrivent exactement dans des arcades outrepassées.

La cathédrale d’Elne (1020-1069) domine la plaine et la mer. Ses murs revêches de galets lui donnent un aspect de forteresse ; sa nef est sombre, voûtée en berceau, à collatéraux, mais sans transept. Par contre, le cloître de marbre blanc, aux soixante-quatre colonnes géminées, est un chef-d’œuvre d’harmonie. Les chapitaux de la galerie méridionale (xie s.) présentent griffons, bouquetins, palmettes ainsi que des personnages de la Genèse et des Évangiles. Les sculptures des galeries septentrionale et occidentale (xiiie s.), moins originales, constituent cependant un précieux répertoire. Celles de la galerie orientale (xive s.) représentent, cette fois avec des formes gothiques, l’enfance du Christ et des animaux imaginaires. Des bas-reliefs des évangélistes figurent aux quatre coins de ce parfait promenoir de méditation.

L’église du prieuré de Serrabone, bâtie de schistes gris-bleu, couverte de lauzes et flanquée d’un clocher carré percé de minces ouvertures pareilles à des meurtrières, s’enracine sur une colline des Aspres aux vastes horizons. L’intérieur offre la merveille d’une tribune de marbre rose tapissée de sculpture, avec le décor floral des archivoltes et de la corniche, les figures des écoinçons et des chapitaux : aigles, lions, centaure sagittaire, séraphins aux visages fortement pétris, aux mains énormes et aux ailes croisées devant le corps, saint Michel affronté au dragon.

Dans la modeste église de Saint-Martin-de-Fenollar, la peinture romane est représentée par des fresques du début du xiie s., toutes de gravité et d’allégresse. L’artiste a dessiné d’un trait ferme et peint de couleurs chaudes, rehaussées de vert, de noir et de blanc, le Christ en majesté dans une gloire en amande, la Vierge, les évangélistes, les vieillards de l’Apocalypse, la nativité.

L’art gothique, qui a laissé à Perpignan* des réalisations remarquables, compte encore à son actif un type d’églises élancées, à nef unique et à contreforts intérieurs délimitant des chapelles, ainsi que les charmants cloîtres d’Arles-sur-Tech et de Monastir-del-Camp, tous deux du xiiie s.