Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Richelieu (Armand Jean du Plessis, cardinal de)

Homme d’État français (Paris 1585 - id. 1642).



De l’évêché de Luçon au gouvernement de la France

Dans les portraits que Philippe de Champaigne a laissés du cardinal ministre, Richelieu, malgré la robe de pourpre, apparaît plutôt comme un seigneur hautain à l’allure martiale, voire militaire, qu’accentuent encore la fine moustache et la barbiche taillée en pointe. Il fut un prêtre sans vocation, un évêque de hasard.

Sa famille était de bonne noblesse, noblesse de robe et d’épée à la fois provinciale et parisienne. Né de François du Plessis et de Suzanne de La Porte, Armand Jean fut d’abord destiné à la carrière des armes, pour laquelle il prit du goût, comme son caractère et ses tendances l’y disposaient. Mais son frère Alphonse, qui était destiné à l’Église, c’est-à-dire à occuper le siège épiscopal de Luçon, un de ces bénéfices ecclésiastiques que la monarchie distribuait à sa noblesse, préféra, par dévotion et vocation véritable, embrasser la vie religieuse en ce qu’elle a de plus austère et devenir chartreux.


L’évêque

Dès lors, pour conserver 1’évêché à sa famille, le jeune Armand dut accepter d’entrer dans l’Église. S’il ne fut jamais un dévot zélé dans cette France de la Contre-Réforme* catholique, où les saints furent si nombreux, sa conduite fut toujours irréprochable ; il fut un prêtre convenable, un évêque attaché à ses devoirs, même un évêque réformateur dans l’esprit tridentin, et il eut le mérite, durant quinze ans, de 1608 à 1623, de diriger avec compétence l’« évêché crotté » de Luçon, qui ne pouvait suffire à ses ambitions.

Les pamphlets de l’époque, l’imagination de certains romantiques, plus tard, firent de lui un débauché, un incestueux amant de ses nièces, un sceptique, voire un incroyant. Rien n’est jamais venu confirmer ces accusations ; son affection pour sa famille le portait, comme bien d’autres ecclésiastiques de toutes les époques, à établir ses nièces, à les marier richement, l’une, Mlle de Pont-Courlay, au neveu du tout-puissant favori de Louis XIII, le duc de Luynes, et l’autre, Claire Clémence de Maillé-Brézé, au Grand Condé*.

Quant à son irréligion, elle est purement légendaire, elle aussi ; bon théologien, Richelieu pétait très attaché à la défense de l’Église catholique — l’importance qu’il lui donne dans son Testament politique en serait une preuve suffisante —, mais, dès 1611, il réclamait dans son évêché, où les protestants étaient nombreux, « la réforme du clergé et le rétablissement de la discipline et de l’autorité ecclésiastiques aux lieux que l’hérésie a le plus infectés » ; enfin, aux États généraux de 1614, comme porte-parole du clergé, il demanda au roi de rétablir la religion catholique en Béarn. Si, plus tard, son attitude, en tant qu’homme d’État, parut plus souple, il ne sacrifia pourtant jamais la doctrine catholique aux intérêts de la raison d’État.

Le trait dominant de sa personnalité demeure, avec l’ambition, l’intelligence, une intelligence supérieure, harmonieuse et équilibrée, qui lui permettait d’embrasser de grands desseins sans négliger les détails de leur exécution. Sa capacité de travail était énorme, servie par une volonté farouche de parvenir aux buts que son intelligence et sa féconde imagination lui avaient assignés.

Sa santé, plus solide que celle de Louis XIII, était pourtant précaire : l’abus de travail, la tension morale continue, nécessaire pour dominer les intrigues et pour garder la faveur royale, minèrent rapidement son tempérament, et Richelieu fut la proie de fréquents malaises nerveux, dans lesquels la médecine moderne diagnostiquerait des crises de dépression, mais où ses ennemis ne voulurent voir que des manœuvres hypocrites pour attendrir le roi.


Le conseiller de la reine mère

Le mérite de Louis XIII, qui ne possédait pas l’intelligence de son ministre, fut d’apprécier celui-ci, de comprendre que, dans l’entourage royal, où les vieux serviteurs de son père, les « barbons », étaient trop vieux, Richelieu était le seul esprit supérieur, tranchant sur toutes les ambitions mesquines. Et pourtant le roi n’eut tout d’abord pour lui que des préventions ; c’est que Richelieu était une créature de la reine mère.

Faute de mieux, le petit évêque de Luçon s’était attaché à l’épaisse Florentine Marie* de Médicis. Il s’en servit pour s’introduire à la Cour et dans les affaires, et il y parvint en 1616 lorsque, durant six mois, il dirigea la Guerre et les Affaires étrangères. Il se distingua dans ses fonctions par des méthodes nouvelles : choix d’informateurs et de négociateurs habiles comme le père Joseph — un capucin appelé à jouer plus tard un grand rôle —, diffusion dans le public d’écrits de propagande pour justifier la politique française, etc.

Mais le nouveau ministre ne put qu’esquisser une politique de redressement français sur la scène internationale, car il fut bientôt entraîné dans la disgrâce de la reine mère qui suivit l’exécution de Concini* en 1617. Exilé dans son évêché, Richelieu correspondait avec Marie de Médicis, éloignée de la Cour, elle aussi. Louis XIII, mécontent, lui donna l’ordre de quitter la France et de passer dans les États du pape, à Avignon (1618), ce qui provoqua d’ailleurs les protestations du pape.

Patiemment, pour revenir en grâce, Richelieu se fit l’homme indispensable de toutes les réconciliations entre la mère et le fils. Marie de Médicis, entièrement subjuguée par lui, comme elle l’avait été jadis par les Concini, faisait remarquer à son fils les défauts de son gouvernement, l’absence d’une véritable direction à la tête des affaires, l’affaiblissement de la France en Europe. Inlassablement, elle proposait à Louis XIII son conseiller, devenu aumônier de la reine Anne d’Autriche. Le roi, cédant aux instances de sa mère, sollicita pour Richelieu le chapeau de cardinal (1622) ; puis il accepta son retour au pouvoir. Richelieu parut au Conseil du roi le 29 avril 1624.