Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Robespierre (Maximilien de) (suite)

Avec Robespierre à sa tête, le Comité de salut public tient la Convention en tutelle. Sous son égide, le décret du 10 octobre 1793 décide que « le gouvernement sera révolutionnaire jusqu’à la paix », et celui du 14 frimaire (4 déc.) organise l’ensemble des institutions. Toutes les libertés (de presse, de parole, de réunion) sont supprimées. Sur le plan économique et social, Robespierre préconise une série de mesures favorables au peuple. S’il reconnaît le droit de propriété (auquel il assigne toutefois des limites), il propose un impôt progressif sur les fortunes, affirme la nécessité d’une aide aux indigents et présente la résistance à l’oppression comme un devoir. La disette sévissant, de nombreux actes législatifs sont votés : loi du maximum (sept. 1793), loi sur l’accaparement, décrets de Ventôse (févr.-mars 1794). C’est l’ère de l’économie dirigée. Pour réaliser son idéal, Robespierre juge légitimes toutes les rigueurs. Selon lui, la justice doit être « prompte, sévère, inflexible ». Il faut pourchasser les intrigants, les corrompus, les conspirateurs, bref « dompter les ennemis de la liberté ». L’échafaud ne chôme pas. En deux célèbres discours (25 déc. 1793 et 5 févr. 1794), Robespierre développe ses théories sur la légitimité du gouvernement révolutionnaire, opposant l’ordre constitutionnel, respectueux des libertés publiques, à l’ordre révolutionnaire, dont l’activité exceptionnelle est nécessitée par les circonstances. Terrible aux méchants, mais favorable aux bons, le gouvernement révolutionnaire a comme ressort la vertu appuyée sur la terreur, « la vertu sans laquelle la terreur est funeste, la terreur sans laquelle la vertu est impuissante ».

La vertu, Robespierre la possède, mais, avec son caractère ombrageux, tourmenté, il redoute les opposants de gauche comme ceux de droite, les « ultras » comme les « citras ». Il les utilisera les uns contre les autres. Il s’inquiète d’abord de la surenchère démagogique des « enragés » aux idées sociales trop avancées, et surtout des excès des hébertistes, qui multiplient les mascarades antireligieuses et ont institué le culte de la déesse Raison. Foncièrement déiste (on l’a entendu plusieurs fois se réclamer de la Providence divine), il s’inquiète du fanatisme de ces ultrarévolutionnaires. Avec l’appui des dantonistes, il fait arrêter Hébert et ses complices, et les envoie à l’échafaud (24 mars 1794). Il se retourne ensuite contre Danton et Desmoulins, ces « indulgents » qui ont entrepris dans le Vieux Cordelier une campagne pour mettre fin à la Terreur. Il profite de leur collusion avec Fabre d’Églantine, convaincu de louches tripotages, pour abattre ces ennemis de la République. Le 5 avril, après un procès au cours duquel il n’a pu se défendre, Danton est conduit avec ses amis à la guillotine : en passant devant la maison de son adversaire, le grand Cordelier lance ce cri prophétique : « Robespierre, tu me suis ! »

Les « factions » abattues, l’Incorruptible demeure seul au pouvoir. Seul vertueux, seul pur. Son frère Augustin, ses disciples Saint-Just, Couthon, Philippe Le Bas (1765-1794) sont à sa dévotion. Son ascendant est immense. Ses collègues reconnaissent son austérité de vie, son mépris de l’argent, mais ils redoutent son dogmatisme. Impassible, impavide, infaillible, ce doctrinaire au masque froid, aux lèvres minces se croit investi d’une mission. Il possède la vérité, et son intransigeance est celle d’un grand prêtre. De celui-ci, il a tous les aspects. Pour lui, l’athéisme est à la fois immoral et aristocratique. Robespierre appelle la divinité au secours de la Révolution. « Dieu puissant, s’écrie-t-il un jour, cette cause est la tienne [...]. » Son vœu est de rassembler les esprits autour d’une religion civique qui garantirait à la fois les principes moraux et les principes républicains. C’est alors qu’il crée le culte de l’Être suprême. Une sorte de catéchisme enseigne aux Français, avec l’immortalité de l’âme, la haine des tyrans, la punition des traîtres, la défense des opprimés, la pratique de la justice. Le 20 prairial (8 juin 1794) — jour de la Pentecôte — se déroule à Paris une fête solennelle, réglée par David*, au cours de laquelle Maximilien, en tête du cortège, s’en va gravement mettre le feu à une statue symbolisant l’athéisme.

Cette manifestation spectaculaire n’enchante guère ses collègues. Un membre du Comité de sûreté générale, le vieux voltairien Marc Guillaume Vadier (1736-1828), essaie alors de ridiculiser Robespierre en l’impliquant dans la grotesque affaire de Catherine Théot, sorte d’illuminée qui s’intitule elle-même la « mère de Dieu » et voit en Maximilien un nouveau Messie. La folle sera incarcérée.

À cette date, les exécutions se multiplient. Le 20 mai, un certain L’Admiral a cherché à tuer Robespierre (changeant d’avis, il a blessé Collot d’Herbois). Une jeune fille, Aimée Cécile Renault, s’est présentée chez l’Incorruptible avec un couteau caché sous sa robe : accusée de tentative de meurtre, elle sera guillotinée le 17 juin avec cinquante-deux autres condamnés. À la suite de ces « attentats » manques, Robespierre autorise Couthon à présenter à la Convention la fameuse loi du 22 prairial (10 juin 1794), qui supprime l’interrogatoire de l’accusé avant le procès, laisse l’audition des témoins à la discrétion du tribunal, refuse à l’accusé l’aide d’un défenseur et n’offre au juge qu’une alternative : l’acquittement ou la mort. Cette loi terrible, aussitôt votée, ouvre l’ère de la « Grande Terreur ». Les têtes vont voler « comme des ardoises ».

Cependant, les victoires des armées révolutionnaires (Fleurus est du 26 juin) ne paraissent pas justifier de telles rigueurs. « Les victoires s’acharnent sur Robespierre », déclara Barrère. Le pays commence à avoir « la nausée de l’échafaud ». La dictature moralisante de l’Incorruptible irrite d’autre part les athées de la Convention. Enfin, depuis la loi de prairial, bien des députés, dont la conscience est peu tranquille, sentent déjà sur leur cou le froid du couperet. Un complot se forme, dont les chefs sont eux-mêmes des terroristes aux mains souillées de sang. Collot d’Herbois, Fouché, Tallien, Barras, Billaud-Varenne, Fréron, effrayés pour eux-mêmes, s’efforcent de gagner à leur cause le centre de l’Assemblée. Robespierre devine ces intrigues, mais il est déprimé, malade, aigri. Ulcéré par les calomnies, il se terre chez lui : pendant un mois, il ne met plus les pieds au Comité de salut public, où il sent l’hostilité de certains de ses collègues, comme l’intègre Carnot.