Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Rolland (Romain) (suite)

Roman-fleuve, selon le mot de Romain Rolland, Jean-Christophe est la symphonie héroïque, en dix chants, de l’âme et du génie créateur. Les titres retracent l’itinéraire spirituel d’un homme qui ressemble à Beethoven et à l’auteur lui-même : « l’Aube », « le Matin », « l’Adolescent », « la Révolte », « la Foire sur la place », « Antoinette », « Dans la maison », « les Amies », « le Buisson ardent », « la Nouvelle Journée ». « Beethoven dans le monde d’aujourd’hui », Jean-Christophe est le musicien qui conduit le grand orchestre de sa vie. Riche, nombreux, lyrique, ce roman est un chef-d’œuvre de composition et de modulation, qui transmue les étapes de la vie en thèmes musicaux et en inflexions pour la méditation. Fleuve intérieur et fleuve extérieur se mêlent dans une union presque religieuse, harmonisant l’écoulement et la musique dans une unité vécue qui recueille l’enfance, l’adolescence, l’amour, l’amitié, mais aussi les souffrances, le désespoir et le doute, pour les porter jusqu’au seuil de « la Nouvelle Journée ». Romain Rolland a voulu édifier un monument à la « divine musique » en harmonisant les contradictions d’une vie qui se déroule au rythme même de la nécessité intérieure, des appels et des échos d’une âme. À l’aube du « jour qui va naître », « tout n’est plus qu’un seul cœur » : ainsi meurt Jean-Christophe, mais auréolé de transfiguration ; il a réalisé l’idéal de Goethe (« Meurs et deviens ! »), il a assumé la vie dans sa totalité et sa diversité. Et même si quelques pages gênent le lecteur moderne par leur lyrisme romantique ou par leur idéalisme forcé, l’ensemble garde la pureté et la force de l’enfance, ce signe magique sous lequel a vécu Jean-Christophe : « Que le rythme du cœur emporte tes écrits. Le style, c’est l’âme », dit le héros à son ami Olivier Jeannin.

On trouvera peut-être alors dans la musique un thème constant et original de l’œuvre de Romain Rolland ; ses Vies des hommes illustres comme l’Âme enchantée, le Voyage intérieur, son autobiographie poétique, comme Colas Breugnon présentent ce caractère musical qui, par-delà la composition, fait vibrer chaque figure selon les rythmes les plus déliés ou les plus libres, mais toujours fidèles au son pur de la vie : une « âme de cristal », un « archet divin », un écho probe de la vie, tel est Romain Rolland, conscience musicale et libre de la vie.

M. L.

 E. R. Curtius, Die literarischen Wegbereiter des neuen Frankreichs (Potsdam, 1918). / P. Jouve, Romain Rolland vivant (Ollendorff, 1920). / S. Zweig, Romain Rolland, der Mann und das Werk (Francfort, 1921 ; trad. fr. Romain Rolland. Sa vie, son œuvre. Éd. pittoresques, 1929). / J. Bonnerot, Romain Rolland, sa vie, son œuvre (Éd. du Carnet critique, 1921). / H. Hatzfeld, Paul Claudel und Romain Rolland (Munich, 1921). / C. Sénéchal, Romain Rolland (la Caravelle, 1934). / A. R. Lévy, l’Idéalisme de Romain Rolland (Nizet et Bastard, 1946). / R. A. Wilson, The Pre-War Biographies of Romain Rolland (Londres, 1949). / R. Arcos, Romain Rolland (Mercure de France, 1951). / J.-B. Barrère, Romain Rolland par lui-même (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1955) ; Romain Rolland, l’âme et l’art (A. Michel, 1966). / J. Robichez, Romain Rolland (Hatier, 1961). / P. Sipriot, Romain Rolland (Desclée De Brouwer, 1968). / D. D. Nedelikovic, Romain Rolland et Stefan Zweig (Klincksieck, 1970).

Livres et liberté

1866

29 janvier : naissance à Clamecy (Nièvre) de Romain Edme Paul Émile Rolland.

1872

Naissance de Madeleine, sœur de Romain, qui sera son interprète auprès de Gāndhī et de Tagore.

1873-1880

Études à Clamecy.

1880-1882

Romain Rolland achève à Paris ses études secondaires.

1882-1886

Au lycée Louis-le-Grand, il prépare le concours d’entrée à l’École normale supérieure. Il a rencontré Hugo et fréquente les concerts avec son ami Claudel.

1886-1889

Élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Licence ès lettres. Attiré un temps par la philosophie, il préfère la rigueur de l’histoire. Reçu à l’agrégation, il est nommé membre de l’École française de Rome.

1889-1891

Pensionnaire au palais Farnèse, il travaille aux archives du Vatican, visite les musées. Premiers drames, dont Orsino. Ébauche de Jean-Christophe.

1892

Il épouse Clotilde Bréal.

1892-1895

Thèse sur les origines de l’opéra : reçu docteur ès lettres. Chargé de cours à l’École normale supérieure.

1895-1898

Drames : Saint Louis, Jeanne de Piennes. Au théâtre de l’Œuvre, il fait jouer Aërt et les Loups.

1898-1904

Collaborateur de la Revue de Paris et de la Revue d’art dramatique ; il réunit ses articles dans le Théâtre du peuple. Drames : le Triomphe de la raison, Danton, le 14 Juillet, Le temps viendra. En 1901, il a divorcé.

1901-1904

Collaborateur de la Revue d’histoire, de Critique musicale. Publication de la Vie de Beethoven, en 1903, aux Cahiers de la quinzaine de Péguy.

1904-1912

Il rédige Jean-Christophe, dont les volumes paraissent successivement dans les Cahiers de la quinzaine. Entre-temps, il a publié Michel-Ange (1905) et la Vie de Michel-Ange (1906), le Théâtre de la Révolution (1909), Händel (1910), Vie de Tolstoï (1911).

1913

Les Tragédies de la foi. Grand prix de littérature de l’Académie française.

1914

En Suisse, il apprend la déclaration de la guerre. Lettre ouverte à Gerhart Hauptmann.

1915

Au-dessus de la mêlée.

1916

Prix Nobel de littérature.

1918

Empédocle d’Agrigente, essai.

1919

Colas Breugnon ; Liluli, farce allégorique. Mort de sa mère. Lettre à Tagore.

1920

Clérambault ; Pierre et Luce, idylle tragique.

1923-1926

Les Précurseurs. Mahātmā Gāndhī, essai. Le Jeu de l’amour et de la mort, Pâques fleuries, les Léonides, qui complètent son Théâtre de la Révolution. Hommage de la revue Europe. Liber amicorum. Il reçoit Tagore et Nehru.

1930

Essai sur la mystique et l’action de l’Inde vivante.

1933

L’Âme enchantée (dernier volume).

1934

Il épouse une jeune femme russe.

1935

Voyage en U. R. S. S. Il rend visite à Gorki.

1936

Compagnons de route.

1939

Dernier drame : Robespierre.

1942-1944

Le Voyage intérieur. Derniers volumes de son Beethoven.

1944

30 décembre : après l’impression de son Péguy, Romain Rolland meurt à Vézelay. Nombreuses publications posthumes.