Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Richelieu (Armand Jean du Plessis, cardinal de) (suite)

Richelieu, malgré son génie, ne parviendra jamais à résoudre cette contradiction entre la misère du peuple et la gloire de l’État. La conscience qu’il en a explique le jugement amer qu’il porte à la fin de sa vie sur celui qui exerce le pouvoir : « Celui qui occupe cet emploi doit savoir que les grands hommes qu’on met au gouvernement des États sont comme ceux qu’on condamne au supplice [...]. Il doit savoir qu’il n’appartient qu’aux grandes âmes de servir fidèlement les rois et supporter la calomnie que les méchants et ignorants imputent aux gens de bien [...]. Il doit savoir encore que la condition de ceux qui sont appelés au maniement des affaires publiques est beaucoup à plaindre en ce que, s’ils font bien, la malice du monde en diminue souvent la gloire [...]. Enfin, il doit savoir que ceux qui sont dans les ministères sont obligés d’imiter les astres qui, nonobstant les abois des chiens, ne laissent pas de les éclairer et de suivre leur cours, ce qui doit l’obliger à faire un tel mépris de telles injures que sa probité n’en puisse être ébranlée ni le détourner de marcher avec fermeté aux fins qu’il s’est proposées pour le bien de l’État. »

Richelieu et la mer

Dans son Testament politique, le cardinal écrivait : « La puissance des armes requiert non seulement que le roi soit plutôt fort sur la terre, mais elle veut en outre qu’il soit puissant sur la mer. »

Dès le début de son ministère, il s’y était employé en faisant construire une quarantaine de galères qui devaient assurer la sécurité du trafic en Méditerranée contre les pirateries des Barbaresques. En même temps, un traité signé avec le Maroc rétablissait une relative sécurité pour le commerce méditerranéen. L’idée de Richelieu, nommé en 1626 « surintendant général de la navigation et du commerce », après l’abolition des amirautés du Levant et du Ponant, était de développer un grand commerce océanique, mais celui-ci ne pouvait prospérer qu’à condition que des bateaux de guerre assurassent la libre navigation des vaisseaux marchands.

La création de compagnies de commerce, la fondation de comptoirs coloniaux au Canada et aux Antilles furent la conséquence du développement de notre marine. Pour donner du prix au commerce et du prestige aux marchands, le « code Michau » de 1629 autorisait la noblesse à participer aux compagnies et anoblissait les roturiers qui entretenaient un navire marchand. Richelieu ne craignait pas de bousculer la mentalité de son temps et ne reculait devant aucune hardiesse pour permettre à la France d’égaler dans ce domaine la prospérité de l’Angleterre ou de l’Espagne. Il envoyait des missions en Perse, en Russie, en Guinée et en Abyssinie pour y étudier les possibilités commerciales.

Mais cette politique, qui annonçait et préparait celle de Colbert, fut gênée par les difficultés financières créées par sa grandiose politique étrangère. Si les réalisations demeurèrent, de ce fait, précaires, Richelieu eut néanmoins le mérite de frayer les voies à ses successeurs.

Richelieu et la politique des « frontières naturelles »

On a cru trop longtemps que le cardinal ministre pensait que l’occupation de la Rhénanie devait être un des aboutissements de la politique étrangère de la France. Toute une controverse entre historiens allemands et français s’est instaurée à ce sujet jusqu’à la parution, en 1962, d’une édition des Acta pacis westphalicae et particulièrement des instructions données aux ambassadeurs français du congrès de Münster.

Or, il apparaît, à la lumière de ces nouveaux documents, qu’un des buts que se fixe Richelieu sur le Rhin est non la possession de la Rhénanie, c’est-à-dire de la rive gauche du fleuve, mais seulement d’un certain nombre de places fortes, notamment Brisach, et de couloirs permettant aux troupes françaises d’intervenir facilement et rapidement en Allemagne. « Lesdits Srs Plénipotentiaires se souviendront surtout, en retenant Brisach, qu’il nous faut garder un chemin net pour y aller, ce à quoi Saverne et Sélestat nous sont nécessaires », disent les instructions.

En somme, ce que Richelieu désire, ce sont des passages sur le Rhin et des voies de communication (routes, villes-étapes) pour s’y rendre. Et Richelieu ajoute : « Les princes d’Allemagne ont trop d’intérêts à ce que les choses soient si bien établies que la maison d’Autriche ne puisse plus les régir [...]. »

Il s’agit moins de conquérir une province ou des frontières naturelles que de se ménager des influences politiques et de contrecarrer les visées des Habsbourg.

« Le roi, écrit encore le cardinal, n’est pas tant touché de son intérêt comme de la crainte que les Habsbourg ne veuillent à l’avenir dépouiller les princes qui sont moindres que lui pour enfin se rendre les maîtres de tout l’univers, car avec raison on les a accusés de prétendre à la monarchie universelle. »

Cette région entre Meuse et Rhin constitue un parfait boulevard de passage entre les possessions des Habsbourg aux Pays-Bas et en Italie, et entre l’Allemagne et la France ; c’est pourquoi, dans le cadre de sa politique antihabsbourgeoise, Richelieu désire voir la France y occuper de fortes positions.

P. R.

➙ Anne d’Autriche / Concini / Empire colonial français / Louis XIII / Marie de Médicis / Rochelle (La) / Trente Ans (guerre de).

 G. Hanotaux et duc de La Force, Histoire du cardinal de Richelieu (Firmin-Didot et Plon, 1893-1948 ; 6 vol.). / C. J. Burckhardt, Richelieu (Munich, 1935, nouv. éd. en 2 vol., 1966 ; trad. fr., Laffont, 1970-1975, 3 vol.). / H. Hauser, la Pensée et l’action économique du cardinal de Richelieu (P. U. F., 1944). / J. Canu, Louis XIII et Richelieu (Fayard, 1945). / V.-L. Tapié, la France de Louis XIII et de Richelieu (Flammarion, 1952 ; nouv. éd., 1967). / R. La Bruyère, la Marine de Richelieu (Peyronnet, 1958). / Comte de Saint-Aulaire, Richelieu (Club du meilleur livre, 1960). / P. Erlanger, Richelieu (Perrin, 1967-1970 ; 3 vol.). / M. Pierret, Richelieu ou la Déraison d’État (Fayard, 1972).