Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rilke (Rainer Maria) (suite)

En 1896, il publie un second recueil de poèmes, l’Offrande aux dieux lares (Larenopfer), tableaux de la ville de Prague et du terroir de la Bohême. La même année, il fait paraître une revue littéraire d’avant-garde, au titre étrange de Chicorées sauvages (Wegwarten), dont les trois fascicules, d’inspiration socialiste, puis nettement naturaliste, enfin de tendance symboliste, sont distribués gratuitement aux portes des hôpitaux, des prisons, des ateliers et des usines. Selon les doctrines de Tolstoï, qu’il admire profondément, il veut apporter par la poésie un réconfort aux pauvres, aux malades, aux déshérités et aux réprouvés.

À l’automne de 1896, il quitte sa ville natale et n’y reviendra plus jamais. Il part pour Munich, où il reste un an et travaille au recueil poétique Couronné de rêve (Traumgekrönt, 1897), d’inspiration néo-romantique. Il se lie avec l’écrivain Jacob Wassermann et découvre le romancier danois Jens Peter Jacobsen, dont l’influence sur sa pensée sera capitale. C’est également à Munich qu’il fait la connaissance de Lou Salomé (1861-1937) ; cette femme écrivain d’origine russe-allemande s’est mariée avec le professeur Friedrich Carl Andreas, après avoir vécu une idylle tragique avec Friedrich Nietzsche. D’une sensibilité raffinée et d’un tempérament presque masculin, Lou demeure la confidente de Rilke jusqu’à la mort du poète. En octobre 1897, celui-ci la suit à Berlin, abandonne ses études universitaires et fait un voyage en Italie au printemps de 1898.

En 1898, Rilke compose les recueils Avent (Advent), où apparaissent déjà les deux thèmes essentiels de son lyrisme, l’angoisse et l’attente, et Pour ma joie (Mir zur Feier, 1899), repris dans les œuvres complètes sous le titre d’Aube poétique (Frühe Gedichte). De la même époque date un essai dramatique, sur les traces de Maeterlinck, la Princesse blanche (Die weisse Fürstin), qui exalte l’amour et la mort.

Au printemps de 1899, Rilke accompagne le ménage Andreas à Moscou, où il rencontre Tolstoï, puis à Saint-Pétersbourg. Un an plus tard, il entreprend avec Lou un second voyage en Russie, où ils revoient Tolstoï dans son domaine d’Iasnaïa Poliana, dans la province de Toula, et font la connaissance du poète paysan russe S. D. Drojjine, dont Rilke avait traduit des vers en allemand. Puis tous deux se rendent à Saratov, où ils s’embarquent sur la Volga jusqu’à Kazan. Ces deux séjours en Russie ont été d’une importance déterminante pour l’évolution littéraire et philosophique de Rilke. À partir de 1899, celui-ci travaille au Livre d’heures (Das Stundenbuch), publié en 1905. Cet ouvrage se compose de trois parties, dont les deux premières, le Livre de la vie monastique (Das Buch vom mönchischen Leben [1899]) et le Livre du pèlerinage (Das Buch von der Pilgerschaft, [1901]), au foisonnement d’images pleines d’un élan mystique, représentent une quête angoissée de Dieu. Le Livre de la pauvreté et de la mort (Das Buch von der Armut und vom Tod), rédigé à Viareggio en avril 1903, est d’une tonalité différente : l’inquiétude métaphysique y fait place à un réquisitoire contre les grandes villes, anticipant déjà sur les diatribes des poètes expressionnistes. De la même époque date le recueil le Livre d’images (Das Buch der Bilder, 1902), œuvre de transition qui rappelle la mélancolique lassitude des poèmes de jeunesse et annonce par ailleurs la plasticité des Poésies nouvelles.

Les éléments épiques sont nombreux dans la poésie de Rilke, qui possède également un grand talent de conteur. Son œuvre en prose débute par les Deux Récits praguois (Zwei Prager Geschichten, 1899), d’une écriture assez impressionniste, suivis des treize Histoires du Bon Dieu (Geschichten vom lieben Gott, 1900), où le merveilleux se mêle intimement au réel. En 1899, aussi, Rilke écrit la Légende d’amour et de mort du cornette Christophe Rilke (Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke), œuvre mineure, mais d’une grande finesse de touche et qui connut une extraordinaire popularité.

Sur l’invitation du peintre Vogeler, il rejoint en août 1900 la petite colonie d’artistes établie à Worpswede, près de Brême, une sorte de Barbizon de l’Allemagne du Nord. Il y rencontre Clara Westhoff (1878-1954), femme sculpteur qu’il épouse en 1901. Le jeune ménage s’installe à Westerwede, où naît une fille, Ruth, qui se consacrera à la publication posthume des œuvres de son père. Grande admiratrice de Rodin*, Clara encourage son mari à rédiger une monographie sur l’artiste français. À la fin d’août 1902, Rilke se rend à Paris. Rodin le subjugue aussitôt par sa forte personnalité et devient pour lui le maître par excellence. Puis, séparé de sa femme, le poète voyage en Italie (1903), au Danemark (1904) et en Suède (1904). Revenu en France en septembre 1905, il s’installe à Meudon, chez Rodin, dont il est quelque temps le secrétaire. En mai 1906, pour un incident minime, c’est la rupture. Rilke reprend sa vie nomade : tantôt en Allemagne, tantôt en Italie, tantôt à Paris.

Les années 1905-1908 sont marquées par une production littéraire intense : c’est le temps des Poésies nouvelles (Neue Gedichte, I, 1907 ; II, 1908), dont font partie des chefs-d’œuvre comme « Panthère », « Carrousel », « l’Ange du méridien ». En 1910, Rilke achève son roman les Cahiers de Malte Laurids Brigge (Die Aufzeichnungen des Malte Laurids Brigge), commencé en 1904, et qui constitue la somme des expériences, des impressions et des réflexions de l’écrivain durant une dizaine d’années.

En décembre 1909, il fait à Paris la connaissance de la princesse Marie von Thurn und Taxis-Hohenlohe, qui devient sa protectrice. Il passe des mois entiers dans son château de Duino, près de Trieste, entré dans la littérature grâce aux Élégies de Duino (Duineser Elegien), composées de 1912 à 1922. D’une grande densité d’images, ces chants contiennent le message essentiel de Rilke, qui tente de répondre aux questions fondamentales de l’existence.