Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Robespierre (Maximilien de)

Homme politique français (Arras 1758 - Paris 1794).



La formation

D’une famille de bourgeoisie provinciale, ce jeune Artésien, très tôt orphelin (en fait, le père a abandonné les siens) et sevré des joies de l’enfance, est élevé, avec son cadet Augustin (1763-1794), par son grand-père maternel. Il fait de sérieuses études, d’abord chez les oratoriens d’Arras, puis comme boursier à Louis-le-Grand (1769), où il connaît Danton* et Camille Desmoulins. Rentré dans sa ville natale, il devient avocat au Conseil d’Artois (1781) et juge au tribunal épiscopal. Il mène alors une vie calme, lisant Montesquieu, les encyclopédistes et surtout J.-J. Rousseau. Il fréquente le cénacle littéraire des Rosati et est reçu à l’académie d’Arras, alors foyer de propagande philosophique.


De l’élection aux États généraux à la chute de la Gironde

Élu député du tiers état aux États généraux de 1789, Robespierre arrive à Versailles imbu des doctrines des grands philosophes. Les membres de la Constituante remarquent vite ce petit homme au teint pâle, aux cheveux soigneusement poudrés, aux yeux verts clignotant derrière des besicles, toujours vêtu avec élégance. Robespierre parle avec un style châtié, une sobre éloquence, mais sa dialectique un peu sèche, son ton de voix grêle et quelque peu criard ne séduisent pas toujours l’assistance. On sait pourtant qu’il mène une vie digne et probe, qu’il méprise plaisirs et honneurs. Plus tard, on le surnommera l’« Incorruptible ». À l’Assemblée comme au club des Jacobins, où il se montre très assidu, ses collègues le sentent mû par une flamme secrète, par la certitude inébranlable d’avoir raison. « Il ira loin, prophétise Mirabeau*, il croit tout ce qu’il dit ! »

Robespierre réclame la liberté d’opinion, de presse et de réunion, l’égalité politique de tous les citoyens, la suppression de l’esclavage, des indemnités pour les victimes d’erreurs judiciaires, la disparition des titres de noblesse, et même... l’abolition de la peine de mort. Il combat avec force — et en vain — l’idée du veto royal (à cette époque, il est encore monarchiste), prend le parti des soldats mutinés contre leurs chefs, réclame le licenciement des officiers nobles, rejette la réélection des députés de la Constituante à la Législative (mai 1791). Face à Brissot et à ses amis, il tente, mais en vain, au club des Jacobins, de s’opposer à la déclaration de guerre. Lorsque Brissot s’écrie : « Le mal est à Coblence », il répond : « Le véritable Coblence est en France, si vous ignorez cela, vous êtes étranger à tout ce qui se passe dans ce pays-ci. » Il redoute les manœuvres des Tuileries comme l’emprise d’un général victorieux et dénonce La Fayette* comme le plus dangereux des hommes.

Depuis la fuite du roi à Varennes (juin 1791), ses principes révolutionnaires se sont durcis. Robespierre a refusé la fiction, préconisée par l’Assemblée, de l’enlèvement du monarque. Il semble pourtant croire encore à la possibilité d’une monarchie constitutionnelle. S’il ne participe pas personnellement à la journée du 10 août 1792, il entre l’après-midi même au Conseil général de la Commune (il va y exercer une influence décisive), réclame la déchéance du roi, l’institution d’un tribunal révolutionnaire et l’élection d’une Convention nationale au suffrage universel. Il est alors installé rue Saint-Honoré, chez un fervent Jacobin, le menuisier Duplay, dont toute la famille lui montrera un grand dévouement. Les massacres de Septembre, survenus sur ces entrefaites, lui semblent bien excusables. Robespierre considère que « la révolution ne peut se faire sans révolution » et déclare qu’à défaut de lois protectrices le peuple « a le devoir de veiller lui-même à ses propres besoins ».

Au premier tour de scrutin, les Parisiens l’envoient siéger à la Convention*. Robespierre s’installe dans les rangs de la Montagne et prend aussitôt parti contre la Gironde. Celle-ci attaque Marat* et Danton. Robespierre fait bloc avec eux et se voit lui-même dénoncé par Jean-Baptiste Louvet comme aspirant à la dictature : accusation pour le moins prématurée... qui se retournera contre l’accusateur. Ramené en triomphe au club des Jacobins, il fera chasser de celui-ci les Girondins calomniateurs.

Pour régler le sort de Louis XVI, il propose, avec Saint-Just*, une exécution par décret, sans procès préalable. « Si le roi n’est pas coupable, ceux qui l’ont détrôné le sont. » Cependant, les députés s’érigent en juges. Robespierre repousse l’« appel au peuple » préconisé par une partie de la Gironde et vote la mort sans sursis. Pendant toute cette période, il mène avec Marat la lutte contre les brissotins, incapables, juge-t-il, de défendre le pays contre le péril extérieur et dont la mollesse compromet la grande œuvre révolutionnaire. Il les accuse de complicité avec le traître Dumouriez (avr. 1793) et d’incompréhension pour les misères du peuple. Il oppose aussi les sans-culottes* aux culottes dorées, les prolétaires aux « messieurs » de la bourgeoisie et présente la Gironde comme l’armée des riches, des nantis. Le 26 mai, il lance un appel aux « patriotes » parisiens : « J’invite le peuple à se mettre dans la Convention en insurrection contre les députés corrompus. » Les sections l’écoutent. Le 2 juin, l’Assemblée cède à la force : la Gironde a succombé.


Le gouvernement révolutionnaire

Robespierre est devenu le personnage le plus représentatif de la Révolution. Estimant que le salut public exige un pouvoir dictatorial, il préconise l’établissement d’un gouvernement révolutionnaire. En avril 1793, il a été l’un des principaux artisans de la création d’un Comité de salut public. Il le fait remanier après la chute des Girondins, puis en élimine les dantonistes, trop peu actifs à son gré. Il y entre le 27 juillet et en devient le véritable chef. Laissant à ses collègues les tâches spécialisées, il consacre ses soins à la politique générale et n’accepte aucune mission hors Paris. Face à la révolte des provinces et à la poussée des armées ennemies, il travaille à la sauvegarde et à l’unité de la France révolutionnaire. Entouré de ses fidèles Georges Couthon (1755-1794) et Saint-Just, il est vraiment l’âme de la dictature montagnarde. Il a lui-même énuméré — non sans peut-être quelque exagération ! — toutes les tâches qui lui incombent : « Onze armées à diriger, le poids de l’Europe entière à porter, partout des traîtres à démasquer, des émissaires soudoyés par l’or des puissances étrangères à déjouer, des administrateurs infidèles à surveiller, tous les tyrans à combattre, toutes les conspirations à intimider, partout à aplanir les obstacles, telles sont mes fonctions » (25 sept. 1793).