Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rome (suite)

En plus de son intervention capitale à Saint-Pierre du Vatican, Michel-Ange, en effet, dans la dernière partie de sa carrière, apporte une contribution primordiale à l’architecture de la Ville Éternelle, où il mourra en 1564. En 1527, Rome avait été mise à sac par les armées impériales ; cet événement avait dispersé pour un temps les artistes et rendu plus impérieuse encore la nécessité d’assainir et d’ordonner la cité. Paul III Farnèse décida de procéder à la rénovation du Capitole, un des endroits les plus prestigieux de l’histoire romaine. On restaura complètement l’ancien Palais sénatorial. On dressa au centre de la place la statue équestre (antique) de Marc Aurèle. Michel-Ange donna le plan des façades de l’escalier monumental avec ses divinités fluviales, le Tibre et le Nil ; il prévoyait de part et d’autre deux palais jumeaux, à droite le palais des Conservateurs, commencé avant sa mort, cependant qu’en face le Palazzo Nuovo (musée du Capitole) ne fut construit qu’au xviie s., par Girolamo Rainaldi. On peut affirmer que c’est à Michel-Ange que le Capitole doit sa composition grandiose, et que le rythme puissant et dynamique des éléments de façade n’a pas manqué d’influer sur la formation de l’esprit baroque, car l’on y trouve déjà la même recherche d’effet, de perspective théâtrale et de synthèse entre éléments architectoniques et éléments sculptés (par exemple les Dioscures, autre remploi d’antiques, qui montent la garde à l’entrée de la place). On fit appel à Michel-Ange en 1546 pour terminer le palais Farnèse. Il dessina le balcon central avec ses armoiries, les fenêtres du dernier étage, le superbe entablement supérieur qui produit là encore un effet grandiose, et enfin le dernier étage de la cour intérieure. Le palais, peut-être le plus beau de Rome, fut achevé par Vignole* et Giacomo Della Porta. Il symbolise parfaitement l’orgueil des grandes familles qui fournissaient périodiquement un titulaire au trône de saint Pierre. Michel-Ange fut aussi chargé de transformer en église l’ancien tepidarium des thermes de Dioclétien et il s’y montra respectueux de l’Antiquité (Santa Maria degli Angeli). Sa dernière œuvre d’architecte est la Porta Pia (1561-1564), quelque peu altérée aujourd’hui, où il affirme sa conception d’un urbanisme adapté à la grandeur d’une capitale. Si beaucoup de ses projets restèrent à l’état de dessins, on peut affirmer que c’est largement grâce à lui que le grand souffle de la Renaissance a bouleversé Rome, une Renaissance très empreinte de majesté antique. Dès le milieu du xvie s., la capitale des papes devient une sorte de chantier permanent.

Il revint à Sixte Quint, qui régna de 1585 à 1590, de coordonner tous ces efforts en définissant un vaste plan rationnel. L’architecte Domenico Fontana (1543-1607) fut l’artisan infatigable de ce grand dessein. L’idée centrale fut de relier les principaux points, en l’occurence les grandes basiliques, par des voies rectilignes et larges propres à faciliter la circulation et la police, déterminant des quartiers, dont plusieurs furent créés de toutes pièces. Les anciens remparts devenus anachroniques furent percés pour livrer passage à ces nouvelles artères. Rome s’agrandit donc, aux dépens certes des jardins, vignobles, et pacages qui la couvraient. On construisit des aqueducs pour amener l’eau des sources de Palestrina et ce fut le début des fameuses fontaines qui ajoutent tant au charme et à la beauté de Rome. La première fut l’Acqua Felice, élevée place San Bernardo alle Terme, et la forme monumentale adoptée par Fontana se réfère évidemment à l’arc de triomphe antique. La sculpture en bas relief y tient une place importante. Aux points de convergence des grands axes, on dressa les obélisques que l’on retrouvait alors au cours des fouilles ; le plus spectaculaire s’éleva précisément place Saint-Pierre. Des préoccupations sociales et économiques présidaient certes à ces travaux de vaste échelle, mais aussi une pensée religieuse et politique : la Contre-Réforme* s’organise et proclame à la face d’une chrétienté minée par l’hérésie la précellence du catholicisme et l’éclat retrouvé du siège de l’apôtre. Le pontife affirme son autorité aussi bien en se faisant construire un nouveau palais d’été, le Quirinal, devenu palais royal, puis résidence du président de la République, qu’en donnant leur aspect actuel aux vénérables hauts lieux du christianisme : palais de Saint-Jean-de-Latran et église Sainte-Marie-Majeure, dont toute la façade postérieure est édifiée dans des formes que l’on peut qualifier de triomphales. Cette basilique devient alors le centre d’une étoile de voies nouvelles. Le Corso reste l’axe principal traversant la ville et se borde de palais. Fontana dessine le piédestal de la colonne Antonine (ou colonne de Marc Aurèle, sur la piazza Colonna) et installe à son sommet une statue de saint Paul : symbole, comme les obélisques, de la victoire sur le paganisme, annexé jusque dans ses vestiges par la vraie religion.

Les familles patriciennes, les ordres religieux furent saisis par une fièvre d’émulation. On continue certes à bâtir sur les ruines romaines, comme le Cenci, sur les vestiges du théâtre de Cornelius Balbus, mais surtout le long des voies nouvelles. Le palais construit par Giulio Merisi pour le cardinal Gerolamo Capodiferro vers 1540 passa au cardinal Spada, qui fit enrichir les façades de stucs et de statues antiques. Les villas suburbaines gardent la faveur des grandes familles. Les Médicis acquièrent celle que le cardinal Giovanni Ricci avait fait construire en 1544 sur le Pincio par Annibale Lippi ; la façade sur les jardins de ce qui est devenu le siège de l’Académie de France, avec sa loggia, est très caractéristique de l’architecture du xvie s. et prend toute sa valeur dans son environnement de jardins, de fontaines, de statues.

Si Iacopo Barozzi, dit le Vignole*, est célèbre par ses traités, il n’en est pas moins un constructeur important, travaillant dans de nombreux palais (Farnèse, Borghèse, Chancellerie). Il est l’auteur, avec Bartolomeo Ammannati (1511-1592), de la villa Giulia (1551-1553, aujourd’hui Musée étrusque) : l’ingénieux hémicycle de la première cour est de Vignole, tandis que le nymphée et la loggia sont l’œuvre d’Ammannati. En 1568, Vignole entreprit de bâtir la grande église mère d’un ordre dont l’importance est considérable aussi bien dans le domaine des arts que dans la politique religieuse : les Jésuites. Le Gesù se présente d’ailleurs avec un plan révolutionnaire, une vaste nef unique bordée de chapelles entre les contreforts internes, une « église de la parole » adaptée aux nouvelles formes de dévotion prônées par les disciples de saint Ignace. Giacomo Della Porta (1540-1602), originaire de Lombardie, élève et collaborateur de Vignole, acheva le Gesù en construisant la coupole et la façade, elle aussi très originale avec ses enroulements qui assurent la transition entre deux niveaux de largeur inégale, un parti qui deviendra courant et que l’on qualifiera même, abusivement, de « jésuite ». Vers 1580, Della Porta fait figure d’architecte principal de la ville : outre l’achèvement de la coupole de Saint-Pierre, de nombreuses églises lui sont dues : la Madonna dei Monti, Sant’ Atanasio dei Greci, la façade de Saint-Louis-des-Français, dont la nef avait été achevée par Domenico Fontana.