Rolland (Romain) (suite)
Roman-fleuve, selon le mot de Romain Rolland, Jean-Christophe est la symphonie héroïque, en dix chants, de l’âme et du génie créateur. Les titres retracent l’itinéraire spirituel d’un homme qui ressemble à Beethoven et à l’auteur lui-même : « l’Aube », « le Matin », « l’Adolescent », « la Révolte », « la Foire sur la place », « Antoinette », « Dans la maison », « les Amies », « le Buisson ardent », « la Nouvelle Journée ». « Beethoven dans le monde d’aujourd’hui », Jean-Christophe est le musicien qui conduit le grand orchestre de sa vie. Riche, nombreux, lyrique, ce roman est un chef-d’œuvre de composition et de modulation, qui transmue les étapes de la vie en thèmes musicaux et en inflexions pour la méditation. Fleuve intérieur et fleuve extérieur se mêlent dans une union presque religieuse, harmonisant l’écoulement et la musique dans une unité vécue qui recueille l’enfance, l’adolescence, l’amour, l’amitié, mais aussi les souffrances, le désespoir et le doute, pour les porter jusqu’au seuil de « la Nouvelle Journée ». Romain Rolland a voulu édifier un monument à la « divine musique » en harmonisant les contradictions d’une vie qui se déroule au rythme même de la nécessité intérieure, des appels et des échos d’une âme. À l’aube du « jour qui va naître », « tout n’est plus qu’un seul cœur » : ainsi meurt Jean-Christophe, mais auréolé de transfiguration ; il a réalisé l’idéal de Goethe (« Meurs et deviens ! »), il a assumé la vie dans sa totalité et sa diversité. Et même si quelques pages gênent le lecteur moderne par leur lyrisme romantique ou par leur idéalisme forcé, l’ensemble garde la pureté et la force de l’enfance, ce signe magique sous lequel a vécu Jean-Christophe : « Que le rythme du cœur emporte tes écrits. Le style, c’est l’âme », dit le héros à son ami Olivier Jeannin.
On trouvera peut-être alors dans la musique un thème constant et original de l’œuvre de Romain Rolland ; ses Vies des hommes illustres comme l’Âme enchantée, le Voyage intérieur, son autobiographie poétique, comme Colas Breugnon présentent ce caractère musical qui, par-delà la composition, fait vibrer chaque figure selon les rythmes les plus déliés ou les plus libres, mais toujours fidèles au son pur de la vie : une « âme de cristal », un « archet divin », un écho probe de la vie, tel est Romain Rolland, conscience musicale et libre de la vie.
M. L.
E. R. Curtius, Die literarischen Wegbereiter des neuen Frankreichs (Potsdam, 1918). / P. Jouve, Romain Rolland vivant (Ollendorff, 1920). / S. Zweig, Romain Rolland, der Mann und das Werk (Francfort, 1921 ; trad. fr. Romain Rolland. Sa vie, son œuvre. Éd. pittoresques, 1929). / J. Bonnerot, Romain Rolland, sa vie, son œuvre (Éd. du Carnet critique, 1921). / H. Hatzfeld, Paul Claudel und Romain Rolland (Munich, 1921). / C. Sénéchal, Romain Rolland (la Caravelle, 1934). / A. R. Lévy, l’Idéalisme de Romain Rolland (Nizet et Bastard, 1946). / R. A. Wilson, The Pre-War Biographies of Romain Rolland (Londres, 1949). / R. Arcos, Romain Rolland (Mercure de France, 1951). / J.-B. Barrère, Romain Rolland par lui-même (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1955) ; Romain Rolland, l’âme et l’art (A. Michel, 1966). / J. Robichez, Romain Rolland (Hatier, 1961). / P. Sipriot, Romain Rolland (Desclée De Brouwer, 1968). / D. D. Nedelikovic, Romain Rolland et Stefan Zweig (Klincksieck, 1970).
Livres et liberté
186629 janvier : naissance à Clamecy (Nièvre) de Romain Edme Paul Émile Rolland.
1872Naissance de Madeleine, sœur de Romain, qui sera son interprète auprès de Gāndhī et de Tagore.
1873-1880Études à Clamecy.
1880-1882Romain Rolland achève à Paris ses études secondaires.
1882-1886Au lycée Louis-le-Grand, il prépare le concours d’entrée à l’École normale supérieure. Il a rencontré Hugo et fréquente les concerts avec son ami Claudel.
1886-1889Élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Licence ès lettres. Attiré un temps par la philosophie, il préfère la rigueur de l’histoire. Reçu à l’agrégation, il est nommé membre de l’École française de Rome.
1889-1891Pensionnaire au palais Farnèse, il travaille aux archives du Vatican, visite les musées. Premiers drames, dont Orsino. Ébauche de Jean-Christophe.
1892Il épouse Clotilde Bréal.
1892-1895Thèse sur les origines de l’opéra : reçu docteur ès lettres. Chargé de cours à l’École normale supérieure.
1895-1898Drames : Saint Louis, Jeanne de Piennes. Au théâtre de l’Œuvre, il fait jouer Aërt et les Loups.
1898-1904Collaborateur de la Revue de Paris et de la Revue d’art dramatique ; il réunit ses articles dans le Théâtre du peuple. Drames : le Triomphe de la raison, Danton, le 14 Juillet, Le temps viendra. En 1901, il a divorcé.
1901-1904Collaborateur de la Revue d’histoire, de Critique musicale. Publication de la Vie de Beethoven, en 1903, aux Cahiers de la quinzaine de Péguy.
1904-1912Il rédige Jean-Christophe, dont les volumes paraissent successivement dans les Cahiers de la quinzaine. Entre-temps, il a publié Michel-Ange (1905) et la Vie de Michel-Ange (1906), le Théâtre de la Révolution (1909), Händel (1910), Vie de Tolstoï (1911).
1913Les Tragédies de la foi. Grand prix de littérature de l’Académie française.
1914En Suisse, il apprend la déclaration de la guerre. Lettre ouverte à Gerhart Hauptmann.
1915Au-dessus de la mêlée.
1916Prix Nobel de littérature.
1918Empédocle d’Agrigente, essai.
1919Colas Breugnon ; Liluli, farce allégorique. Mort de sa mère. Lettre à Tagore.
1920Clérambault ; Pierre et Luce, idylle tragique.
1923-1926Les Précurseurs. Mahātmā Gāndhī, essai. Le Jeu de l’amour et de la mort, Pâques fleuries, les Léonides, qui complètent son Théâtre de la Révolution. Hommage de la revue Europe. Liber amicorum. Il reçoit Tagore et Nehru.
1930Essai sur la mystique et l’action de l’Inde vivante.
1933L’Âme enchantée (dernier volume).
1934Il épouse une jeune femme russe.
1935Voyage en U. R. S. S. Il rend visite à Gorki.
1936Compagnons de route.
1939Dernier drame : Robespierre.
1942-1944Le Voyage intérieur. Derniers volumes de son Beethoven.
194430 décembre : après l’impression de son Péguy, Romain Rolland meurt à Vézelay. Nombreuses publications posthumes.