Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rilke (Rainer Maria) (suite)

Après de brefs séjours en Afrique du Nord (1910), en Égypte (1911), en Espagne (1912), Rilke finit par s’installer à Munich à la veille de la Première Guerre mondiale. Mobilisé en 1916, il est affecté au service de presse au ministère de la Guerre à Vienne. Libéré de ses obligations militaires en juin de la même année, il retourne à Munich, qu’il quitte en 1919 pour la Suisse. Au château de Berg am Irchel, aux environs de Zurich, il écrit les Poèmes posthumes du comte C. W. (Aus dem Nachlass des Grafen C. W., 1920), dont il prétend qu’ils lui furent dictés d’outre-tombe.

De 1921 jusqu’à sa mort, il vit, retiré et solitaire, dans la tour de Muzot, près de Sierre, dans le Valais, où il achève les Élégies et compose, dans une véritable fièvre poétique, les Sonnets à Orphée (Sonette an Orpheus, 1922), « monument funèbre pour Vera Oukama Knoop », jeune danseuse et musicienne. En 1924, il reçoit la visite de Paul Valéry, dont il vient de traduire seize poèmes de Charmes. Au cours des périodes ou l’inspiration créatrice lui faisait défaut, Rilke s’est toujours tourné vers la traduction. Ainsi a-t-il admirablement transposé en allemand le Retour de l’enfant prodigue de Gide, les Sonnets de Louise Labé, les Lettres de la religieuse portugaise. Vers la fin de sa vie, il écrit des vers en français, les Vergers et les Quatrains valaisans, qui évoquent, avec une forte couleur locale, les environs de Sierre.

Sa correspondance, en allemand et en français, n’a encore été publiée qu’en partie. Elle constitue non seulement un précieux document sur la genèse de son œuvre, mais contient, à côté de lettres très élaborées, des pages d’un élan spontané, dont celles qui sont adressées à Merline (Baladine Klossowska) comptent parmi les plus émouvantes.

Très souffrant depuis 1923, Rilke meurt le 29 décembre 1926 au sanatotium de Val-Mont, près de Montreux. Conformément à ses dernières volontés, il repose au cimetière villageois de Rarogne. Sur sa pierre tombale figure l’épitaphe dont il est l’auteur :
Rose, pure contradiction ; volupté
De n’être le sommeil de personne
Sous tant de paupières.

E. T.

 J. F. Angelloz, Rilke (Hartmann, 1936 ; nouv. éd., Mercure de France, 1952). / R. Pitrou, Rainer Maria Rilke (A. Michel, 1938). / P. Desgraupes, Rainer Maria Rilke (Seghers, 1945 ; 5e éd., 1970). / W. Ritzer, Rainer Maria Rilke. Bibliographie (Vienne, 1951). / H. E. Holthusen, Rainer Maria Rilke (Hambourg, 1958 ; nouv. éd., 1962). / A. Robinet de Clery, Rainer Maria Rilke (P. U. F., 1958). / R. Zellweger, Genèse et forme du « Cornette » de Rilke (La Baconnière, Neuchâtel, 1972).

Rimbaud (Arthur)

Poète français (Charleville 1854 - Marseille 1891).


« Voyant » ou « voyou », le problème reste heureusement posé : il n’est pas nécessaire de vouloir décrypter le « mystère Rimbaud », l’ambiguïté qui le caractérise. Rimbaud lui-même l’a dit : « Je suis caché et je ne le suis pas. » Son œuvre demeure ainsi telle quelle, auréolée d’un prestige incomparable, toujours sujette à des interprétations qui ne doivent, en aucun cas, l’entamer, la réduire. Elle résiste à l’analyse, la récuse. Elle garde intact son pouvoir subversif.

