Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Richelieu (Armand Jean du Plessis, cardinal de) (suite)

Richelieu jure de venger cet affront. Les protestants français réduits à merci, il prépare sa revanche. La mort du duc de Mantoue, Vincent II, lui en fournit l’occasion. La possession des deux villes de Mantoue et de Casale permet, en effet, de verrouiller le Milanais espagnol. L’Espagne voulant frustrer de ses biens Charles de Gonzague-Nevers, c’est en fait toute la question de la prépondérance espagnole ou française en haute Italie qui se trouve posée. Or, cette région charnière entre les possessions des deux maisons de Habsbourg est vitale pour la France, qui ne peut s’en désintéresser sous peine de se voir encerclée de nouveau.

Conseillé et secondé par Richelieu, le roi fait passer les Alpes à son armée au Montgenèvre et remporte la victoire du pas de Suse (6 mars 1629). Casale est libérée, les Espagnols promettent de ne plus inquiéter le nouveau duc, et la France rétablit son prestige dans ces régions. Mais la guerre reprend bientôt à cause de la trahison du duc de Savoie.


Richelieu et l’Europe

Cette année 1630 est celle du tournant du règne et de la carrière du cardinal. Elle oriente définitivement la politique française vers les choix belliqueux, au détriment du redressement économique et de l’amélioration du sort des populations. Richelieu se fait le champion de cette politique, mais il avertit honnêtement Louis XIII : « Si le roi se résout à la guerre, il faut quitter toute pensée de repos, d’épargne et de règlement au-dedans du royaume. Si d’autre part on veut la paix, il faut quitter la pensée de l’Italie pour l’avenir. » En revanche, les dévots, le chancelier Michel de Marillac à leur tête, pour des raisons de conscience, invoquent « les misères et afflictions du peuple de France, qui languit sous de très grandes et incroyables pauvretés », et, par passion religieuse (ne pas nuire à la catholique Espagne), conseillent la paix.

C’est Louis XIII, ce que l’on oublie trop, qui, en dernier ressort, et comme toujours, va trancher. Il choisit la guerre. Pignerol (31 mars 1630) est prise, et toute la Savoie conquise : coup d’éclat qui efface le traité du Cateau-Cambrésis (1559) et qui rouvre l’Italie aux Français.

Mais le scrupuleux Louis XIII, pressé par sa mère et son confesseur, tiraillé entre les deux politiques, celle de Richelieu et celle des dévots, qui réclament une paix catholique avec l’Espagne, semble fléchir. Le cardinal, désespéré, se prépare pour l’exil lorsqu’un extraordinaire revirement se produit : Louis XIII lui redonne sa confiance ; cette « journée des Dupes » (10 nov. 1630) consacre le triomphe du cardinal et la ruine de ses ennemis. Peu après, la reine mère est exilée, Marillac disgracié et son frère Louis décapité (1632).

Libre désormais, Richelieu poursuit obstinément sa politique. Dans l’Empire ravagé par la guerre de Trente* Ans, il soutient les princes protestants révoltés contre l’empereur et le nouveau croisé des huguenots, Gustave II* Adolphe. Pour se ménager des voies d’intervention en Allemagne, il obtient d’importantes concessions de Charles IV, duc de Lorraine (1632), puis occupe ses États (1634).

L’année suivante, la France entre elle-même dans le conflit, et ses armées combattent en Alsace et en Italie. Après des revers initiaux — 1636 est l’« année de Corbie » ; les Espagnols pénètrent très avant dans le royaume et menacent Paris —, la situation se rétablit avec la prise de Brisach (1638), d’Arras, de Turin et la conquête du Roussillon (1642). L’Espagne affaiblie par des révoltes au Portugal et en Catalogne, l’œuvre de Philippe II s’écroule. La France triomphe sur toute la ligne, et Richelieu, avant de mourir, a la satisfaction de voir les envoyés de l’empereur demander la paix.

Dans le domaine de la politique étrangère, le bilan de l’œuvre de Richelieu est remarquable. En 1624, il trouve une France humiliée par l’Espagne, menacée par les vaisseaux anglais ; dix-huit ans plus tard, le royaume s’élargit sur les Pyrénées et obtient la prépondérance en Lombardie comme sur le Rhin, la jonction des deux maisons de Habsbourg est définitivement écartée, l’Espagne, affaiblie, perd le « leadership » européen, et l’Empire est remodelé par l’intervention française dans la guerre de Trente Ans.

Après la mort du cardinal, la bataille de Rocroi (1643), puis les traités de Westphalie (1648) établiront pour longtemps la prépondérance française en Europe et prépareront l’ère des triomphes de la monarchie de Louis XIV.


Le prix d’une politique

Mais, si Richelieu a bâti une France puissante à l’extérieur et l’a affranchie de la tutelle espagnole, c’est au prix de tout espoir de relèvement financier et de réformes systématiques à l’intérieur. L’ordre n’a été maintenu que par la violence (exécution des conspirateurs, des duellistes). Les répressions sanglantes des « révoltes paysannes » jalonnent tout le règne de Louis XIII et concernent la Bourgogne (1629-30), la Gascogne (1636), la Normandie (1639) et le Bourbonnais (1640).

Bien que Richelieu veuille créer une marine puissante, la pénurie d’argent ne permet ni de grandes constructions, ni surtout une bonne organisation du recrutement. Il en va de même pour l’armée, dont les structures ne changent guère, les mêmes tares et les mêmes abus persistant (désertions, racolage, indiscipline). L’administration du pays est améliorée grâce à la création de commissaires et d’intendants qui suppléent aux carences d’officiers vénaux et inamovibles. Cette politique autoritaire a pourtant le tort de paraître justifier les aspirations des compagnies et des corps privilégiés, qui, à la première occasion, essaieront de prendre leur revanche.

La grande faiblesse du gouvernement de Richelieu demeure le désordre financier et fiscal. Des impôts trop lourds accablent la paysannerie ; les revenus de l’État rentrent mal, ce qui oblige de recourir aux pires expédients pour subvenir aux énormes dépenses de guerre qu’exige la politique étrangère du cardinal (exaction et malversation des comptables, des fermiers et des traitants ; création de nouveaux offices inutiles et onéreux, de taxes nouvelles génératrices de mécontentement et de révoltes).