Jean-Nicolas Arthur Rimbaud est né le 20 octobre 1854 dans les « inqualifiables contrées ardennaises » où l’« on se nourrit de farineux et de boue » ; plus précisément à Charleville, « ville superbement idiote » où grouillent des « bourgeois poussifs qu’étranglent les chaleurs ». Sa mère, « aussi inflexible que soixante-treize administrations à casquettes de plomb », règne sur le microcosme familial, reflet de la société environnante, ghetto confiné que le père a déserté sous prétexte d’obligation professionnelle (il est militaire). Elle lui « enfonce dans la bouche », dès sa plus tendre enfance, le « mouchoir du dégoût », dégoût de la vie étriquée, dégoût des « mesquines pelouses » qui bordent les allées de Charleville, où l’adolescent étouffe, dégoût de l’ordre établi, qui l’étiolé.

Pourtant, l’enfant Rimbaud a donné toutes satisfactions. Il est un élève studieux à l’institution Rossat, puis au collège de Charleville. Expert en vers latins, il obtiendra en 1869 un prix dans un concours académique avec Jugurtha. Il taquine la muse et publie dans la Revue pour tous « Étrennes des orphelins » (2 janv. 1870), où il se montre un émule appliqué de Victor Hugo. Il envoie des poèmes à Banville : il veut être parnassien. Mais 1870 est également l’année de son entrée dans la classe de rhétorique, où il a comme professeur Georges Izambard, acquis aux idées révolutionnaires. Cette rencontre permet de cristalliser la révolte sous-jacente de l’élève Rimbaud, qui, quelque temps plus tard, écrira « Mort à Dieu » (ou « Merde à Dieu ») sur les bancs de la promenade publique de Charleville.

Durant l’été de cette même année, la guerre éclate. Rimbaud, qui, jusque-là, n’a manifesté sa désapprobation que par quelques chahuts ordinaires, prend, le 29 août, le train pour Paris : il veut assister à la chute de l’Empire. L’écolier isolé de (Charleville a pressenti qu’à Paris le peuple tentait de se libérer d’un pouvoir qu’il subissait lui-même à l’échelon familial. Le second Empire s’effondre, « car l’empereur est soûl de ses vingt ans d’orgie ! il se sent éreinté ». La « crapule » prend le pouvoir, et Rimbaud se range à ses côtés : « Le peuple n’est plus une putain » ; « Enfin nous nous sentions des hommes. »

Rapatrié à Charleville — il n’était pas détenteur d’un titre de transport —, Rimbaud ne peut plus supporter l’ambiance étouffante. La liberté entrevue durant cette fugue le talonne. Il écrit à Georges Izambard (2 nov. 1870) : « Je meurs, je me décompose dans la platitude, dans la mauvaiseté, dans la grisaille, que voulez-vous, je m’entête affreusement à adorer la liberté libre. » Il fait une nouvelle fugue, à pied cette fois, en Belgique, où il cherche en vain à s’employer dans un journal de Charleroi. Dépité, il se dirige vers Bruxelles, chez un ami d’Izambard, qui le renvoie à son professeur à Douai. C’est à cette époque qu’il écrit les poèmes du vagabondage (« Ma bohème », « Au cabaret vert », « le Buffet », « Rêvé pour l’hiver ») et les poèmes ayant trait à la guerre (« le Dormeur du val », « la Rage des César », « l’Éclatante victoire de Sarrebruck », « le Mal »). Rentré à Charleville, il ne trouve qu’une seule issue à son ennui de sédentaire obligé. Il fréquente la bibliothèque de Charleville. Il lit les socialistes du xixe s. : Babeuf, Saint-Simon. Mais la bibliothèque est encore un sujet de révolte. Il s’en prend aux « assis », ceux dont les « caboches vont dans des roulis d’amour », incapables qu’ils sont de mener une vraie vie. Rimbaud veut vivre, et debout. Il refuse la vie terrée qu’on lui promet et, par tous les moyens, cherche à se relever de cette condition future qu’il juge indigne de l’homme. Il utilise le scandale, provisoirement verbal, comme « pisser vers les cieux bruns, très haut et très loin avec l’assentiment des grands héliotropes » (« Oraison du soir »).